Propos recueillis par Najeh Jaouadi
Nostalgique quand il évoque ce que la STB (Société tunisienne de banque) – véritable bras financier de l’Etat – avait fait pour soutenir l’économie tunisienne et les PME, mais en même temps, optimiste sur l’avenir de la banque. Abdelwahab Nachi, ancien de la STB, aujourd’hui son Président directeur général, est déterminé à relancer la banque et renouer avec les grands chiffres. Ayant les idées claires et une stratégie bien en tête pour restructurer cette banque, il pense que seules des décisions douloureuses sont capables de sortir le secteur public de la crise. « Il faut que le prochain gouvernement ait l’audace d’aller de l’avant en prenant des décisions capables de changer la donne». Interview
Quelles sont les principales difficultés de la STB, actuellement ?
Tout d’abord, il faut rappeler que certaines difficultés de la STB remontent à plus de 10 ans, avec sa fusion avec la Banque de développement économique de la Tunisie (BDET) impactant toujours les comptes de la banque. Une opération de fusion-absorption que la STB n’a jamais réussi à digérer parce que la BDET, dédiée au financement du secteur touristique était extrêmement endettée. 50% des créances classées de la STB concernent le secteur du tourisme, héritées essentiellement de la BNDT.
Les événements survenus au cours de cette même période, à savoir l’attentat à Djerba et le 11 septembre 2003, avaient produit un effet néfaste sur le secteur du tourisme et, par ricochet, sur la situation financière de la banque. Pis encore, la Révolution a fini par mettre à plat le secteur du tourisme aggravant davantage la crise de la STB. Résultat : la doyenne des banques publiques qui a pour vocation de financer les PME, n‘est plus capable de supporter indéfiniment les déficits budgétaires et les pertes des entreprises publiques, en l’occurrence la société El Fouladh (classe quatre), Transtu et l’Office des céréales, sans oublier les entreprises confisquées. En attendant une décision sur leur avenir, des administrateurs judiciaires étrangers aux domaines, aggravent la situation financière de ces entreprises. La société Ciments de Carthage, à titre d’exemple, est parmi les plus performantes sur le marché. Il faut lui donner les moyens de se développer et d’assurer sa pérennité en prenant les bonnes décisions.
S’ajoutent aux gouffres financiers, les défaillances dont souffre la STB dans sa gouvernance, dans sa gestion, dans sa structure et dans son système d’information presque à l’arrêt. A cet effet, dans l’objectif de renforcer le système informatique de la banque, nous avons proposé à la BCT, en 2001, un plan de développement stratégique informatique (PDSI). Ce n’est que 12 ans après que la BCT nous envoie son approbation. Je suis revenu à la STB en 2013 et rien n’a été encore fait.
De point de vue répartition géographique de la STB, on remarque que notre banque est la seule de la place qui ouvre moins d’agences, du reste mal réparties, sur le territoire.
Il faut rappeler également qu’en appliquant la circulaire de la BCT, la banque a été contrainte de mettre 555 millions de dinars de provisions sur le secteur du tourisme. Il s’agit d’une nouvelle obligation pour les banques de constituer des provisions additionnelles sur les actifs dans la classe quatre ayant une ancienneté supérieure ou égale à trois ans, pour la couverture du risque net. A l’évidence, la situation financière de la STB est certes, très délicate, mais ne met pas ses fondamentaux en danger. Nous sommes capables de redresser la barre.
Qu’en est-il du résultat du full audit sur la STB et qu’elles mesures prises suite à cet audit ?
Nous avons fait appel au cabinet Price Water House pour deux raisons. La première c’est l’audit de la banque et la deuxième, c’est de préparer un business plan pour la restructuration de la banque. L’audit concernait notamment deux éléments essentiels, la gouvernance et la rentabilité de la banque et de ses trois filiales à savoir la STB Invest, la STB SICAR et la Société tunisienne de recouvrement des créances (STRC).
L’audit a été examiné en conseil ministériel le 21 aout 2013 et il a été décidé que la STB demeure une banque universelle et doit continuer son évolution à l’international. Il faut rappeler que la STB était parmi les rares banques de la place présentes à l’international, respectivement au Sénégal, au Niger, en Libye, au Liban et en Grèce.
Pour des raisons de gestion, nous nous sommes contentés des deux filiales au Niger et à Paris. A partir de là, nous avons commencé à mettre en place un business plan qui contient toutes les actions qu’il faut entreprendre au niveau de la gouvernance, de la structure, des créances classées, des moyens informatiques et communication. Le conseil des ministres s’est convenu également à la recapitalisation de la banque. Pour cela, nous avons fixé le besoin de la STB en 2013 à 652 millions de dinars. Mais le programme de recapitalisation de la banque devrait se faire sur trois ans, et il revient à l’Etat d’en décider les modalités.
Il faut préciser à ce propos, que d’ici fin mars, la banque avec le cabinet Price Water House, s’attèlera à définir les scenarii possibles. Je suis persuadé qu’on optera certainement pour le scénario qui prendra le plus en considération l’intérêt de la banque. Notre business plan doit être bien évidemment validé par le ministère des Finances en tant que tutelle et la BCT en tant qu’organisme de régulation et de contrôle. Dans ce business plan nous voulons rejouer notre rôle dans le financement de l’investissement notamment des PME-PMI et des start-up. Pour cela, il est indispensable de restructurer le portefeuille de nos crédits et de mettre en place une unité de contrôle risque.
Sur le plan international, nous envisageons, en premier lieu, de renforcer nos succursales à travers notre partenaire SONI Bank et, dans un second lieu, quand notre position sera consolidée à l’étranger de sortir seul sur le marché international. Dans ce cadre, nous prévoyons de créer une filiale de promotion immobilière au Niger, d’une société de transport international au Niger et à Abidjan ( en Cote d’Ivoire). Il y a une étude en cours pour la mise en place d’une société de commerce international sur le marché africain, très porteur. En matière d’élargissement du réseau de la banque, nous entrevoyons d’ouvrir 15 nouvelles agences et réaménager 15 autres par an durant les prochaines cinq années. La recapitalisation de la banque vient couronner ces mesures de restructuration.
Tout cela a un coût ? Comment comptez-vous financer ce business plan ?
Nous n’avons pas encore déterminé le coût total de ce business plan. Nous trouverons les moyens de financement nécessaires pour le mettre en place.
Fusionner les banques publiques ou les privatiser, pour qu’elle alternative opteriez-vous ?
Je suis contre la fusion. Je garde déjà un mauvais souvenir de la fusion de la STB avec la Banque de développement économique de la Tunisie (BDET) dont on subit encore les conséquences. Fusionner deux ou trois banques publiques ayant chacune ses propres difficultés ne fera qu’alourdir le bilan et la sortie de crise sera difficile. Il faut admettre que dans le secteur bancaire, le public et le privé avancent à deux vitesses. Les banques publiques sont à la traine par rapport aux banques privées, plus performantes. La raison est simple : différence de culture de rendement et de productivité. Une banque privée agit dans un environnement totalement différent des banques publiques en termes politique de crédits, du contrôle risque, du personnel et de sa motivation. Le conseil ministériel du 21 aout 2013 a discuté de la participation d’un partenaire technique dans la restructuration de la banque. Ce partenaire technique assurera la rupture totale avec les pratiques du passé. Il faut rappeler le cas de l’assurance STAR qui s’est engagée avec un partenaire technique Groupama qui n’a fait qu’accélérer et renforcer les compétences, les capacités et les outils de rénovation de l’entreprise. L’expertise technique fournie par ce groupe a permis à la STAR de se développer et de se hisser aux normes internationales. C’est ce que recherche la STB. La BERD (Banque européenne de reconstruction et de développement) pourrait être un partenaire stratégique de la STB. Elle pourrait prendre une participation dans le capital de la banque, sans pour autant qu’elle n’intervienne dans le Conseil d’administration et donc dans les décisions de la banque. Dans ce même cadre le gouvernement a fait un appel d’offres pour choisir un administrateur privé qui représentera l’Etat dans les différents conseils d’administration des entreprises publiques. Cette décision constitue un grand pas vers la restructuration de la gouvernance de ces entreprises.
Pour venir à bout des créances classées du secteur du tourisme, il a été décidé la création de la société de gestion d’actifs. Serait-elle la seule possibilité de sortie de crise de la STB ?
Créer une société de gestion d’actifs (AMC) n’est pas inédit en Tunisie, plusieurs pays l’ont adopté pour gérer les créances classées et cela a marché. Quoique pour la banque, ce qui est essentiel pour nous c’est de récupérer notre argent peu importe les moyens. D’ailleurs nous avons réussi à récupérer notre argent en recourant à la justice et certains hôteliers nous ont remboursés par des chèques venant de banques privées. Une preuve qu’ils peuvent régler leurs dettes. Mais dans la plupart des cas, les litiges prennent des années et avant que le tribunal ne prononce un verdict en notre faveur, l’hôtel est classé une entreprise en difficulté. On se trouve avec plus d’un tiers de nos dettes gelées et les hôteliers se trouvent devant un hôtel fermé sans aucun rendement. Mais la présence de l’AMC ne veut pas dire que nous ne continuons pas à négocier avec ceux qui veulent vraiment trouver un compromis sérieux avec la banque. Je tiens à réaffirmer que la STB continuera de financer le secteur du tourisme car nous sommes optimistes sur le potentiel de ce secteur porteur, à condition que les parties prenantes s’engagent à le relancer.
Pourquoi la STB a-t-elle dû créer une filiale pour intégrer les agents de nettoyage et de gardiennage, alors que la banque souffre déjà de sureffectif ?
Je dois rappeler que l’audit de la banque requiert la mise à niveau sociale de la banque. En effet les premiers résultats de l’audit ont donné que la banque doit révoquer près de 1000 employés représentant près de 30% du personnel. Nous avons, en même temps, près de 500 agents de nettoyage et de gardes intérimaires qui revendiquent leur intégration dans la banque. Il a été prouvé également que la banque souffre d’un taux d’encadrement très faible 27% en comparaison avec les autres banques de la place. La majorité des hauts cadres dont dispose la banque sont arrivés par échelonnement hiérarchique.
Intégrer directement les 500 agents de nettoyage et de gardiennage, affaiblira encore plus le taux d’encadrement au sein de la banque, ce qui n’est pas glorieux, notamment dans la perspective que nous avons fixé pour s’implanter sur les marchés internationaux. Pour cette raison nous avons opté pour la création d’une filiale pour le recrutement des 500 agents tout en leur garantissant les mêmes conditions que le personnel de la banque. Nous sommes encore en négociations et l’on espère que l’UGTT accepte cette alternative, du reste la seule qui est à même de servir l’intérêt des deux parties.