Abid Briki: « je n’avais plus de prérogatives avant même mon limogeage »

Le ministre limogé de la Fonction Publique et de la Gouvernance , Abid Briki, est revenu, vendredi 03 mars 2017 dans une conférence de presse à Tunis, sur les raisons qui l’ont poussé à annoncer sa démission.
Il a réparti son intervention en trois axes principaux, soit les différends qu’il  a eu avec le gouvernement d’union nationale après sa formation, la réforme de la fonction publique et de l’administration et les dossiers de corruption qui sont restés suspendus, malgré l’urgence de leur traitement.
Briki a souligné que sa conférence de presse n’est pas une occasion pour dénigrer qui que ce soit mais qu’il voulait mettre le doigt sur les failles qui marquent le travail du gouvernement, sans qu’il y ait une véritable intention d’y remédier. Il a ajouté que sa décision de démissionner n’était pas hâtive ni improvisée mais est venue après réflexion.
Commençant par les premières étincelles ayant généré les différends avec le gouvernement d’union nationale, Briki a indiqué que dès la formation de ce gouvernement, il était surpris par l’attitude de l’un des conseillers de Youssef Chahed qui a déclaré, lors d’un conseil ministériel restreint traitant du projet de loi des finances 2017, que « le combat était contre l’UGTT dans cette phase« . Etant un ancien syndicaliste de l’organisation ouvrière, Abid Briki était surpris par cette déclaration, plus surpris encore  lorsque la même personne s’est adressée à lui et au ministre des Affaires Sociales, Mohamed Trabelsi, pour dire « sinon pourquoi vous êtes là?« , faisant allusion au fait qu’ils faisaient  partie du gouvernement pour gérer les tensions au sein de l’UGTT. « C’est là où j’ai constaté que je ne pouvais pas continuer longtemps dans ce gouvernement« , a-t-il indiqué, ajoutant qu’il a pourtant poursuivi son travail afin de réaliser le programme des réformes de l’administration et de la fonction publique.
Briki a affirmé que, cependant, tous les dossiers de réformes ont été transférés aux services de la présidence du gouvernement. Il a expliqué qu’à chaque initiative prise par son ministère pour mettre en oeuvre certaines réformes, il était surpris par le transfert immédiat de ces dossiers auprès d’un conseiller de Youssef Chahed.
Abid Briki a, entre autres, évoqué le sujet des partenariats signés par le gouvernement mais non mis en oeuvre, « ces accords sont restés suspendus« , a-t-il fait savoir en citant le dossier des fichés par la police qu’il avait pris en charge quelques jours avant son limogeage.
Il a considéré que, finalement, le travail du gouvernement d’union nationale n’était pas basé sur un programme clair mais sur des décisions prises par réaction, au cas par cas.
Au sujet des caisses sociales, Abid Briki a souligné que pour avoir une idée sur les perspectives de ces caisses, le gouvernement devrait remettre en question les raisons qui les ont poussés vers la situation de crise, précisant que tant que le taux de chômage n’a pas baissé, on ne peut pas réaliser des réformes effectives sur les caisses sociales. Il a, toutefois, considéré que le programme de l’emploi élaboré par le gouvernement est respectable et pourrait être efficace, mais qu’on devrait se poser la question à propos du contrat de la dignité qui ne concerne que le secteur privé en vérité, « Y a-t-il des institutions privées dans les régions de l’intérieur? Ce programme va-t-il traiter la discrimination négative?« , s’est-il demandé.

Aucune réforme n’est mise en œuvre
Quant aux réformes réelles de la fonction publique, étudiées par les cadres du ministère de la Fonction Publique et de la Gouvernance, selon Abid Briki, aucune n’a été mise en oeuvre malgré le fait que le ministère avait présenté au chef du gouvernement, Youssef Chahed, les solutions possibles et les réformes nécessaires à ce secteur. Chahed n’a rien pris en considération, ni concrétisé le contenu de son discours, prononcé le 14 janvier 2017, comme le rappelle Abid Briki, attirant l’attention sur les points contenus dans ce discours comme la discrimination positive et le développement des régions de l’intérieur. « Le gouvernement devait prendre l’initiative de convertir ce discours en un programme précis et réalisable, je l’ai fait moi-même en traduisant les points du discours de Youssef Chahed en un programme bien organisé basé sur des chiffres et répartis en thèmes. J’ai informé Youssef Chahed, jusqu’à présent, ce document ne m’a pas été demandé« , a expliqué Abid Briki.
Passant au sujet de la circulaire numéro 4, récemment suspendue par le gouvernement, Briki a assuré qu’il avait averti le chef du gouvernement quant à la polémique générée par cette circulaire auprès des journalistes et des médias surtout vu sa contradiction avec la loi sur le droit d’accès à l’information. Cependant, aucun pas n’a été fait dans le sens de la suspension de la circulaire sauf après la mobilisation des journalistes contre cette décision. « Je dis qu’on est revenu à la case départ, celle où rien ne marche que sous pression, rien ne marche grâce au dialogue et aux négociations« , a-t-il considéré.

Transfert de prérogatives
Dans un autre volet, Abid Briki est revenu sur le sujet des recrutements  dans la fonction publique. Il a indiqué que, normalement, la liste des nominations des directeurs généraux doit passer par le ministère de la Fonction Publique, ce qui n’était pas le cas, « je n’en ai rien su, je n’ai rien reçu« , a-t-il affirmé.
Quant à la retraite anticipée, programmée dans les réformes de la fonction publique, la discussion se tenait sur la manière d’appliquer cette réforme et si la retraite anticipée doit être obligatoire ou volontaire, selon ce qu’a expliqué Briki.
Au cours des négociations, ce dossier a été retiré des mains de Abid Briki et transmis à un ancien conseiller auprès de la présidence du gouvernement, expert en économie. Ce dernier a été chargé de plusieurs dossiers ainsi que d’établir les analyses et les prévisions relatives au dossier des réformes, qui font partie, à la base, des prérogatives du ministère de la Fonction Publique et de la Gouvernance, selon la déclaration de Abid Briki.
Briki a également évoqué le dossier des entreprises publiques, y compris les banques, indiquant que l’idée de les privatiser n’est pas mentionnée dans le plan de restructuration de ces banques. « Ce dossier a également été transmis aux conseillers du chef du gouvernement« , a-t-il souligné, ajoutant que la décision de les privatiser l’a étonné.
Briki a, d’autre part, parlé des structures de contrôle qui ont été rattachées à une instance relevant de la présidence du gouvernement ainsi que tout le volet législatif duquel était chargé le ministère de la Fonction Publique et de la Gouvernance. « Je n’avais plus de prérogatives avant même mon limogeage », a-t-il assuré, déçu de n’avoir pas eu l’occasion de mener les réformes prévues pour le secteur public.

Corruption : des dossiers concernant « les intouchables »
Abordant les dossiers de corruption qui sont traités avec nonchalance par la présidence du gouvernement, Briki a présenté un document sur la corruption de certains importateurs, impliqués dans l’évasion fiscale. Les chiffres dont Briki a parlé sont fictifs, « je ne peux même pas les lire« , mais, il a au moins indiqué qu’ils valent 6,5% du budget actuel de l’Etat. Il a assuré avoir attiré l’attention du chef du gouvernement et lui avoir proposé de geler les opérations d’importation de ces personnes jusqu’à régularisation de leurs situations financières avec la douane et la rationalisation des importations, sans qu’il y ait, selon lui, aucune réaction de la part du chef du gouvernement. Briki a souligné qu’entre temps il avait consulté d’anciens PV et qu’il a découvert que celui du 22 juin 2016, à l’époque de Habib Essid, indiquait des mesures contre les importateurs, « ces gens sont intouchables, un mois après cette décision, on a commencé à parler du départ de Habib Essid et de son gouvernement« , a-t-il enchaîné.
Parlant encore des dossiers de corruption, Abid Briki a parlé d’un deuxième dossier relatif aux grands commerçants de fripe, exemptés de frais de douane. Il a expliqué que ces commerçants sont autorisés à importer des vêtements, à faire le tri pour qu’une partie soit commercialisée en Tunisie et l’autre soit réexportée, pour rapporter des devises et combler ce qui n’est pas payé à la douane. Cependant, ce n’est pas ce qu’ils font car ils vendent tout ce qu’ils importent à l’intérieur du pays, aucune exportation n’est faite malgré l’exemption des frais de douane dont ils bénéficient, explique Briki, à part d’autres détails du même dossier, assurant qu’il a également proposé des mesures à prendre.

Des zones d’ombre…
Le ministre limogé a évoqué la question de la levée du secret bancaire indiquant qu’il y a eu un transfert d’une énorme somme d’argent « plus de 12 millions de dollars » au profit d’une personne, s’étonnant de l’absence d’enquête sur la provenance de cet argent et la raison de son transfert.
Briki a conclu en parlant du prix Nobel de la Paix que l’Etat aurait dû exploiter, dans ces conditions difficiles pour alléger les exigences du FMI et des parties qui prêtent à la Tunisie, sous des conditions lourdes.
« Mon départ du gouvernement ne signifie pas mon départ de la scène politique, dans le cadre de la poursuite de la défense des droits des ouvriers et la défense du capital du pays en soutenant les capitalistes honnêtes qui respectent les lois.« , a conclu Abid Briki.

Afef Toumi

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