Abir Moussi : Entre détention et candidature

Après avoir interrompu sa grève de la faim, la présidente du Parti destourien libre —sous le coup de huit inculpations—, reste en prison. Entre-temps, des membres du Bureau politique du PDL ont annoncé sa candidature à la prochaine élection présidentielle.

Par Hatem Bourial

 C’est à Sfax, lors d’une réunion du Parti destourien libre, la semaine dernière, que Karim Krifa, membre du Bureau politique du PDL et du comité de défense de Abir Moussi, a annoncé que la présidente du PDL «se présentera à la prochaine élection présidentielle, à l’automne.»
Cette annonce n’a pas surpris et vient confirmer ce que plusieurs déclarations ont laissé entendre, y compris lorsque Abir Moussi a tenu des propos de cet ordre mais sans annonce effective et formelle.

Une candidature tributaire d’une hypothèque judiciaire
Dans cet ordre d’idées, la course à la Présidentielle de 2024 semble lancée de manière précoce avec un Kaïs Saïed qui occupe le terrain et multiplie initiatives et apparitions publiques et des opposants qui tentent de mettre de l’ordre dans leurs rangs, notamment du côté du Front du salut qui semble sur le point d’annoncer la candidature de Néjib Chebbi.
Parmi ces opposants, malgré l’hypothèque judiciaire, Abir Moussi et le PDL occupent une place de choix et ont également une capacité de mobilisation avérée. Si l’on se réfère aux baromètres politiques des dernières années, les chiffres d’Emrhod Consulting donnaient en juin 2022, Kaïs Saïed à 70% des voix avec pour première concurrente Abir Moussi avec 8% des voix. Si cet écart entre le président de la République et son opposante est remarquable, il est toutefois atténué par la popularité du PDL qui, à la même date, engrangeait 33% des intentions de vote en vue des élections législatives.
Bien sûr, plus de deux ans sont passés et le contexte politique a été profondément modifié par l’action de Kaïs Saïed, la crise généralisée qui a touché les partis les plus influents et deux élections législatives qui ont créé de nouveaux équilibres au Parlement. Tout caducs qu’ils soient, ces sondages n’en révèlent pas moins des tendances qui restent d’actualité et soulignent la popularité de Kaïs Saïed et la détermination de Abir Moussi et de la famille destourienne.
C’est d’ailleurs pour ces raisons que l’annonce solennelle de Karim Krifa à Sfax revêt une importance indéniable. D’abord, elle signale que Abir Moussi n’en démord pas en ce qui concerne sa candidature. Ensuite, elle rend compte de la vitalité du PDL que ce soit au niveau du bureau politique ou de la base militante. Enfin, elle confirme ce qui était d’ores et déjà attendu tout en permettant aux observateurs d’esquisser les premiers grands traits de la course à la présidence de la République.

Un imbroglio judiciaire
Pour sa part, Abir Moussi semble, malgré son incarcération, avoir gardé toute sa pugnacité et sa résolution. Le 26 janvier dernier, elle entamait une grève de la faim de 48 heures pour protester contre l’injustice qu’elle considère subir depuis le 3 octobre dernier, date de son arrestation. Un rappel des faits est d’ailleurs nécessaire pour se rendre compte de l’imbroglio judiciaire qui pèse sur la présidente du PDL.
Arrêtée et mise en garde à vue, elle sera placée sous mandat de dépôt le 5 octobre, un jour après son transfert à l’hôpital suite à un malaise. Sous le coup de plusieurs affaires en justice, Abir Moussi clame son innocence alors que ses avocats sont optimistes et croient en sa libération prochaine. Toutefois, depuis la mi-janvier, la situation s’est compliquée avec la notification d’autres plaintes visant Abir Moussi.
Nafaâ Laribi, avocat et membre du comité de défense de la présidente du Parti destourien libre, a en effet indiqué mercredi 17 janvier avoir été informé par la Cour d’appel de Tunis que sa cliente était poursuivie dans huit affaires au total.
Il a expliqué que ces plaintes ont été déposées par l’instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), par la Brigade judiciaire d’El Omrane (dépassement du délai convenu lors d’une manifestation), par l’Union internationale des savants musulmans et par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui accuse Moussi d’avoir tenu un rassemblement avec un groupe de ses partisans, le 27 mai 2023, devant le siège de l’UGTT. Cette dernière plainte a depuis, été retirée.
Il a également indiqué que Abir Moussi avait déposé quarante plaintes pour violences (y compris politiques), et qu’aucune d’entre elles n’a donné lieu à des poursuites. Auparavant, le porte-parole officiel de la Cour d’appel de Tunis, Habib Torkhani, avait précisé que deux instructions avaient été ouvertes suite à deux plaintes de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) sur la base de deux enregistrements vidéo attribués à la présidente du PDL en date des 26 et 27 janvier 2023 et relayés via les réseaux sociaux, comportant des propos offensants et des accusations de truquage des élections.
Abir Moussi faisait face à plusieurs chefs d’accusation de gravité différente, et selon son collectif de défense, le chef d’accusation le plus grave étant «attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement, incitation des citoyens à s’armer les uns contre les autres et provocation de désordre sur le territoire tunisien».
Elle est également accusée «d’utilisation de données personnelles sans l’autorisation de la personne concernée et d’attentat ayant pour but de porter atteinte à la liberté du travail».

Le comité de soutien plaide «détention abusive» et «injustice politique»
Cependant, le comité de défense de Abir Moussi maintient la pression et a évoqué à plusieurs reprises une «détention abusive» et une «injustice politique» à l’endroit de la présidente du PDL. Dans cette optique, les propos de Noureddine Taboubi, Secrétaire général de l’UGTT, prennent une tonalité particulière. Le responsable syndical a déclaré le 19 janvier dernier que Abir Moussi était une «prisonnière politique» et d’ailleurs, le même jour, la Centrale syndicale a retiré sa plainte contre l’égérie du PDL. Les soutiens de Moussi restent d’ailleurs nombreux et vont au-delà du premier cercle constitué par les militants du parti qu’elle préside.
Considérée comme une personnalité «clivante», Abir Moussi a autour d’elle ses partisans mais aussi des opposants tout aussi résolus qui considèrent qu’elle est le vecteur d’une potentielle restauration destourienne qu’ils récusent. L’accusant pour son passé militant (qu’elle revendique) au sein du Rassemblement constitutionnel démocratique dissous, ses adversaires fustigent Moussi tout en redoutant sa popularité et son franc-parler. Il y a deux ans, le PDL divulguait un plan d’assassinat visant sa présidente dont la popularité avait connu des sommets lors de ses chaudes empoignades avec les courants islamistes au Parlement.
S’opposant frontalement à Kaïs Saïed, la présidente du PDL avait d’ailleurs appelé à une élection présidentielle anticipée en juillet 2022 en considérant que ce dernier «n’était plus selon l’article 92 de la Constitution, le président élu». Toutefois, Abir Moussi peut se targuer, malgré son sens de la provocation, d’avoir réussi là où beaucoup d’autres ont échoué. En effet, cette avocate très pointilleuse et procédurière en matière juridique, a eu le courage et la capacité politique de rassembler la famille destourienne et même de recruter au-delà. Ce succès et les conséquences qu’il laisse entrevoir, génèrent des polarisations extrêmes entre rejet systématique des uns et adhésion inconditionnelle des autres.

Une pasionaria pour fédérer les destouriens ?
Enfin, pour plusieurs observateurs, l’épreuve qu’est en train de traverser Abir Moussi pourra lui être bénéfique en termes d’image. N’est-elle pas devenue la pasionaria destourienne et une figure politique qui prône l’alternance ? De même, Abir Moussi véhicule une image positive et résolue de la femme tunisienne ce qui n’est pas pour déplaire à l’électorat féminin et plus généralement à la classe moyenne issue de l’Indépendance.
Alors que son comité de défense affirme que les poursuites contre Abir Moussi sont infondées et réclame sa libération immédiate, l’opinion publique attend d’en savoir plus sur les mécanismes judiciaires actuellement à l’œuvre. Quoi qu’il en soit, il reste clair que le chemin politique de Abir Moussi est tout tracé et réside dans la reconstruction d’un parti destourien fédérant les familles politiques favorables à ce projet. Mais si la volonté de la présidente du PDL ne fait aucun doute, qu’en sera-t-il de la résolution de ceux qui s’opposent à son projet ? Et dans l’immédiat, quelle sera l’issue de ses déboires judiciaires ?

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