C’est à une course contre la montre que se sont livrés les députés à l‘ANC pour adopter la nouvelle Constitution, après avoir traîné pendant plus de deux ans. Les débats sont houleux sous l’hémicycle du palais du Bardo, mais le processus va bon train. Arrivera-t-on à adopter la Constitution avant la date du 14 janvier comme l’avait promis Mustapha Ben Jaâfar ?
Le 3 janvier a commencé officiellement le vote, article par article, de la Constitution tunisienne. 146 articles devraient être votés, outre plus de 250 amendements dans un laps de temps très court, soit avant la célébration du troisième anniversaire de la Révolution tunisienne (14 janvier 2014). Une mission qui s’annonce rude, surtout avec les différentes polémiques déclenchées jusque-là entre les députés, entravant le cours normal des travaux à l’ANC. Une des plus notables est celle provoquée par les déclarations dangereuses du député d’Ennahdha, Habib Ellouz, qui a accusé le député Mongi Rahoui d’être l’ennemi de l’Islam, ce qui a valu à ce dernier des menaces de mort. Une polémique qui a abouti à l’adoption d’une modification de l’article 6, consacrant la condamnation de l’apostasie et de l’incitation à la violence.
Les articles adoptés jusque-là consacrent des principes importants pour l’instauration d’un État de droit qui respecte la démocratie et les libertés. L’adoption de l’article 2 relatif à la définition du caractère civil de l’État, pourrait être considérée comme un acquis de taille dans ce sens, quoiqu’entaché par l’article 1 qui, lui, maintient l’ambiguïté déjà présente dans la Constitution de 1959 quant au fait de considérer l’Islam comme la religion de la Tunisie ou de l’État. Toutefois, l’article 6 vient en renfort pour apaiser les inquiétudes des défenseurs des Droits de l’Homme puisqu’il insiste sur le rôle de l’État dans la protection de la liberté de conscience et les pratiques religieuses et dans la garantie de la neutralisation des mosquées de leur instrumentalisation partisane.
Préservation des libertés
Autre acquis important dans ce nouveau texte, la consécration de l’égalité entre les genres en matière de droits et de devoirs, comme l’indique l’article 20 précisant par ailleurs que l’État est le garant de la préservation des droits et des libertés individuelles et publiques.
La nouvelle Constitution garantit aussi les libertés académiques (article 32), les libertés syndicales (articles 34- 35), le droit de réunion et de protestation pacifique (article 36), ainsi que celui de créer des associations et des partis politiques (article 34.)
Toujours dans le chapitre «Droits et Libertés», la liberté d’opinion, d’expression, de réflexion, d’information et de publication, est préservée, sans qu’il y ait un contrôle préalable (article 30). L’article 31 consacre la responsabilité de l’État dans la garantie du droit d’accès à l’information.
Un point très positif dans la Constitution est la place qu’elle réserve à la jeunesse dans un clin d’œil à son rôle dans la Révolution, mais aussi à ses revendications sociales. Ainsi, l’article 8 définit la jeunesse comme «une force active dans la construction de la Patrie» et engage l’État à fournir les conditions susceptibles de promouvoir les capacités des jeunes et de leur permettre d’assumer des responsabilités et d’élargir leur champ d’intervention dans le développement social, économique, culturel et politique.
Cherchant à être fidèle à l’esprit revendicatif de la Révolution, à savoir les exigences de justice sociale et de développement régional, le nouveau texte a réservé un article (l’article 12) à la responsabilité de l’État dans la bonne exploitation des ressources nationales et la concrétisation de la justice sociale, du développement durable et de l’équilibre entre les régions en se basant sur le principe de la discrimination positive.
La peine de mort maintenue
Reste que la Constitution comporte certaines failles malgré les efforts des uns et des autres de l’intérieur et de l’extérieur de l’ANC pour faire pression afin de les dépasser. La peine de mort a été conservée. En effet, l’article 21 indique que «le droit à la vie est sacré; il ne peut lui être porté atteinte que dans des cas extrêmes fixés par la loi». Dans un communiqué commun publié le 3 janvier, Al Bawsala, Amnesty International, Human Rights Watch et le Centre Carter, ont considéré cette formulation comme «vague, car elle ne spécifie ni les cas ni les circonstances qui légitiment l’atteinte du droit à la vie». Les quatre organisations ont réitéré d’ailleurs leur attachement au refus de la peine de mort, en toutes circonstances, «car elle constitue une violation inhérente du droit à la vie et du droit de ne pas subir de traitement inhumain, cruel ou dégradant.»
Ces organisations n’ont pas manqué d’élaborer leurs réserves quant à bon nombre d’articles de la nouvelle Constitution, dont l’article 19 qui consacre la suprématie de tous les traités «dûment approuvés et ratifiés» par l’Assemblée parlementaire, sans exception, sur le droit national. Le problème qui pourrait se poser avec une telle formulation, c’est que les conventions ratifiées auparavant (avant l’adoption de la nouvelle Constitution) «n’auraient pas la même valeur juridique supérieure.»
Les quatre organisations ont élaboré aussi un ensemble de recommandations, notamment concernant l’application des normes internationales en ce qui concerne l’indépendance de la magistrature, à travers «l’affirmation sans équivoque de la garantie d’inamovibilité, ainsi que les garanties relatives à la nomination, l’évolution de la carrière et la discipline». Une réclamation faite aussi par l’Association des magistrats tunisiens qui a dénoncé les modifications apportées à l’article 112 dans le cadre de la commission des consensus qui consacrent la dépendance du ministère public au pouvoir exécutif, à travers la composition de la Haute instance de la magistrature.
Al Bawsala, Amnesty International, HumanRights Watch et le Centre Carter ont aussi recommandé de préciser clairement dans l’article 79 que toutes les restrictions aux droits et libertés en situation d’état d’urgence, soient définies par la loi et préconise d’adopter le texte présenté par la Commission des consensus concernant les dispositions transitoires, notamment, «l’octroi à la Cour constitutionnelle, d’un pouvoir total pour contrôler la constitutionnalité des lois (chapitre 10) et l’extension du droit de saisie de la Cour au Premier ministre ainsi qu’à 30 membres de l’Assemblée des représentants du peuple, en plus du président de la République comme prévu initialement.»
Outre l’adoption des articles de la Constitution, les députés doivent se pencher très rapidement sur le choix des candidats à l’ISIE (Instance supérieure indépendante pour les élections) qui est d’une grande urgence pour accélérer la fin de cette deuxième période transitoire et préparer les prochaines échéances électorales. Une question qui fait déjà polémique à cause des différends sur le profil des personnes devant en faire partie. Les députés arriveront-ils à adopter le texte intégral de la Constitution avant le 14 janvier, tout reste à espérer…
Hanène Zbiss