« En prenant en compte le volet journalistique, vous allez, monsieur le président instaurer une nouvelle jurisprudence offrant ainsi la possibilité et l’occasion au journalisme d’investigation de prospérer en consolidant la liberté de la presse » plaidait le 18 mars maître Fathi Mouldi au procès de l’animateur Moez ben Gharbia, de l’imitateur humoriste Wassim Hérissi alias Migalo et du directeur de production Abdelhak Toumi. Ils étaient accusés d’usurpation d’identité dans des appels auprès du public dont la peine serait de cinq ans de prison, d’escroquerie, et pour offense à la personne du Président de la République. Les charges seront finalement retenues et le verdict sera de six mois avec sursis.
A sa sortie de la prison dans la soirée même, Moez Ben Gharbia a déclaré « C’est une affaire qui dévoile des dossiers plus graves que ce qu’on a commis. On a tenté d’élaborer un travail d’investigation qui visait à dévoiler un circuit de corruption pouvant impliquer des journalistes et des politiques. C’est un premier pas dans le journalisme d’investigation (…) il n’y a pas eu de chantage, ni de contrepartie financière. Les institutions et comités journalistiques doivent se réunir pour élaborer une législation pour le travail d’investigation et qui protégerait les journalistes il n’y a eu ni chantage ni escroquerie. »
En effet, dans un appel passé à l’homme d’affaire exilé à Paris, Hamadi Touil, Migalo, se faisant passer pour le président de la République, Béji Caïd Essebsi, lui promettait de lui faciliter le retour en Tunisie avant de lui demander un enregistrement. Le coup de fil est inspiré par l’animateur Moez Ben Gharbia et la personne concernée par l’enregistrement est l’animateur Samir Wafi.
Ce dernier aurait exigé de l’argent en contrepartie d’une interview. C’est le cœur de l’affaire qui porte en elle pour les uns, une envie de vengeance et pour d’autres, une volonté de dévoiler un réseau de corruption. Un autre nom est cité dans l’affaire, l’ancien ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières de la Troïka, Slim Ben Hmidane.
C’est aussi ce point qui fait toute la différence dans la plaidoirie. La volonté de dévoiler un réseau de corruption relève du travail de l’investigation, l’usurpation d’identité devient un « moyen inédit » comme l’a souligné Ben Gharbia afin de dévoiler une vérité. La vengeance serait une contrepartie personnelle à tirer de cette affaire et a fait du dossier une affaire d’escroquerie et de chantage.
La question qu’on pourrait se poser aussi est « le travail journalistique autorise-t-il le droit d’enfreindre la loi ? ». Le verdict prouve qu’il y a bien eu infraction à la loi, mais que la peine ait été allégée grâce au but visé par l’infraction, à savoir accomplir une investigation. Une nouvelle jurisprudence a été instaurée par ce fait, mais on peut aussi examiner la question autrement : est-ce qu’un inspecteur de police a le droit d’enfreindre la loi pour avoir des aveux ? Est-ce qu’un scientifique a le droit d’enfreindre la loi pour trouver un remède ? Et les exemples se multiplient…
D’ailleurs, les avocats de l’accusation ont justement plaidé le vice de procédure. Les accusés n’auraient pas dû être arrêtés avant que les accusations ne soient établies et prouvées. Les écoutes de téléphone, qui représentent une atteinte aux libertés individuelles et aux Droits de l’Homme ne devraient pas être un moyen utilisé à l’encontre des journalistes et des avocats.
Le porte-parole officiel du ministère public, Sofiène Sliti a, par ailleurs annoncé, que le ministère public a fait appel du verdict prononcé par le tribunal de première instance. Dans le cadre de la même affaire, l’animateur Samir Wafi a été entendu. Lui, aussi, plaide le travail journalistique et assure que c’est Hamadi Touil qui lui a proposé de l’argent. Samir Wafi aurait simplement voulu, selon ses déclarations, décrocher une interview exclusive…
Hajer Ajroudi