Affaire BFT : à qui profite le blocage ?

 

Youssef Chahed est réellement parti en guerre contre la corruption. Chaque jour que Dieu fait amène son lot d’actes confirmant cette volonté de mettre un terme aux maux qui rongent l’économie nationale. Chaque jour amène également des démentis cinglants aux sceptiques et autres semeurs de doutes quant aux intentions du chef du gouvernement d’aller jusqu’au bout de sa guerre contre la corruption. La tâche n’est pas facile certes, mais le fait est là : Chahed ne peut plus reculer et ce ne sont pas les dossiers qui manquent.
Un de ces dossiers, qui peut être considéré comme l’une des plus grandes affaires de corruption que la Tunisie ait jamais connue, et qui fait couler beaucoup d’encre depuis un certain temps est celui ayant trait à l’affaire de la BFT qui oppose l’Etat tunisien à la société ABCI Investments.
Une affaire qui date depuis 35 ans, enterrée depuis près de quatre ans par la partie tunisienne mais qui remonte à la surface en raison de l’inéluctabilité de la décision du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), tribunal arbitral de la banque mondiale et qui, tous les indices le prouvent, serait au désavantage de l’Etat tunisien.
Nous avons traité ce sujet dans ce même espace et publié un dossier sur notre magazine Réalités pour en donner les tenants et les aboutissants avec le recul nécessaire, avec pour seul objectif de fournir des éléments d’informations à même d’éclairer l’opinion publique sur cette affaire, montrer quel en serait l’impact sur notre pays et aider, un tant soit peu à montrer la voie à une solution équitable. Ce qui n’a pas, semble-t-il, plu à certaines parties.
La dernière déclaration du secrétaire d’Etat en charge des domaines de l’Etat et de la propriété foncière à nos confrères d’Africanmanager n’est pas sans susciter certaines interrogations.
Mabrouk Korchid affirme « qu’il n’y aura pas de discussion avec ABCI avant le jugement du CIRDI et qu’il aurait été contacté par ABCI et qu’il avait refusé de leur parler ». « Je n’ai rien à dire avant de savoir si la responsabilité de ce litige va incomber ou non à l’Etat tunisien. Parler alors de dommages matériels était indécent et irraisonnable», affirme-t-il avec assurance.
Plus encore, le Secrétaire d’Etat souligne qu’ «à la venue au pouvoir du GUN, nous n’avions constaté aucune activité nouvelle dans le dossier de la BFT. Le dossier était déjà clos, bien avant l’avènement du GUN et le Cirdi avait déjà pris le dossier en main. Tout ce qui a donc été fait dans ce dossier, rédactions de rapport et plaidoiries, l’a été avant la venue du GUN», et d’ajouter que par conséquent, « parler d’un échec du GUN ou du ministre des domaines de l’Etat  n’a aucun sens car le GUN n’a aucune responsabilité procédurale directe dans ce dossier».

Des tenatatives de règlement avortées
Il n’est nullement question pour nous ici de répondre ni de démentir le membre du gouvernement. Mais ayant traité du sujet, il est de notre devoir d’apporter quelques éclaircissements sur cette affaire qui, quoi qu’en pense Monsieur Korchid, aura des répercussions désastreuses sur les finances publiques et surtout sur l’image de la Tunisie au cas où l’Etat tunisien est déclaré responsable par le CIRDI.
IL faut se mettre à l’évidence que dans tous les cas de figure,il y a, d’abord, un principe sacro-saint qu’il faut prendre en considération, c’est celui de la continuité de l’Etat et les gouvernements qui se sont succédé depuis 1982, date du début de ce litige ne font que représenter l’Etat. Par conséquent, le GUN , ayant hérité de ce dossier, a devoir de trouver une solution à moindre coût pour la Tunisie. Et il en a donné la preuve puisque un conseil ministériel tenu en aout 2016 s’est penché sur ce dossier.
Ensuite, la  responsabilité de l’Etat est tacitement engagée dans la mesure où plusieurs tentatives de règlement amiable, émanant de la partie tunisienne ont à chaque fois avorté pour des raisons inexpliquées et non dites. Les dessous sont sombres et les intérêts de certains plombent l’affaire.
Pour rappel, au-delà de la tentative de règlement de 2012 engagée par le gouvernement de la Troïka, deux propositions du chef du contentieux de l’Etat ont été adressée à ABCI en date du 4 et 14 octobre 2014. En juin 2016, Khaled Chouket, alors porte parole du gouvernement Essid proposait la réactivation des négociations, mais l’initiative a été bloquée sous la pression d’Ennahdha qui zieute la banque, et pas seulement. En janvier 2016, profitant d’une audience du CIRDI consacrée au litige portant sur la Banque Franco-Tunisienne (BFT), le chef du Contentieux de l’Etat, alors Kamel Lahdhili et Nabil Labidi, chef du cabinet du ministre des domaines de  l’Etat à l’époque, Hatem El Euchi, ont demandé à la partie adverse, la société ABCI, de faire à l’Etat une offre de règlement amiable. Cinq mois plus tard, en mai 2016, le directeur général de la Société Tunisienne de Banque (STB) en a fait de même.
L’ABCI avait adressé, alors, à la partie tunisienne, une proposition de règlement en réponse à ces propositions et ce conformément à la convention du tribunal arbitral qui oblige la partie demanderesse de faire une proposition à la partie défenderesse une offre de règlement à même de réduire le coût d’une décision défavorable de l’instance arbitrale.
La proposition était motivée, selon ABCI, par sa volonté de trouver un arrangement avec l’Etat Tunisien alors même qu’elle est convaincue de gagner son affaire devant le CIRDI.
Certains faits et des documents vont dans ce sens.

Absence d’audit juridique
Toutefois, une question se pose. Pourquoi on n’a jamais procédé à un audit juridique du dossier ce qui aurait permis de vérifier les faits, de les confronter avec le droit et de demander une révision du dossier, partant du principe que l’intérêt de l’Etat est de rectifier les erreurs devant le tribunal arbitral. De ce fait le GUN a le droit de changer de position et de réévaluer le dossier. Sauf que le gouvernement actuel semble avoir fait le choix politique de maintenir la position des gouvernements précédents et décidé de rejeter tout contact avec ABCI.
S’inscrivant dans une sorte de fuite en avant, le gouvernement, a réactivé la plainte déposée devant ses propres juridictions, sous prétexte que la Tunisie avait subi un préjudice du fait du protocole d’accord de 2012 et qu’elle demandait réparation qu’elle obtiendrait de ses propres juridictions.
Malheureusement, le 19 avril 2017, le tribunal arbitral de la banque mondiale a sorti une décision qu’il a  notifiée aux deux parties, la société ABCI et l’Etat tunisien, et faisant état que le protocole d’accord et toutes les correspondances échangées pendant la période des négociations amiables avaient déjà été exclues, depuis 2013, du dossier du tribunal arbitral du fait que ces négociations n’avaient pas abouti à une solution entre les deux parties. Résultat : l’affaire pénale introduite par la partie tunisienne et quelle que soit son issue n’a aucun impact sur la décision du CIRDI. Pourquoi la maintenir ?
Et là, et au vu de l’évolution de cette affaire et des péripéties qu’elle a connues, une question se pose avec insistance. Qui bloque ce dossier et qui cherche à ce qu’il n’y ait aucun règlement au risque que sa facture soit salée pour notre pays ?
La réponse toute logique est que des lobbies seraient derrière ce dossier de la BFT et font tout pour empêcher toute solution amiable et agissent dans le sens de la privatisation de la banque.
Deux tentatives  de l’Etat tunisien ont été lancée parappels d’offres en 2006 et 2010 et ont été déclaré infructueux du fait que les interrogations des soumissionnaires étaient focalisées sur le litige avec l’ABCI
Plus encore, les pseudos « hommes d’affaires » qui s’étaient servis à satiété dans les fonds de la banque et qui n’ont pas intérêt à ce que cette affaire trouve solution.
Des centaines de milliards se sont évaporés, sans garanties, sans cautions et tout était fait pour couvrir la machine de la corruption. Chafik Jarraya, Belhassen Trabelsi, Moncef Trabelsi, Imed Trabelsi, Samira Trabelsi, Montassar Meherzi, Naima Ben Ali et son fils Naoufel Ltaief, Houssem Ben Gaied, faisaient partie du lot de bénéficiaires aux côtés d’autres hommes d’affaires, de notables et de personnalités qui bénéficiaient des fruits des manigances  qui faisaient de la BFT une vache à traire sans risque et sans présenter de garanties ou de cautions.

Une grosse affaire de corruption
L’affaire de la BFT n’est pas qu’une question d’un litige entre l’Etat tunisien et la société ABCI portant sur un investissement. Il s’agit, notamment, d’une grosse affaire de corruption impliquant plusieurs parties et plusieurs personnes. Une véritable mafia politico-financière veut faire  main basse sur la banque.
Le chef du gouvernement a, certes, du pain sur la planche. Sa guerre contre la corruption est complexe et nécessite du souffle. Il reste toutefois que l’affaire de la BFT doit être également abordée sous l’angle de la lutte contre la corruption pour pouvoir faire sauter les verrous qui  la bloquent.
Mabrouk Korchid a peut être raison de vouloir attendre que le CIRDI se prononce sur la responsabilité de l’Etat dans cette affaire en affirmant dans son entretien sur Africanmanager que «ce n’est qu’alors que nous entrerons en négociation pour les dommages matériels après les avoir évalués à partir de données réelles et matérielles». Sauf que du  côté de l’ABCI, assuré d’avoir gain de cause, il n’y aura plus de négociations pour un accord amiable après la décision du CIRDI. Les carottes seraient déjà cuites et le tribunal arbitral fixera le montant des dédommagements que l’Etat devra payer à ABCI.
Dans ce cas, il n’y aura ni « tapis » ni « mosquée ».
Youssef Chahed, soutenu par toutes les bonnes volontés, dans son combat contre les forces du mal, ceux qui rongent l’économie nationale et nuisent à l’image du pays, trouvera le moyen de déverrouiller cette affaire…dans l’intérêt du pays.
Il a publiquement choisi la Tunisie.

F.B

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