Dans une réaction publiée ce dimanche 6 avril, le cardiologue tunisien Dr Dhaker Lahidheb a exprimé une vive inquiétude quant aux répercussions du procès des responsables dans l’affaire du décès de 14 nouveau-nés à l’hôpital de la Rabta. Il a notamment dénoncé l’incarcération du pharmacien Raouf Jomni, condamné à huit mois de prison ferme pour chacune des quatorze affaires, soit plus de dix ans au total.
La 17e chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Tunis a rendu son jugement définitif dans ce dossier emblématique. Elle a confirmé les condamnations de la directrice du service de néonatologie et du responsable de la pharmacie, et a également revu la décision de première instance concernant le directeur de la maintenance, qu’elle a cette fois condamné. Les trois accusés ont été reconnus coupables d’homicide involontaire en vertu de l’article 315 du Code pénal, pour avoir fourni des produits ou accompli des actes entachés de négligence ayant conduit au drame. En plus des peines de prison, la justice a accordé une indemnisation de 30 000 dinars à chaque famille ayant réclamé des réparations.
Pour lle cardiologue, cette affaire marque un tournant décisif pour les professions médicales et pharmaceutiques en Tunisie : « La médecine et la pharmacie en Tunisie ne seront plus les mêmes après ce procès », affirme-t-il. S’il soutient pleinement l’idée d’indemniser financièrement les familles endeuillées — par l’État ou les compagnies d’assurance —, il rejette en revanche fermement l’idée de sanctionner pénalement un seul maillon d’une chaîne de responsabilités complexes : « Aucune somme d’argent ne pourra compenser la perte d’un enfant, mais faire porter la peine corporelle à un seul responsable alors que tout un système a failli est inacceptable. »
Le Dr Lahidheb rappelle que les professionnels de santé agissent dans un cadre strict, régi par des normes, des recommandations et des protocoles. « Le juge est dans son rôle lorsqu’il sanctionne un dépassement. Mais ce que nous devons comprendre, c’est que cette affaire changera radicalement les pratiques. »
À l’avenir, prévient-il, les médecins et soignants ne prendront plus de risques : « Un médecin en réanimation refusera de travailler s’il n’a pas une infirmière pour chaque patient. Un service ne fonctionnera plus la nuit avec un seul infirmier. Si l’agent de propreté chargé de la stérilisation est absent, le service s’arrêtera. Et dans les urgences, s’il manque des équipements — scanner, échographie, électrocardiogramme — le médecin ne prendra plus la responsabilité d’agir. Car celui qui finira en prison, ce ne sera pas celui qui a voté le budget, mais celui qui soigne. »
Le cardiologue plaide pour une issue plus humaine et constructive : « J’espère que notre collègue pharmacien bénéficiera d’un sursis à l’exécution de sa peine en cassation, et pourquoi pas d’une grâce présidentielle. Les familles méritent réparation, bien sûr, mais cette crise devrait être l’occasion de réformer profondément les conditions de travail dans les hôpitaux, pour le bien du patient et pour préserver le niveau de notre médecine en Tunisie. »