Le 31 juillet 2017 était, selon les informations ayant accompagné la décision du tribunal arbitral (CIRDI), le dernier délai pour désigner un expert pour évaluer les réparations que l’Etat devrait payer à ABCI. Et entre les dommages et intérêts et les créances irrécouvrables, les montants vont être très élevés. Des centaines de millions de dollars sont à prévoir à cet effet.
Ce qui est surprenant dans cette affaire c’est la passivité avec laquelle les autorités la traitent au point que l’on est en droit de penser qu’elles ne mesurent pas la lourdeur de ses conséquences.
Youssef Chahed, le chef du gouvernement, confronté à une situation sociale explosive et des finances publiques à sec, joue les pompiers de service dans ce dossier brûlant en essayant d’en minimiser les faits.
Devant les élus de l’ARP, il déclara que « la plupart des gens ne connaissent pas le dossier, le jugement a été prononcé pour imputer la responsabilité, la question du montant du dédommagement n’a pas été évoquée […] L’Etat a engagé les meilleurs cabinets d’avocats britanniques, on va faire appel contre ce verdict ».
On comprend par là que le chef du gouvernement n’avait pas tous les éléments du dossier ou qu’il avait été induit en erreur. Les décisions du CIRDI sont irrévocables et c’est à coup sûr le cabinet d’avocats qui a fait croire aux autorités tunisiennes qu’un recours était encore possible. Résultat: la Tunisie a raté une seconde occasion pour trouver un compromis, cette fois-ci pour désigner un expert commun avec ABCI pour évaluer les réparations.
Il faut préciser que ces « cabinets d’avocats britanniques » présentés au chef du gouvernement comme étant parmi les meilleurs, ont coûté, – en raison de l’attitude de l’ensemble des gouvernements qui se sont succédé et ayant adopté la fuite en avant comme stratégie et démarche – , 35 millions d’euros à fin 2010. Ce coût serait actuellement d’environ 50 millions d’euros pour une affaire, ou plutôt un litige, vieux de 35 années.
Aberrant quand on sait qu’au départ, l’affaire d’expropriation des parts d’ABCI dans la BFT ne concernait que 2,5 millions de dinars.
L’aveuglement, l’entêtement de certains, la méconnaissance du dossier et de ces retombées par d’autres, ont fait capoter toute possibilité de règlement amiable de cette affaire. Il est vrai que ses enjeux sont énormes et les non-dits importants. les intérêts de « quelques » personnes ont prévalu.
Tentatives avortées
Première erreur commise par l’Etat tunisien, c’est celle d’avoir refusé un accord amiable et avoir privilégié la voie pénale. Ceux qui avaient poussé dans ce sens, sont de hauts fonctionnaires de l’Etat directement impliqués dans ce scandale financier depuis le début. Certains sont toujours en poste que ce soit à la STB ou la BCT et même au ministère des finances.
Ces gens-là avaient, et ont, privilégié les intérêts de certaines personnes à ceux de l’Etat, du pays.
Il faut rappeler encore, qu’à partir de 1989, la BFT avait servi à la mise en place d’un système d’octroi de crédits sans garanties aux hommes d’affaires proches du régime dont les Trabelsi et Chafik Jarraya. Près de 900MD ont été accordés entre 1989 et 2011 sous forme de crédits non recouvrables, sans garantie aucune par une banque dont le capital ne dépassait pas 5MD à l’époque.
Après la révolution, la situation s’est aggravée davantage. Chedly Ayari, gouverneur de la BCT, avouera que « la BFT perdait 100 mille dinars par jour ». Il suffit de faire le compte.
Le système bancaire tunisien n’est pas à l’abri de l’effondrement.
Attentisme assassin
Deuxième erreur commise par les pouvoirs publics, celle d’avoir fait preuve d’un attentisme assassin en pensant que le verdict pouvait être en faveur de l’Etat tunisien alors que tout allait dans le sens contraire.
Et pour cause. Des milliers de documents pour ne pas dire des tonnes, ont été livré par ABCI au tribunal arbitral constituant des preuves à charge à l’encontre de l’Etat tunisien.
Cette affaire n’a jamais connu un verdict ou décision en faveur de la Tunisie. L’Etat tunisien a été condamné par la Chambre de Commerce International de Paris (CCI) à la fin des années 80. Un jugement qui n’a jamais été exécuté. La justice tunisienne, à travers un verdict prononcé par la Cour de cassation de Tunis, a reconnu le caractère « politique » de l’affaire et des poursuites à l’encontre du président d’ABCI International de l’époque mais aussi, et surtout, l’instrumentalisation de la justice par les autorités pour contraindre ABCI à céder ses parts au rabais.
Maintenant c’est le montant des dommages et intérêts qu’ABCI va exiger qui reste une inconnue, et il ne sera pas au rabais, .
Les chiffres avancés par les médias ont été remis en question par ceux qui veillent aujourd’hui sur ce dossier et qualifiés d’exagération irresponsable. On ne s’avancera pas sur ce terrain. L’expert désigné par le CIRDI en sera seul juge, car encore une fois nous avons raté une occasion pour prendre part à la décision finale.
Il n’est même plus opportun de se poser la question de qui va payer la facture. C’est tout le pays qui en paiera les frais alors qu’il est à sec.
Il est temps de dire toute la vérité sur ce dossier au chef du gouvernement qui va être appelé à prendre la décision qu’il faut et tenter d’éteindre cet incendie qui risque de dévorer ce qui reste de nos finances publiques s’il en est.
Attendons et prions.
F.B