Les talibans ne sont plus qu’à 50 kilomètres de la capitale. En à peine plus d’une semaine, ils ont pris le contrôle de la plupart des villes du pays.
Les Occidentaux, États-Unis en tête, poursuivent en catastrophe le retrait de leurs ressortissants et de leurs diplomates d’Afghanistan où les talibans progressent chaque jour un peu plus. Des renforts américains sont arrivés à l’aéroport de Kaboul pour aider à sécuriser les évacuations. Samedi 14 août, les talibans resserraient leur emprise autour de Kaboul, où l’humeur des habitants et des personnes ayant fui l’avancée des insurgés était sombre.
« J’ai commencé des consultations », qui « avancent rapidement », au sein du gouvernement, avec des responsables politiques, les partenaires internationaux, pour trouver « une solution politique dans laquelle la paix et la stabilité soient prévues pour le peuple afghan », a déclaré le président afghan, Ashraf Ghani, lors d’une adresse à la Nation, tout en appelant à la remobilisation des forces armées. « La remobilisation de nos forces de sécurité et de défense est notre priorité numéro un », a-t-il ajouté.
« Je pleure jour et nuit quand je vois que les talibans forcent des jeunes filles à épouser leurs combattants »
En à peine plus d’une semaine, les talibans ont pris le contrôle de presque tout le nord, l’ouest et le sud de l’Afghanistan, et sont arrivés aux portes de Kaboul. Ils ne sont plus qu’à 50 kilomètres de la capitale et ne montrent aucun signe de vouloir ralentir leur marche. Les insurgés se sont en effet emparés vendredi de la ville de Pul-e-Alam, capitale de la province du Logar, située à seulement 50 kilomètres au sud de Kaboul. Ils avaient pris auparavant Lashkar Gah, capitale de la province du Helmand, dans le sud du pays. Ce samedi, ils se sont emparés de la ville de Mazar-i-Sharif, « dernière grande ville du nord de l’Afghanistan encore contrôlée par le gouvernement, sans rencontrer vraiment de résistance ». « Lashkar Gah a été évacuée. Ils ont décidé d’un cessez-le-feu de 48 heures pour évacuer » l’armée et les responsables civils, a déclaré à l’Agence France-Presse un haut responsable de la sécurité.
Les talibans ont aussi pris sans résistance vendredi Chaghcharan (centre), capitale de la province de Ghor.De violents combats avaient aussi lieu samedi autour de Mazar-i-Sharif, capitale de la province de Balkh, où l’armée afghane a mené de nouvelles frappes aériennes. Ce carrefour commercial est la seule grande ville du nord du pays dont les talibans n’aient pas encore pris le contrôle. Outre Kaboul et Mazar-i-Sharif, Jalalabad (est), Gardez et Khost (sud-est) sont les seules autres grandes villes encore contrôlées par le gouvernement. Mais étant situées sur des terres dominées par l’ethnie pachtoune, dont sont issus les talibans, elles ne devraient pas résister longtemps.
*Les Afghans craignent le retour au pouvoir des talibans
Pour les habitants de Kaboul et les dizaines de milliers de personnes qui ont fui leur foyer ces dernières semaines pour se réfugier dans la capitale, la peur prédomine. « Je pleure jour et nuit quand je vois que les talibans forcent des jeunes filles à épouser leurs combattants », a confié à l’AFP Muzhda, 35 ans, une femme célibataire arrivée dans la capitale avec ses deux sœurs, après avoir quitté la province de Parwan, un peu plus au nord. « J’ai refusé des propositions de mariage par le passé […]. Si les talibans viennent et me forcent à les épouser, je me suiciderai », prévient-elle.
Beaucoup d’Afghans – les femmes en particulier –, habitués à la liberté qu’ils ont connue ces 20 dernières années, craignent un retour au pouvoir des talibans. Lorsqu’ils dirigeaient le pays, entre 1996 et 2001, avant d’être chassés du pouvoir par une coalition internationale dirigée par les États-Unis, les talibans avaient imposé leur version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les femmes avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin et de travailler, et les filles d’aller à l’école. Les femmes accusées de crimes comme l’adultère étaient fouettées et lapidées. « Il est particulièrement horrifiant et déchirant de voir que les droits durement acquis par les filles et les femmes afghanes sont en train de leur être enlevés », a déclaré vendredi le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.
*Le Pentagone va déployer avant la fin du week-end 3 000 soldats
Les talibans ont lancé leur offensive en mai, quand le président américain, Joe Biden, a confirmé le départ des dernières troupes étrangères du pays, 20 ans après leur intervention pour en chasser les talibans du pouvoir en raison de leur refus de livrer Oussama ben Laden, le chef d’Al-Qaïda. Ce retrait doit être achevé d’ici le 31 août. Joe Biden a depuis affirmé ne pas regretter sa décision, même si la rapidité avec laquelle l’armée afghane s’est désintégrée a surpris et déçu les Américains, qui ont dépensé plus de 1 000 milliards de dollars pour la former et l’équiper. En raison de l’accélération des événements, Washington a annoncé dans la nuit avoir décidé de « réduire encore davantage » sa « présence diplomatique » à Kaboul.
Pour mener à bien cette évacuation de diplomates américains, le Pentagone va déployer avant la fin du week-end 3 000 soldats à l’aéroport de la capitale, a précisé vendredi son porte-parole, John Kirby. Les États-Unis ont précisé qu’ils étaient prêts à évacuer par voie aérienne des « milliers de personnes par jour », tout en estimant que Kaboul ne faisait pas face à une « menace imminente ». Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider les ressortissants britanniques à partir. Le Premier ministre Boris Johnson a indiqué, après une réunion de crise, que son pays comptait « faire pression » par la voie diplomatique et politique mais exclu en l’état l’hypothèse d’une « solution militaire ».
*Les rebelles ne veulent pas négocier
Plusieurs pays, dont les Pays-Bas, la Finlande, la Suède, l’Italie et l’Espagne, ont également annoncé vendredi la réduction au strict minimum de leur présence dans le pays, ainsi que des programmes de rapatriement de leurs employés afghans. L’Allemagne annonçait elle aussi qu’elle allait réduire son personnel diplomatique « au minimum absolu ». D’autres, dont la Norvège et le Danemark, ont préféré fermer provisoirement leurs ambassades. La Suisse, qui n’y dispose pas d’ambassade, a annoncé le rapatriement de quelques collaborateurs helvétiques et d’une quarantaine d’employés locaux.
Ces évacuations interviennent alors que les rebelles restent sourds aux efforts diplomatiques des États-Unis et de la communauté internationale. Trois jours de réunions internationales à Doha, au Qatar, se sont achevés jeudi sans avancée significative. Dans une déclaration commune, les États-Unis, le Pakistan, l’Union européenne et la Chine ont affirmé qu’ils ne reconnaîtraient aucun gouvernement en Afghanistan « imposé par la force ».
*Un partage du pouvoir en échange d’un arrêt de la violence
Les talibans risquent de n’être nullement enclins au compromis, alors que les autorités leur ont proposé jeudi en catastrophe « de partager le pouvoir en échange d’un arrêt de la violence », selon un négociateur gouvernemental aux pourparlers de Doha, qui a requis l’anonymat. Le président afghan, Ashraf Ghani, avait toujours rejeté jusqu’ici les appels à la formation d’un gouvernement provisoire non élu comprenant les talibans.
À Washington, le président Biden se retrouve sous la pression de l’opposition, alors que l’évacuation programmée du personnel diplomatique ravive le douloureux souvenir de la chute de Saigon, au Vietnam, en 1975. « L’Afghanistan fonce vers un immense désastre, prévisible et qui aurait pu être évité », a fustigé jeudi le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell. La progression des talibans a un coût humain élevé. Au moins 183 civils ont été tués et 1 181 blessés, dont des enfants, en un mois à Lashkar Gah, Kandahar, Hérat et Kunduz, selon l’ONU.
(AFP)