Le Forum africain des investissements (AIF) récemment organisé en Afrique du Sud à l’initiative de la Banque africaine de développement (BAD) doit indubitablement constituer l’évènement continental le plus marquant de l’année. Un évènement qui a réuni plusieurs chefs d’Etat africains, des responsables des grandes institutions financières et plusieurs hommes d’affaires représentant le secteur privé panafricain.
C’est le premier forum des investissements intra-africains. L’objectif de l’évènement structuré autour du thème «Agir ensemble pour l’Afrique», étant de forger « une plate-forme de mobilisation des investissements africains privés pour accélérer le développement du Continent » via des échanges directs sur des projets concrets et opportunités réelles d’investissement entre autorités publiques, organismes financiers et opérateurs privés. L’enjeu étant « d’accélérer les procédures et faciliter les transactions afin de résorber le déficit d’infrastructures de l’Afrique ».
La réalité est que les besoins de financement du continent africain en matière d’investissement sont considérables et malgré les effets d’appui de la communauté internationale, il existe toujours un fossé immense entre les besoins de l’Afrique et le niveau de l’aide au développement concédée au continent, en particulier au pays les moins développés et pauvres.
Le paradoxe est que le potentiel des investissements africains est énorme mais il est sous exploité et insuffisamment mobilisé. Les différents intervenants dans le forum ont d’ailleurs reconnu « qu’ils disposaient de capitaux nécessaires » pour infléchir la balance des investissements et répondre aux besoins du continent.
Aujourd’hui en Afrique, il y a beaucoup de véhicules du financement allant des fonds d’investissements aux fonds souverains en passant par les institutions de crédit qui sont susceptibles d’être un levier de la transformation structurelle de l’Afrique via le financement des projets d’infrastructure au transport, énergie, assainissement… le renforcement des fonds propres des entreprises africaines et l’appui des budgets des Etats. En effet, au vu des limites des sources de financement traditionnelles, notamment publiques, ce sont plutôt les sources alternatives, en particulier les investisseurs institutionnels qui doivent contribuer au relèvement du défi de financement de l’investissement en Afrique.
Pour cette raison évidente, Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD), a tenu à rappeler : «Nous nous sommes engagés à accélérer le développement de l’Afrique. Nous savons que les pays ne se développent pas à partir de l’aide financière, mais grâce à une discipline en matière d’investissements ».
Selon la Banque africaine de développement, les investissements intra-africains ont augmenté au fil des années, passant de 8% des échanges du continent en 2003 à 25% aujourd’hui. Toutefois, ces investissements demeurent encore faibles et en deçà des attentes.
Ainsi, la principale question qui se pose et occupe toujours l’esprit est de savoir pourquoi les Africains gardent une attitude frileuse en face de l’investissement sur leur propre continent.
La réponse est que « si vous améliorez votre cadre réglementaire et, partant, l’environnement d’investissement, tout le monde viendra, que ce soit les locaux ou les internationaux», ont clamé experts et investisseurs.
Pourtant, les Africains se sont montrés « confiants » et « optimistes » quant aux effets des perspectives prometteuses de croissance et de la dynamique ambiante du climat des affaires en Afrique sur le choix d’investissement en Afrique par les investisseurs mondiaux et surtout des Africains eux-mêmes.
Un optimisme « béant » mais l’action doit suivre
Le Forum s’est soldé par la conclusion d’un nombre d’accords et conventions, dont notamment une lettre d’intention entre la Banque africaine de développement (BAD) et l’Agence marocaine de développement des énergies renouvelables (MASEN) pour accompagner et soutenir les pays africains, en particulier ceux de la région du Sahel (I) et un accord-cadre entre la BAD, le fonds Africa50 (un fonds stratégique pour l’Afrique cofondé par la BAD et les Etats africains), ainsi que les gouvernements de la République démocratique du Congo (RDC) et la République du Congo pour le développement et le financement du premier pont rail-route reliant leurs capitales en mode partenariat public-privé (II).
Certes, ces initiatives attestent de la volonté de la communauté africaine d’aller de l’avant et faire preuve de concret. Mais réellement, le chemin paraît long. L’Afrique a du pain sur la planche.
En effet, les deux grands messages véhiculés lors de la rencontre africaine, relèvent tout d’abord de l’urgence de l’action commune et ensuite de la nécessité de développer la qualité de l’environnement de l’investissement.
L’urgence de l’action commune consiste à passer à « une nouvelle façon de travailler ensemble, ce qui implique de travailler à plus grande échelle, plus vite et en synergie ». Faut-il traduire les slogans « politiques » en action concrète ?
La nécessité de développer la qualité de l’environnement de l’investissement signifie qu’il faut faire émerger un environnement propice à la pratique des affaires et engager les réformes requises pour accroître l’attractivité de la destination Afrique. Faut-il que l’ensemble des pays africains soient conscients de cette exigence et s’inscrivent dans une dynamique continue de réformes ?
La Tunisie se présente comme pays « récipiendaire »
La Tunisie qui a participé au Forum africain des investissements a en fait présenté deux projets aux investisseurs. Le premier concerne le projet de la centrale électrique de La Skhira avec une capacité de production de 450 à 500 mégawatts et un coût estimé à 440 millions de dollars. Le deuxième a trait au projet de la station de dessalement de l’eau de mer à Ghannouch d’une capacité journalière de 50 mille m3 et un coût estimé à 63.5 millions de dollars.
Force est de rappeler que ces deux projets ont fait partie intégrante de la liste des grands projets offerts à la Conférence internationale sur le partenariat public-privé tenue au mois de septembre dernier à Tunis.
S’il est en fait légitime que la Tunisie continue à œuvrer pour trouver les investisseurs potentiels et les véhicules de financement appropriés aux grands projets d’infrastructure et que le Forum africain des investissements soit un cadre idoine, de par son envergure continentale, à la commercialisation de ce type de projets, il faut en revanche et en même temps que la Tunisie travaille aux fins de l’internationalisation de ses entreprises.
Beaucoup de raisons exhortent aujourd’hui les entreprises tunisiennes à s’inscrire dans des stratégies de développement en dehors du marché local. La présence, hors les frontières, permet de répartir les risques entre plusieurs marchés de par les à-coups de la conjoncture économique, l’exiguïté du marché domestique, le risque de dépendance lié à l’exportation traditionnelle par la diversification géographique des échanges et l’état de concurrence qui s’acharne sur le continent et dans le monde, en plus du rehaussement de l’image de la Tunisie dans le paysage industriel et commercial au double plan régional et continental. Faut-il gagner le pari de la conquête de l’Afrique comme l’ont fait nos concurrents ?
Il faut dire que l’organisation du Forum africain des investissements est en lui-même une traduction du principe que le développement devrait avant tout être une affaire « intérieure » qui dépend de la mobilisation adéquate des ressources disponibles, notamment financières.
L’espoir est que cet évènement marque une grande inflexion d’orientation développementaliste pour le continent africain devant désormais compter avant tout sur ses ressources propres pour consacrer sa souveraineté économique, mais aussi donne à réfléchir sur les voies de l’internationalisation des entreprises tunisiennes pour faire de la Tunisie un vrai pays investisseur et donateur si l’on songe vraiment à intégrer le club des émergents.
Alaya Becheikh