Afrobaromètre sur l’équité des genres : le chemin est encore long…

Ce matin du mardi 28 mai, l’institut de sondage, « One to One for Research and Polling », a tenu une conférence de presse à Tunis. Et ce, pour présenter et discuter des résultats de l’Afrobarométre sur l’équité des genres, la santé reproductive et la violence faite aux femmes… État des lieux!

Le coup d’envoi de la conférence a été annoncé par Youssef Meddeb, CEO de « One to One for Research and Polling » à travers la présentation des résultats du baromètre précité. Globalement, il en ressort qu’en termes d’autonomisation de la femme en Tunisie, des lacunes continuent de persister. Et ce, en dépit des acquis enregistrés depuis plusieurs décennies. Il en ressort aussi que multiples contradictions et paradoxes continuent de persister en rapport avec le genre et la place de la femme au niveau de la perception collective.

Le monde actif est plutôt… masculin!

Selon les résultats de l’enquête réalisée par Afrobarometer, et même si les Tunisiens affirment que les filles et les garçons ont les mêmes chances d’aller à l’école (96%) et que les femmes (23%) sont plus nombreuses que les hommes (17%) à atteindre un niveau d’étude supérieur, plus de la moitié de la population interrogée (54%) pense toujours que les hommes devraient être priorisés pour avoir un emploi lorsque les opportunités d’emploi se font rares! A noter que cette opinion de privilégier l’emploi des hommes est plus répandue chez les hommes (58%), chez les moins instruits (63%), les moins aisés (61%), chez les plus âgés (59%) et chez ceux qui vivent dans les milieux ruraux (58%)
En effet si 85% des interviewés ne sont pas contre le travail de la femme, 15% des époux Tunisiens disent être contre le travail des épouses. Il est également à noter, que même si les femmes ayant étudié sont plus susceptibles que les hommes d’atteindre un niveau universitaire, le pourcentage de celles qui n’ont pas du tout été scolarisées demeure important (13%) comparativement avec les hommes n’ayant jamais étudié (9%). Le résultat montre également que les femmes n’ayant pas suivi d’études, sont bien plus nombreuses dans le milieu rural (21%) que dans le milieu urbain (9%.).

Il en est de même pour la possession d’actifs, les femmes sont beaucoup moins privilégiées que les hommes, c’est notamment le cas pour la possession d’un téléphone portable (88% femmes contre 91% hommes), la possession d’un compte bancaire (25% femmes contre 41% homme) et un véhicule de transport individuel (24% femmes contre 52% hommes).
A noter que le manque d’opportunités de travail à horaire flexible et le manque de service de garde d’enfants sont les deux principaux obstacles qui empêchent les femmes d’accéder et d’évoluer sur le marché du travail et non pas leur manque de compétence…
C’est presque du pareil au même quant à l’opinion sur les postes politiques occupés par des femmes. Car même si plus de ¾ des interrogés disent être pour la parité, 22% des interviewés trouvent que les hommes réussissent mieux en politique! A noter que la majorité de cette catégorie vit dans des milieux ruraux, n’a pas fait d’études, a plus de 35 ans et… 16% parmi eux sont des femmes !

Normalisation avec la violence et banalisation du harcèlement…

Outre les études et l’emploi, l’enquête s’est penchée sur le harcèlement et les violences faites aux femmes. Les résultats montrent spectaculairement qu’il y a encore du travail à faire à ce titre.

En effet, à la question « est-ce que vous croyez que les femmes sont confrontées à du harcèlement dans les lieux publics? « , 41% des interviewés ont répondu « oui et de façon courante » ! Sur les 41% précités le nombre des femmes ayant répondu « oui, souvent » était égal à celui des hommes ayant donné la même réponse. Cependant, à la question si l’interrogé « trouve que les élèves et étudiantes de sexe féminin sont confrontées à un harcèlement par leurs enseignants? », seulement 16% ont répondu oui…

Dans ce même ordre d’idées, 83% des interviewés ont répondu positivement à la question « Est-ce que vous pensez que les femmes sont crues lorsqu’elles portent plainte pour harcèlement ? » contre 17% ayant tout de même répondu négativement, ce qui prête vraiment à réflexion!  Une telle réponse montre que chez ces 17% de répondants, on ne prend toujours pas la plainte des femmes victimes de harcèlement au sérieux !

Éducation sexuelle et droits : on est encore loin !

Interrogés sur leur perception quant à l’existence du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), 42% des femmes ont répondu que le droit à l’IVG existe contre seulement 25% des hommes interviewés. Des chiffres alarmants tant ce droit existe bel et bien en Tunisie et est régi par une loi depuis plus de 50 ans ! Cependant, pour ce qui est des « justifications » de cet acte, 72% des interviewés ne sont pour l’IVG que si la santé de la mère est menacée contre 8% qui trouvent l’IVG injustifiable même si la santé de la maman est en danger ! Plus encore, 24% des interviewés trouvent que l’IVG n’est pas justifié même si la grossesse est le résultat d’un viol contre seulement 50% des interviewés jugeant que le viol justifie un IVG !

Pour ce qui est des conditions économiques difficiles, 21% seulement légitiment l’IVG contre 50% qui trouvent l’IVG injustifié dans ce cas. A noter que 71% des interviewés sont contre l’IVG s’il n’est pas la conséquence d’un viol, ne menace pas la santé de la mère ou si les conditions financières ne sont pas en cause. Seulement 29% des interviewés trouvent que la décision de l’IVG relève de la liberté personnelle ! Et, tenons-nous bien, 26% des interviewés sont pour l’incarcération des femmes ayant opté pour un IVG !

Les choses ne sont pas moins morses en ce qui concerne l’éducation sexuelle où seulement 55% des interrogés dont la majorité habitent dans les villes (85%) ou ont un niveau d’étude supérieur (68%), sont pour l’intégration de l’éducation sexuelle au sein du programme de l’enseignement contre 45% qui sont contre.

La Tunisie, pays des paradoxes !

En marge de cette présentation, un débat a été animée entre des représentants des structures publiques concernées, des acteurs de la société civile, des chercheurs universitaires et les journalistes présents quant aux résultats exposés par M. Meddeb. Les différents intervenants se sont accordés à dire que les résultats reflètent que le Tunisien est toujours tiraillé entre un esprit éclairé et moderne d’un côté et une socialisation patriarcale ainsi qu’une éducation conservatrice de l’autre.

Dr Samira Ayad, représentante du CREDIF, a laissé entendre que le genre pose toujours problème en Tunisie : « Les résultats d’une étude antérieure faite par le CREDIF sur l’image de la femme dans la société, ont prouvé que seule l’image de la mère est vénérée. Toute femme n’étant pas mère est dévalorisée dans la société! Ce constat a été confirmé avec les résultats du jour malheureusement. Tous les droits de la femme sont étroitement liés à son statut d’épouse et de mère. Un nombre important de femmes ignorent leurs droits en dehors du cadre religieux et ne sont même pas au courant de l’existence d’institutions à même de les protéger et de les aider. Pis, nombre important de celles qui sont au courant de leur existence n’osent même pas s’adresser par exemple au centre de l’OFNP par peur d’être stigmatisée ! C’est sur quoi nous devons travailler à présent: la mentalité. Il s’agit d’un travail en amont qui doit se faire de façon approfondie, commune et en parallèle avec les actions des droits et des libertés », dit-elle.

Mme Imen Zouaoui, sociologue, dit se sentir perplexe des résultats dans la mesure où le CREDIF a beaucoup travaillé sur l’axe de la violence faite aux femmes. « Je me sens sous le choc de voir que nous n’avons pas vraiment avancé depuis 2015 alors qu’une énorme campagne a été lancée à l’époque. En 2015, des études ont prouvé que 53% des femmes ont subi des violences. Et si l’étude d’Afrobarometer montre que 41% trouvent encore que les femmes sont en train de subir des violences notamment du harcèlement, c’est que nous n’avons hélas pas trop avancé ! Et si seulement 8% portent plainte pour harcèlement ou pour agression, ceci prouve que les femmes intériorisent toujours la violence, la banalisent ou ne se rendent même pas compte que certains mots et certains gestes sont considérés comme des faits avérés de violence. En neuf ans, on ne peut pas dire que la bataille a été gagnée et cette société a vraiment besoin de changer », exprime-t-elle.

De son côté Dr Hédia Belhaj, membre de « l’Association Tawhida Bechikh » qui défend les droits sexuels et reproductifs trouve inadmissible qu’on en soit là aujourd’hui : « La loi sur l’IVG existe depuis plus de 50 ans déjà ! Les institutions travaillent sur les droits depuis les années 70 et l’enseignement est obligatoire en Tunisie… Il est inadmissible que nous ayons des résultats aussi alarmants ! Il y a 5 ans, nous avons trouvé que 25% des Tunisiens ne connaissent pas le moindre moyen contraceptif ! 63% seulement sont au courant du droit à l’IVG (dont 26% seulement des hommes) ! Et jusqu’à 2023, il se trouve que 15% des Tunisiens ne savent rien du tout sur le Sida-VIH ! Ces résultats contradictoires prouvent que nous ne travaillons pas avec la bonne méthode et qu’il est urgent d’impliquer davantage les médias pour que l’information arrive à tous. Il est urgent d’intégrer l’éducation sexuelle dans le programme éducatif et il est tout aussi urgent d’informer davantage la femme sur ses droits », conclut-elle.

Oui, le tableau n’est franchement pas rose ! Il y a encore du pain sur la planche et beaucoup de travail à faire en la matière…

Abir CHEMLI

 

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