Notre agriculture vit une crise de croissance mouvementée, exacerbée par la perte d’autorité de l’Etat depuis 2011, dénoncée, par les producteurs et non encore assumée par l’Administration.
C’est là que réside le drame du monde rural mais aussi celui des consommateurs, les uns et les autres étant exploités par des intermédiaires sans scrupules : spéculateurs, gacharas et grossistes.
Le développement de cette agriculture devrait engendrer une amélioration sensible des revenus des producteurs et par suite, celle de leur pouvoir d’achat et niveau de vie tout en favorisant la croissance du PIB du pays.
La réalisation de performances au niveau de certaines récoltes comme celle de l’huile d’olive, des dattes, des céréales… est susceptible de faire baisser les prix au bénéfice des consommateurs ou du moins, stabiliser et réguler les prix sur le marché, outre le fait de promouvoir les exportations ainsi que les industries agroalimentaires.
Alors, pourquoi sommes-nous embarrassés chaque fois qu’il y a surproduction de lait frais ou de poulet, qu’il y a une récolte abondante d’olives ou de céréales alors que les situations de pénuries sont rapidement et efficacement solutionnées ? On se précipite donc pour importer, avec hémorragie de devises et compensations généreuses sur le compte du budget de l’Etat. Cela est dû à plusieurs facteurs.
Nous avons dans notre pays une carence grave en matière d’infrastructures de base (capacité de stockage, moyens de transport…), ainsi qu’une défaillance en matière de gouvernance des récoltes agricoles abondantes.
Outre l’inertie de l’Administration à prévenir les problèmes et à prendre longtemps à l’avance les mesures salutaires pour préserver les intérêts des acteurs économiques, ainsi que l’irresponsabilité des pouvoirs publics à assumer l’impact néfaste de l’abondance sur l’économie du pays.
Il y a une défaillance grave en matière d’organisation des campagnes, chaque fois qu’il y a un aspect multisectoriel : chaque ministère « tire la couverture à lui », peu importe l’intérêt supérieur de l’économie du pays ainsi que les intérêts des acteurs économiques.
La filière laitière a été laborieusement mise sur pied dans les années 2000 par les pouvoirs publics, ce qui a permis d’atteindre l’auto-suffisance en lait et dérivés, mais aussi d’exporter.
En effet, la pyramide mise en place comporte à la base un grand nombre de petits éleveurs hors-sol, livrant leurs produits aux centres de collecte qui se chargent d’approvisionner les multiples centrales laitières.
C’est l’Etat qui fixe les prix de cession sur la base des prix de revient, or avec l’effondrement de la parité du dinar et l’importation de matières premières pour fabriquer les aliments composés pour le bétail, les prix de revient ont flambé. L’Etat s’obstine à ne pas réviser les prix, d’où le sacrifice des vaches laitières et l’effondrement de toute la filière.
Sous prétexte de ne pas grever le budget de la compensation de l’Etat, le secteur de l’élevage est en train de disparaître.
Au lieu d’importer des génisses pleines de race laitière ou mixte afin de reconstituer le cheptel qui a été sacrifié faute de rentabilité à cause du coût élevé de l’alimentation du bétail, le ministère du Commerce a décidé d’importer 5 millions de litres de lait UHT pour renforcer le stock de sécurité, sinon combler la pénurie de lait sur le marché.
Il faut dire aussi que ce sont les grossistes qui organisent de façon artificielle la pénurie pour spéculer avec les hausses illicites dans le circuit du commerce de détail.
L’Etat « persiste et signe » dans l’erreur qui consiste à procéder à des importations anarchiques pour combler apparemment la « pénurie » sur le marché.
En effet, l’Administration, au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes en adoptant des solutions efficaces et durables, essaie de soigner les « symptomes » de façon provisoire et conjoncturelle. On procède à des importations anarchiques et ponctuelles mais à quel prix ? Au prix d’une hémorragie de devises, préjudiciable à la balance des paiements. Mais aussi, on saigne le budget de l’Etat avec le recours à la compensation des prix pour ne pas rançonner le consommateur tunisien.
Tout cela pour ne pas léser les intérêts du spéculateur tunisien qui exploite la situation en faisant flamber les prix. En somme, on subventionne l’agriculteur étranger aux dépens du producteur tunisien.
Ce qu’il faudrait savoir, c’est que les opérations d’importation anarchiques et ponctuelles sont souvent faites au dernier moment, dans la précipitation, d’où parfois une « méprise » sur la qualité des produits importés comme pour la pomme de terre importée de Turquie et révélée par l’UTAP comme impropre à la consommation et d’ailleurs, boudée par le consommateur (10.000 tonnes), outre le fait que cette importation friserait la suspicion de corruption.
La récolte exceptionnelle d’huile d’olive de cette année, au lieu de constituer une opportunité pour promouvoir encore plus l’export et faire bénéficier les Tunisiens de prix abordables pour consommer leur propre huile, au lieu de recourir aux importations d’huiles végétales diverses, se transforme en sit-in et grèves des producteurs.
On risque de voir cette récolte exceptionnelle se transformer en catastrophe puisque seulement 10% de la cueillette ont été transformés en huile à ce jour, car le prix de référence fixé par l’Office de l’huile est trop bas pour couvrir les frais.
Il y a incontestablement une préparation insuffisante, une capacité de stockage dérisoire, de l’ordre de 100.000 tonnes, alors qu’il faudrait 400.000 tonnes. Outre un problème de financement non encore résolu à ce jour et un manque de concertation avec les producteurs.
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