Le séjour de l’héroïne palestinienne à Tunis lève le voile sur l’efficacité politique de l’émotion publique. Le prestigieux Real Madrid l’avait reçue en Espagne, le président BCE l’accueille au palais de la fabuleuse Carthage, le populaire Club Africain l’honore et, en parfait crétin, la fustige l’ambassadeur israélien. A chacune de ses apparitions, hélas trop rares, le peuple tunisien, bouleversé, redouble d’émotion. Sa beauté naturelle n’ôte rien à son courage politique fondé sur la conviction patriotique. Une jeune fille, de son âge, Arij Hajri, me dit : « En voyant le président lui serrer la main entre ses deux mains et la contempler avec admiration, j’ai eu des larmes aux yeux ».
Interviewée le 4 octobre à la faculté du 9 avril, Ghada Haydar, âgée de 20 ans et entourée d’étudiantes, répond à mes questions : « Nous somment impressionnées par l’audace de Ahed Témimi et plusieurs imitent le style de ses cheveux.
Nous aimerions qu’elle présente sa candidature à la prochaine élection présidentielle de l’Etat de Palestine ».
Les deux claques flanquées à la soldatesque israélienne introduisent Ahed au Panthéon des icônes palestiniennes. En moins d’une semaine, elle sensibilise à la juste cause du retour bien davantage que ne parviennent à légitimer leur entreprise usurpatrice tous les ambassadeurs de l’Etat-tueur de 1948 à nos jours.
Mis à part quelques salauds, le monde entier situe Ahed bien haut. Au plan de la problématisation, comment expliquer cette élévation ?
L’anthropologue britannique Alfred Reginald Radcliffe-Brown théorise l’impératif de l’emblème groupal ou national. Il mobilise les agents sociaux liés par le même sentiment d’appartenance. L’auteur écrit : « Dans un système social constitué sur la base de nations qui se font la guerre les unes aux autres, ou sont prêtes à la faire, un sentiment patriotique intense chez ses membres est essentiel pour maintenir la puissance de la nation ».
La raison de l’émotion éprouvée par les interviewées, a partie liée avec l’accès de Ahed à ce palier où la reconnaissance d’un peuple entier propulse la personne sur la clef de voûte indispensable à la production et à la reproduction de la mobilisation. Ahed incarne l’idéal d’une lutte engagée, même sans arme, contre l’armée surarmée. La symbolique emblématique transcende la personne, la transfigure et suit la reprise de la nature par la culture. Quand, à la Manouba, à Sejnane ou à Ben Gardane, Daech brandit le sigle noir en lieu et place du signe écarlate, le peuple, presqu’entier, vit la substitution tout comme une agression. De même, le peuple de Palestine perçoit en Ahed, le symbole existentiel du combat national. D’allure anecdotique, la saga vécue par Ahed suggère une authentique problématique théorique. Mais qui tire « les ficelles » derrière l’itinéraire personnel de Ahed ? Posée par les tenants de l’esprit chagrin, l’interrogation cligne vers les censés savoir, sans jamais rien savoir. Pris au piège des couples d’opposition, ils voient le noir là où apparaît le blanc et leur esprit retors donne à voir la vie pour la mort. D’un revers de main, le courage politique de Ahed écarte le radotage de ces petits malins. Le test véridique émane de la spontanéité publique en Espagne, en Tunisie ou ailleurs, sauf parmi les ambassadeurs hurleurs. Les mots et les gestes osés par Ahed remettent en question l’usurpation. Pour cette raison, ils ont à voir avec la plus rare des perles rares.
Les sarcasmes commis par l’idiotie émanent du plus froid des montres froids.
Voilà pourquoi Daniel Kutner, ambassadeur d’Israël en Espagne, dit : « Ahed Témimi ne combat pas pour la paix, elle défend la violence et la terreur. Les institutions qui l’ont reçue et célébrée encouragent indirectement l’agression et non le dialogue et l’entente dont nous avons besoin ».
Merci pour le dialogue sur fond d’occupation et au rythme d’assassinats permanents. « L’Etat nation juif » signifie l’exclusion et l’élimination du peuple palestinien par son extermination planifiée depuis 1948 jusqu’à maintenant. Par mesure de rétorsion adoptée contre le droit au retour, Natanyahu restreint la zone de pêche des Palestiniens. Par ce procédé, les affameurs des peuples, tels Trump, Natanyahu et Salmane, sèment, à tout vent, les graines de la terreur.
Aujourd’hui, le dirigeant du seul pays nucléaire de la région va chez Poutine pour dénicher le moyen de continuer à canarder les défenseurs des Palestiniens sans risquer d’affronter l’armée rouge invitée par les Syriens. A maintes reprises, Natanyahu essaye d’assassiner Nasrallah. Qu’attend celui-ci pour instituer la réciprocité ?
Le dialogue et l’entente évoqués par la fureur de l’ambassadeur convolent en justes noces avec la rengaine de la paix américaine. « Crevez de faim ou bien soumettez-vous à ma loi d’airain », telle est la logique des crétins.