Pour sa première allocution plus de cent jours après sa prise de fonction, Ahmed Hacjani s’est adressé aux députés de la nation dans un discours essentiellement articulé sur les questions d’ordre économique.

Par Hatem Bourial
Depuis vendredi 17 novembre, l’Assemblée des représentants du peuple a entamé les débats autour du budget de l’État pour l’exercice 2024. Les députés seront également mobilisés par l’examen du projet de loi de Finances dans un cycle de débats qui se poursuivra jusqu’en décembre.
Très attendu, le Chef du gouvernement, Ahmed Hachani, devait à cette occasion prendre la parole devant les députés afin de présenter le projet et les orientations préconisés dans le cadre de sa politique générale. Ce discours était d’autant plus attendu que Hachani s’exprimait pour la première fois sous la coupole du Bardo et venait de boucler ses cent premiers jours à la tête du gouvernement.
Ayant succédé à Nejla Bouden, le 1er août dernier, Ahmed Hachani a rarement pris la parole depuis le début de son mandat. Cultivant la discrétion, ses apparitions en public sont rares, laissant entendre qu’il privilégiait l’effort soutenu à l’abondance des déclarations. Ce premier discours devant les députés est d’ailleurs révélateur de la démarche du Chef du gouvernement. De fait, Ahmed Hachani était quasiment autant scruté en ce qui concerne sa méthode que par rapport au contenu de son allocution. À vrai dire, beaucoup reprochent au locataire de la Kasbah de s’exprimer peu tout en restant relativement en retrait. Dans cette optique, ce premier discours aura d’abord servi à remettre les pendules à l’heure et souligner la méthode qu’entend imprimer Hachani à l’action gouvernementale. De même, cette prise de parole a permis de mettre en évidence les grandes orientations dé- finies par le pouvoir exécutif tout en accordant la priorité à la situation économique.
Un premier discours devant les députés de la nation
Que faut-il retenir de ce premier face-à-face avec les députés ? Quels ont été les axes majeurs de ce discours dont le calendrier a voulu qu’il intervienne un peu plus de cent jours après la nomination du Chef du gouvernement ? En quoi cette allocution renseigne-t-elle sur le style propre et la méthode de travail d’Ahmed Hachani ? Au-delà des débats autour du budget de l’État, nous tenterons de répondre à ces questions par le biais de cinq observations.
- Symbiose entre les deux têtes de l’Exécutif. Le Chef du gouvernement a mis en exergue l’impact positif de ce qu’il a qualifié de « stabilité politique depuis juillet 2021 ». Ce point précis est essentiel car il laisse entendre que l’heure n’est plus à la cacophonie qui a pu régner lorsque des voix discordantes provenaient des palais de Carthage et de la Kasbah.
Cette « stabilité politique » est ainsi à relier au passage du régime semi-parlementaire à un régime présidentiel puisqu’aussi bien lors de la présidence de Beji Caïd Essebsi que durant les premières années du mandat de Kaïs Saïed, les tiraillements avaient été nombreux et avaient souvent paralysé les institutions.
Aujourd’hui, le Chef du gouvernement considère qu’il agit dans le cadre des politiques générales tracées par le chef de l’État et souligne la « symbiose » qui existe entre les deux pôles du pouvoir exécutif. Ainsi, Ahmed Hachani œuvre aussi bien pour la dynamisation de l’action gouvernementale que pour sa mise en cohérence avec les choix du président de la République.
- Un fonctionnement harmonieux des institutions. L’adjectif « classique » pourrait être évoqué en ce qui concerne les institutions et leurs relations. En effet, la répartition des compétences entre les deux têtes de l’Exécutif est aujourd’hui bien mieux comprise par l’opinion publique. Pour mémoire, on se souvient de la réaction d’incompréhension de l’opinion lorsqu’il s’est avéré que BCE ne gouvernait pas et que l’épicentre du pouvoir se trouvait à la Kasbah. Les électeurs n’avaient pas compris pourquoi un président élu au suffrage universel devait s’effacer devant le gouvernement qu’il nommait.
C’est bien cette confusion qui avait en grande partie entraîné une désaffection grandissante pour le système parlementaire.
Depuis le 25 juillet 2021, le Chef du gouvernement a raison de le souligner, ce hiatus au sommet a été résorbé au profit d’une harmonisation plutôt bien ressentie par les électeurs.
Dès lors, le gouvernement déploie son action dans le sillage du président de la République et le pouvoir exécutif parle d’une seule voix. Cette distribution des compétences est bien comprise par l’opinion qui retrouve un schéma dont elle saisit la logique et peut constater le bien-fondé.
- Quelle dynamique pour le Chef du gouvernement ?. C’est dans la droite logique de cette répartition des compétences que se développe l’action gouvernementale. C’est ce qui définit le profil et la méthode du chef du Gouvernement. Ahmed Hachani définit ainsi son rôle par rapport aux impulsions données par le chef de l’État.
Vecteur d’efficacité et de cohésion, le locataire de la Kasbah a adopté une communication en retrait, privilégiant la primauté de Carthage. Quasiment pour la première fois depuis 2011, la Kasbah n’est pas en quête d’autonomie et les deux sphères de l’Exécutif ne s’affrontent plus mais se complètent.
À ce titre, c’est bien de cette « stabilité politique » que parle Ahmed Hachani qui fait le choix du travail et de l’effort plutôt que celui de la communication.
On peut à bon escient considérer la communication de la Kasbah comme insuffisante ou encore penser que le Chef du gouvernement devrait être plus présent par la prise de parole ou les apparitions publiques. Toutefois, les choix de Hachani sont différents et plus sobres : c’est le costume d’un commis de l’État qu’il porte avec au premier chef, un devoir d’efficacité et, rappelons-le, de cohérence dans l’action gouvernementale.
En fin de compte, c’est en relation permanente avec Carthage et surtout tourné vers les départements ministériels que le Chef du gouvernement mène son travail, l’œil sur les indicateurs qui importent et à l’écoute des attentes des citoyens.
- Une logique où prévalent le travail et l’efficacité. Pour Ahmed Hachani, les enjeux sont dans la dimension du concret. Il affirme que « ce qui importe le plus, ce sont le travail et les résultats » et confirme que s’il s’exprime peu, c’est aussi parce qu’il considère que « les paroles doivent suivre les actes ». Là encore, après une décennie de promesses non tenues, l’opinion est au diapason de cette attitude qu’elle comprend d’autant plus qu’elle constate que le pouvoir exécutif parle d’une seule voix et ne s’égare plus dans les impasses qui avaient fait le lit de l’instabilité politique des années antérieures.
De plus, Ahmed Hachani a insisté dans son discours sur le fait que l’action gouvernementale et la politique de réformes s’inscrivent dans une vision à moyen terme. Il a en effet précisé que les projets actuellement envisagés sont inscrits dans le cadre prospectif de la vision de la Tunisie en 2035. C’est à cette aune de nouveau plan de développement que les politiques générales sont définies.
Ce fait a également toute son importance car, malgré les difficultés conjoncturelles, le gouvernement agit dans un cadre global clairement délimité et trouvant sa source autant dans les objectifs de la Révolution tunisienne que dans les défis contemporains. Comment réformer si l’on ne considère pas les impératifs d’un développement régional équitable ou d’un aménagement inclusif du territoire ? Comment réformer sans prendre en compte la justice sociale et le fondement qu’elle constitue pour la cohésion sociale dans son ensemble ?
Comment réformer sans promouvoir une économie du savoir, compétitive et diversifiée, verte et solidaire, s’appuyant sur l’initiative privée et le capital humain ?
Tels sont les grands axes qui découlent de la vision stratégique 2035 et de la bonne gouvernance pour le progrès.
- Entre conjoncture difficile et devoir de résilience. Dans ce premier discours, le Chef du gouvernement a fait part de son optimisme et de la nécessité absolue de revenir à une culture où la valeur travail est le socle essentiel.
S’adressant aux députés, Ahmed Hachani les a rassurés sur la situation économique qui reste tributaire d’une « conjoncture particulière ». Il a estimé que malgré les circonstances, la Tunisie a fait preuve de « résilience », disant que « le pays poursuit ses Réformes conformément au principe d’un État solidaire et dans une culture de travail et de confiance ».
Pour Ahmed Hachani, les clés d’un retour à la croissance sont à portée de main au vu de l’amélioration de plusieurs indicateurs comme le paiement des dettes extérieures, la réduction de l’inflation, l’amélioration de la balance commerciale et l’augmentation des réserves en devises.
C’est dans un esprit de cohésion sociale que se présente le projet de loi de Finances pour l’année prochaine. Selon le Chef du gouvernement, deux grandes orientations structurent ce projet : la prise en compte des équilibres budgétaires et une meilleure performance fiscale. Enfin, Hachani a précisé que les réformes ne devaient pas pénaliser les classes moyennes et les catégories à faibles revenus.
Sobriété, pédagogie et positivité
S’évertuant à communiquer un message positif, le Chef du gouvernement a fait preuve de pédagogie sans se départir de sa sobriété. Se plaçant dans un sillage qui prône l’efficacité et la résilience, il a également en filigrane, mis en exergue la symbiose entre Carthage et la Kasbah, un élément central dans le rendement du gouvernement.
Les députés à qui s’adressait Ahmed Hachani l’ont-ils entendu ? Le marathon des débats budgétaires ne fait que commencer et les prochaines semaines devraient nous montrer plus clairement les positions des députés de l’Assemblée des représentants du peuple. Un point a d’ailleurs d’ores et déjà animé les premières interventions des représentants de la nation qui, dans leur diversité, ont pointé la hausse de la pression fiscale et l’incapacité à générer des richesses et mobiliser des ressources par d’autres biais.