Ahmed Mestiri : la « candidature » de la discorde

Encore une fois, les dirigeants d’Ennahdha, après avoir accepté, contraints et forcés, la feuille de route du Quartet de la société civile et la démission de leur gouvernement, ont trouvé le moyen de se dérober et de continuer leurs manœuvres dilatoires en jouant sur les désaccords de l’opposition. Ils sont venus au dialogue concernant le choix de la personnalité indépendante appelée à diriger le gouvernement de compétences en déclarant qu’ils n’avaient pas de candidats. Les négociations se sont déroulées de façon consensuelle jusqu’à l’ultime étape où il fallait choisir entre les deux noms restés en lice après l’élimination des autres :
– Ahmed Mestiri, âgé de 88 ans, qui déclarait à qui voulait l’entendre depuis la chute de Ben Ali, face auquel il avait jeté l’éponge dès la fin des années 1980, qu’il n’était candidat à aucune fonction politique,
– Et Mohamed Ennaceur, âgé de quelque 80 ans, qui a disparu du paysage politique depuis les années 1980 pour réapparaître dans les gouvernements de transition avant les élections du 23 octobre 2011, comme ministre des Affaires sociales, un poste qu’il avait occupé du temps de Bourguiba.
Voyant que la candidature d’Ahmed Mestiri, – malgré lui, si l’on croit ses déclarations -, divisait le Front du salut, Ennahdha s’y est accrochée comme à une planche de salut inespérée : Ahmed Mestiri est devenu tout à coup le sauveur attendu, la seule personne digne de confiance à laquelle les dirigeants d’Ennahdha accepteraient de remettre le « dépôt » (al-amâna) que « Dieu et le peuple » leur auraient confié ! Comme dirait Victor Hugo, « Dieu et le peuple, on a toujours parlé en leur nom » et les islamistes, cumulant bigoteries et populisme, sont bien placés pour les faire passer pour des cautions de leur coup d’État rampant.
Que les dirigeants d’Ennahdha s’accrochent à la candidature non déclarée d’Ahmed Mestiri, pour faire capoter le dialogue national auquel ils sont venus à reculons sous la pression de la société civile et de l’opposition, c’est tout à fait compréhensible et attendu. Mais que les composantes du Front de salut se laissent aussi facilement diviser par cette candidature piège alors qu’ils avaient résisté à d’autres épreuves pour renforcer leur unité et se hisser à la hauteur des attentes de la société civile entrée en résistance ouverte depuis l’assassinat du constituant Mohamed Brahmi, c’est non seulement incompréhensible, c’est surtout irresponsable. Ils ont offert sur un plateau un cadeau surprise à Ennahdha et aux adversaires du dialogue national pour réaliser leur objectif. C’est d’autant plus incompréhensible que les candidats préférés des uns et des autres ont été éliminés et sacrifiés pour sauver le consensus nécessaire à la réussite du dialogue national : ni le Front populaire, ni le Parti républicain ni l’Union pour la Tunisie n’avaient au départ une préférence pour l’un ou l’autre des deux noms restés en lice.  Quelle est la logique qui peut expliquer l’acceptation de l’élimination de leurs candidats pour éviter l’échec du dialogue national, d’une part, et l’incapacité à trouver une entente pour éviter le piège tendu par la Troïka à travers la candidature de discorde d’Ahmed Mestiri, d’autre  part ? C’est là une faute dont ils auront à répondre quelle que soit l’issue des tentatives du Quartet de la société civile pour sortir de la nouvelle impasse du dialogue national suspendu depuis plus d’une semaine.
Houcine Abbassi a raison de refuser la sollicitation de « l’homme providentiel », Ahmed Mestiri, déclarant, après la discorde suscitée par sa candidature non déclarée, que si le Quartet le lui demandait, il accepterait de diriger le gouvernement. S’il était vraiment à la mesure de la situation, il aurait décidé le retrait de sa candidature pour aider à la sortie de la crise suscitée par son nom, surtout après son rejet par 14 voix sur 18. Les partis politiques ayant montré leur irresponsabilité, il appartient au Quartet de choisir la personnalité qui doit diriger le gouvernement de compétences sans passer ni par l’accord des partis, ni par le recours à l’Assemblée constitutionnelle qui est le principal obstacle à la réussite de la transition démocratique.

Par Chérif Ferjani

 

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