Aïd el fitr,la magie du sacré

 

Patrimoine immatériel est une nouvelle rubrique que nous proposons à nos lecteurs une fois par mois. Elle se donne pour mission l’identification, la valorisation et la sauvegarde de notre patrimoine immatériel.

Selon l’UNESCO, le patrimoine culturel immatériel est la source principale de la diversité culturelle humaine. Il englobe «les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine.»

 

Cette fête marquant la fin du mois de Ramadan est accompagnée d’un ensemble de rites religieux et coutumiers qui présentaient quelques variantes selon les régions.

Au cours de la dernière semaine du mois Saint débutent les préparatifs pour l’Aïd par la préparation de gâteaux pendant de longues nuits de veillée. Se manifeste alors un grand phénomène d’entraide dans lequel les femmes se déplacent les unes chez les autres afin de se prêter main forte pour la confection des gâteaux.

A Tunis, les citadines engageaient des femmes connues et fidélisées appelées halouaniya pour les aider dans la préparation de leurs gâteaux. Ces femmes étaient en fait, les véritables détentrices de cet art.

Dans le but d’alléger la fatigue occasionnée par tous ces préparatifs, les femmes créaient entre elles une atmosphère festive en chantant, en dansant et en poussant des youyous. La cuisson des gâteaux se faisait chez le boulanger du coin.

Dès le matin, les femmes y envoyaient un de leurs enfants afin de prendre rendez-vous pour le soir. Il arrivait, selon les régions, que l’une des dames, la halyouaniya ou l’une des domestiques se déplaçât jusqu’au fournil pour vérifier le degré de cuisson des gâteaux ou pour arroser le plateau de baqlaoua de sirop «bountou». Ce gâteau majestueux devait impérativement être présent en l’honneur de cette grande fête avec accessoirement une variété de ghraïba (de sorgho, de pois chiche et de semoule) de forme pyramidale, des maqroudh, des ouedhnine el qadhi appelés également débla, des chbebek el janna, des kaak ouarqa, des jaouia, etc. La pâtisserie est, avant tout, une bénédiction divine rapportant la baraka à la fête et porte donc bonheur. Elle est aussi un symbole de joie.

La fête de l’Aïd el fitr offrait à la maîtresse de maison trois jours de repos des activités culinaires.

En effet, les plats cuisinés étaient préparés à l’avance, lui permettant de participer aux différentes réunions familiales occasionnées par cette festivité et de se reposer des besognes fastidieuses du mois de Ramadan.

Parmi ces plats figuraient obligatoirement les Hlâlem et la mloûkhia ou la Madfoûna.

La troisième préparation pouvait être un plat à base de poisson ou de légumes, ou une Ma’aqoûda. Même le pain était préparé la veille de l’Aïd, il s’agissait de Khobzet el tbaq badigeonné d’huile, de safran et d’un peu d’eau pour qu’il ait une coloration jaune, décoré avec des graines de fenouil, des graines de nigelles sinouj, des graines de sésame et des graines d’anis vert habet ahlaoua et présentant des dessins en cercle et en losange.

Au cours de la nuit du doute, l’annonce de l’Aïd se faisait à coup de canon à la vue du croissant.

Au cours de cette soirée, les bains maures restaient ouverts toute la nuit, les coiffeurs ne désemplissaient pas de clients de tout âge. Les tailleurs, les marchands de chaussures et les fabricants de chechiya, ne fermaient leurs échoppes qu’une fois leurs commandes honorées.

Impatients de porter les vêtements neufs de l’Aïd, les enfants se levaient très tôt et attendaient le retour de leur père de la mosquée. A son arrivée, ils se précipitaient à sa rencontre, embrassaient le dos de sa main et prononçaient le vœu magique «Aïdek mabrouk» pour enfin recevoir leur dû la mahba.

En accompagnant le père dans sa tournée pour visiter les membres de sa famille, les enfants continuaient à recevoir la mahba de chacun de leurs hôtes. En ce jour, les enfants n’étaient pas les seuls à porter du neuf et à recevoir des cadeaux. Il en était de même pour le boutbila, il s’agit du tambourineur qui sillonnait les ruelles de la médina pour annoncer le moment du s’hour à chaque famille de son secteur en s’arrêtant devant chaque maison et en appelant ses membres un par un. Ses efforts étaient récompensés par une certaine somme d’argent qui restait à la discrétion de son donneur et par un grand plat rempli des gâteaux de l’Aïd. La maîtresse de maison, quant à elle (selon les moyens de la famille) recevait en ce jour de fête un bijou que lui offrait gracieusement son mari par reconnaissance pour ses efforts et ses exploits culinaires au cours de ce mois Saint et surtout pour avoir vérifié avec le bout de sa langue le salage des plats afin que le mari ne tombe pas sur un plat trop salé à la rupture de son jeûne.

 

Les enfants rois

Le jour de l’Aïd el fitr, les maîtresses de maison offraient, avec les gâteaux, du café aux personnes venues leur rendre visite. A Tunis, il y avait une croyance qui interdisait le refus de cette tasse de café. En effet, si ce dernier n’était pas accepté, la famille hôte risquait de perdre l’un de ses membres. Le café, appelé el chédlia, avait une connotation mystique par référence au saint Sidi Belhassen El Chadly. Le plateau contenant l’assortiment complet des gâteaux confectionnés à l’occasion était régulièrement regarni entre deux visites.

La visite des parents concernait également les morts. Dans certaines régions, les gens qui allaient réciter la fatiha pour l’âme de leurs proches prenaient avec elles des gâteaux qu’elles offraient aux pauvres se trouvant au cimetière. Ces derniers recevaient également avant la prière de l’Aïd, l’aumône de la rupture du jeûne la fitra.

Les enfants filles et garçons étaient donc, en ce jour, parés de leurs nouvelles tenues et protégés par de petits talismans épinglés à l’intérieur de leurs habits ou par des dessins de poissons et de main de Fatma khomsa figurant sur les chechiya des garçonnets et les petits pendants des colliers des fillettes.

A la faveur de cette fête, ces dernières étaient autorisées à se farder les paupières, à se maquiller les yeux avec du khol et les lèvres avec un rouge vif sous le regard envieux de leurs aînées déjà recluses. Principaux héros de cette mise en scène festive, les enfants se dirigeaient ce jour-là vers les décors de la fête foraine installés pour l’occasion.

A Tunis, la place Halfaouine constituait le lieu de rencontre de tous les gamins venus dépenser leur mahba. Plusieurs stations faisaient la joie de ces enfants qui comptaient bien profiter de toutes les attractions installées en leur honneur. Parmi elles figuraient un manège de chevaux de bois, un spectacle de marionnettes mimant un duel de cavaliers, un manège de choqliba faisant tourner la tête de la plupart, un fakir crachant du feu, une boîte magique sandouq ajab faisant défiler des images de pays lointains ? etc.

Egalement appelé Aïd ess’ghir, cette fête, ce jour sacré est le jour de l’année le plus attendu par les enfants où tout leur est permis et où ils peuvent laisser leur innocence s’exprimer. Pour les adultes, il constitue le jour de la réconciliation et du pardon car par sa magie, il permet de gommer toutes les fautes et d’ouvrir une nouvelle page avec la famille et avec Dieu.

 

Sonia Mlayah Hamzaoui

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