La situation budgétaire tunisienne devient très préoccupante au point de l’intoxication. C’est monnaie courante de proclamer à tort ou à raison l’incapacité de l’Etat de payer les salaires des fonctionnaires, à même de clamer la faillite de l’Etat. Les voix ne cessent par ailleurs de s’élever pour accuser les autorités publiques d’avoir négocié avec le Fonds monétaire international une politique d’austérité budgétaire qui n’est, selon ses tenants, qu’une démarche de « paupérisation de la population ». Certes, la sinistrose est exagérée. Mais, il est tout aussi vrai que la progression récente de la masse salariale et de la dette publique a placé la politique budgétaire dans un environnement très contraint par un manque de ressources dû à l’essoufflement de la croissance.
La baisse tendancielle du déficit budgétaire global durant les trois dernières années ne doit pas en effet occulter les vulnérabilités des finances publiques du fait de la grande distorsion entre les dépenses de l’Etat. Cette baisse du déficit n’a pas permis non plus de faire refluer la dette publique qui continue à s’accumuler tant que les comptes publics sont dans le rouge. Une mise au point, voire un assainissement de la situation budgétaire s’avère impérieux. Cependant s’il importe de rétablir la crédibilité budgétaire du pays, il est délicat de définir et réaliser l’ajustement approprié en ampleur et en qualité dans un contexte de récession économique et un climat sociopolitique tumultueux.
Pourquoi l’ajustement budgétaire ?
L’ajustement budgétaire est le rééquilibrage des ressources et des dépenses de l’Etat en vue d’une position saine et viable des finances publiques, tout en réduisant au minimum les coûts en termes de bien-être. Il impliquer soit un resserrement, soit un assouplissement de l’orientation budgétaire selon le sens et l’origine du déséquilibre. En l’état actuel des choses, où on s’inquiète beaucoup au sujet des déficits publics manquant de crédibilité budgétaire, des passifs conditionnels et d’une structure de budget marquée par la prépondérance des dépenses improductives aux dépens de l’investissement public, un resserrement approprié des comptes publics doit créer un matelas ou espace budgétaire permettant de compenser les chocs ou les fléchissements de la conjoncture. Ce qui est favorable à la croissance économique et à réduction de la pauvreté, ainsi qu’à l’aversion aux risques de surendettement et de crises financières. Le rééquilibrage des finances publiques est un instrument de stabilité macroéconomique à court terme. Un défaut de rigueur dans la politique de finances publiques peut conduire à l’inflation, à un effet d’éviction, à une dégradation des paiements extérieurs, à l’incertitude et à la volatilité qui ont tous pour effet d’entraver la croissance.
Un ajustement budgétaire avisé peut également permettre de mobiliser l’épargne domestique, promouvoir une meilleure affectation des ressources et contribuer à la réalisation des objectifs de développement, lesquels exigent une modification des structures budgétaires, notamment une augmentation des dépenses productives dans le domaine social et une plus grande efficacité des dépenses publiques sur la croissance. Grâce à la crédibilité budgétaire acquise en se montrant à même d’assumer le service de la dette et ne pas « menacer » d’une augmentation de l’impôt ou et d’un défaut de paiement, les primes de risque sur les taux d’intérêt diminuent, la confiance s’améliore et la demande globale se voit stimuler. En effet, un pays qui rassure les marchés quant aux politiques budgétaires futures peut être en mesure de maintenir un plus fort degré d’endettement. D’où la nécessité de réduire la rigidité des structures budgétaires actuelles.
La délicatesse de l’ajustement budgétaire
Dans l’idéal, une politique budgétaire prudente dans les périodes fastes augmente considérablement la marge de manœuvre en temps d’adversité. En effet, le resserrement budgétaire devrait commencer au moment ou l’économie entre dans la phase d’expansion du cycle économique, ce qui permet d’atténuer les effets pervers immédiats de la contraction.
La complexité de la situation tunisienne réside dans le fait que l’économie nationale traverse une phase de récession mêlée à une réelle dégradation des équilibres financiers, laquelle dégradation empêche la politique budgétaire de jouer son rôle de stabilisation cyclique. L’Etat, confronté à de graves difficultés financières, n’a guère d’autre choix que d’assainir ses comptes et que tout retard d’ajustement ne peut se solder que par une crise plus aigue. Les marges de manœuvre sont en fait très restreintes. Néanmoins, l’Etat est appelé en même temps à dépenser plus pour la sécurité du pays, à soutenir les entreprises en difficultés, à engager les projets de développement dans les régions défavorisées, à donner un coup de pouce aux collectivités territoriales à la veille des élections municipales, à payer un effectif pléthorique, à régler une lourde charge de dette demandant elle-même une croissance moins atone qu’actuellement etc.
De surcroît, une orientation budgétaire trop stricte risque d’entamer la confiance plutôt que de la restaurer, étant donné que le ralentissement lui-même inquiète les opérateurs économiques, en particulier les investisseurs. Des mesures de forte compression budgétaire d’urgence au détriment de l’efficacité à long terme risquent davantage de nuire à l’investissement, à la croissance et à la stabilité sociale, et de faire sombrer le pays dans un cercle vicieux. D’où la délicatesse de l’opération d’ajustement.
Des choix pratiques d’ajustement budgétaire
La reconstruction de la crédibilité budgétaire ne peut se faire seulement par des réformes durables dont les effets se font sentir à long terme, mais nécessite des actions d’accompagnement de court terme réduisant visiblement le déficit public et modulant progressivement la structure des dépenses sans trop affecter l’activité et l’emploi. Outre la taille du déficit budgétaire et la baisse de l’endettement initial, ce qui importe est la consistance de l’effort d’ajustement et la manière dont est perçue sa viabilité à long terme.
Les à-coups de la gestion budgétaire qu’illustre l’évolution du déficit budgétaire global, si persistent, ne pourront être compatibles avec la situation économique du pays. Une réduction régulière de 30 points de base du déficit budgétaire par rapport au PIB sur un période de trois ans est fortement recommandée. Cette allure doit exprimer en fait une orientation budgétaire modérée qui respecte le nécessaire retour à l’équilibre, mais sans pour autant compromettre l’objectif recherché de la reprise économique. Cet ajustement doit s’inscrire dans un cadre macroéconomique cohérent à moyen terme. Les interactions importantes doivent se faire avec la politique monétaire, la politique de change et les diverses politiques structurelles.
Des économies ciblées sur les exercices budgétaires 2017-2018
L’Etat, appelé à réduire promptement le déficit budgétaire, peut trouver vraisemblablement difficile, voire impossible d’augmenter à court terme le niveau des recettes publiques et ce pour deux essentielles. La première tient au non possibilité de retrouver rapidement le plein régime de croissance, laquelle constitue la principale source des recettes fiscales de l’Etat. Le deuxième a trait à la non possibilité d’accroitre la charge fiscale dans une conjoncture difficile au risque de pénaliser encore plus la consommation et l’investissement. La troisième relève de la réforme fiscale dont les effets se feront sentir à moyen terme et demeure tributaire toujours de la dynamique de croissance. Tout de même, la seule recommandation est de renfoncer le contrôle fiscal pour endiguer la fraude et mobiliser des ressources au profit du trésor. L’Etat doit ainsi trouver des moyens de faire des économies sur les dépenses. Toutefois, ces mesures de réduction des dépenses doivent être pragmatiques et adaptés à l’objectif de stabilisation et réalisables compte tenu des contraintes politiques, économiques, et sociales. Il s’agit notamment de :
- Réduire la masse salariale : le recours à cette source importante d’économie doit être conçu comme une solution temporaire pour rester efficace. Un plafonnement de la masse salariale sur deux-trois ans peut porter sur le blocage des recrutements hors les secteurs stratégiques (éducation et santé), la suppression des postes vacants et le gel des augmentations salariales.
- Eviter les coupes générales dans les budgets des administrations publiques : les économies de dépenses doivent être ciblées et bien étudiées pour ne pas produire d’effets pervers, en l’occurrence le gonflement des arriérées, le dysfonctionnement des services publics vitaux et l’alourdissement à terme des coûts économiques suite à une baisse des crédits alloués aux dépenses d’entretien des infrastructures.
- Améliorer le ciblage de certaines dépenses de subvention: en attendant, la refondation du système des transferts sociaux, il est possible de réviser à la hausse le prix de vente de la « baguette » de quelques millimes, et économiser par là des centaines de millions de dinars sans créer des heurts sociaux.
- Ne pas réduire les programmes d’investissement : les programmes d’investissement sont souvent la cible privilégiée des réductions budgétaires à court terme. Il est pratiquement déconseillé de différer les projets de développement même ceux dont l’exécution n’a pas encore commencé. L’investissement public doit être une source principale de croissance où l’attitude frileuse de l’investissement privé demeure béante.
- Améliorer le recouvrement des coûts de certains services publics : s’il importe de veiller à la quantité et la qualité des services publics dans les domaines prioritaires comme l’éducation et la santé, il s’avère judicieux d’améliorer le recouvrement de coûts de certaines prestations offertes par les entreprises publiques en procédant à des augmentations légères des tarifs ou des redevances, à même de reporter certaines dépenses jugées non prioritaires des dites entreprises. Ces ajustements permettent de desserrer les contraintes de trésorerie des entreprises et par ricochet les dépenses de subvention de l’Etat et d’engager en filigrane un processus de rationalisation de la consommation de certains biens publics.
- Assurer un service de dette à moindre coût : les deux prochaines années verront une montée en flèche de la charge d’amortissement de la dette qui risque de plomber les finances publiques. Les pouvoirs publics sont ainsi appelés à persévérer sur la voie de la négociation avec les pays et institutions partenaires la possibilité de rééchelonner certains engagements qui arrivent à échéance, à l’instar du report du remboursement du prêt qatari prévu initialement en 2017.
Les réformes structurelles des finances publiques
Une réduction efficace et soutenable du déficit public nécessite un dosage bien conçu des politiques de recettes et de dépenses. Ce qui requiert l’amélioration du système fiscal et un rééquilibrage de la structure des dépenses. La réforme fiscale en cours devrait en effet déboucher sur un « bon système » susceptible de dégager des recettes, et produire l’effet microéconomique de la fiscalité en termes d’affectation des ressources et de réparation des revenus, c’est dire un système efficient, transparent, équitable, qui encourage à l’activité, et arc-bouté sur une administration fiscale moderne et efficace.
La productivité des dépenses publiques revêt une importance capitale pour le redressement et al viabilité des finances publiques, en particulier lorsque les ressources disponibles pour assurer les services publics sont limitées. En l’occurrence, il est primordial de réformer en profondeur la structure des dépenses publiques en se basant sur une évaluation en fonction de leur impact sur la croissance et l’investissement ainsi que sur le rendement social et l’équité.
Une structure productive et viable des dépenses publiques suppose la réforme de la fonction publique et des entreprises publiques, la rationalisation des dépenses de fonctionnement, la refonte du système de retraite, l’optimisation de l’investissement public et le ciblage des subventions et transferts sociaux.
L’austérité n’est crédible que lorsque les politiques de redressement budgétaire s’intègrent dans la durabilité. Se soumettre à des mesures de rafistolage d’urgence n’est pas un choix, c’est plutôt une contrainte qu’impose l’état des finances publiques nationales. Ce rafistolage aura un coût, mais le coût d’un manque de crédibilité budgétaire sera certainement plus élevé à défaut d’ajustement. L’expérience a montré que les rigidités structurelles des finances publiques peuvent saper la capacité des Etats à s’adapter à l’évolution de la conjoncture. En gelant les structures budgétaires actuelles, ces rigidités peuvent entamer la stabilité macroéconomique future, la viabilité de la dette et la fonction de stabilisation de la politique budgétaire. Oser pour avoir le vent en poupe !
Alaya Becheikh