« Pour construire un sanctuaire il faut qu’un sanctuaire soit détruit »
Nietzsche
Le carnage rédige en rouge sang le télescopage provoqué entre deux visages exhibés, l’un par la démocratie et l’autre par la théocratie. Jusqu’ici, dernier de la série, le drame jette aux orties le rêve du compromis. L’Allemagne de l’après-guerre inventa sa démocratie chrétienne mais, aujourd’hui, en Tunisie une lutte à mort tend à confronter les démocrates aux théocrates. Au vu de ce clivage profond, la notion de « cause commune » évoquée pour « sauver la nation » inscrit par pertes et profits l’observation de la bipolarisation. Or la guerre engage deux adversaires. Lorsque, sous le choc traumatique, le clan démocratique annonce, entre autres, la fermeture de quatre-vingts mosquées non régulées, la fraction théocratique y perçoit la propension inavouée au rejet de toutes les mosquées car, pour elle, islam, islamisme et djihadisme ont partie liée à la façon de vases communicants.
Pareille vision exacerbe la confrontation des argumentations. Ainsi, pour certains, la présence américaine au Sud où naissait Aboulkacem Chebbi, l’inspirateur de l’hymne émancipateur, trahit la cacophonie intervenue entre l’ancienne proclamation de l’indépendance et l’actuelle réclamation de la dépendance. Quelques émetteurs d’opinions reprochent aux dirigeants l’accès au pays, d’instructeurs et de matériel militaire venus des Etats Unis. L’attaque de l’hôtel Marhaba réactive ce débat. D’une part, les informations afférentes à la pénétration de combattants daechistes sur les franges présahariennes du territoire paraissent légitimer l’appel à la rescousse. D’autre part, ce recours, pour certains, obligatoire, soulève, selon les mécontents, deux signaux contradictoires.
Même au sommet de l’Etat, l’un déclare la Tunisie apte à garantir sa défense par ses propres moyens et l’autre, maquille l’aveu de l’impuissance endogène impliquée par les bras grands ouverts pour l’accueil de la superpuissance au moment où l’hégémonisme planétaire de celle-ci dérange la Chine et la Russie.
Plus proche, l’Algérie aussi, n’apprécie guère la manière dont les nidao-nahdhaouistes bénissent le cheval de Troie, soupçonné de tirer les marrons du feu djihadiste au profit de la paix israélo-américaine.
Autour de cette version, les avis ne cessent de fuser dans toutes les directions. Cependant, une appréciation paraît scintiller à l’horizon de ces diverses positions.
Parmi la jungle des intérêts opposés, ceux dont les tenants détiennent le plus grand capital symbolique et matériel tirent vers leur poids spécifique, l’ensemble des autres logiques. Pour l’instant et n’en déplaise aux droit des nations, ce volcan régulateur demeure entre les mains des Etats Unis américano-israéliens. Hollande rouspète contre les grandes oreilles. Erdogan proteste sans perdre de vue l’organisation de la négociation d’abord secrète. Qu’importe !
L’Amérique passe et les inaptes à contrer sa puissance aboient.
Les mesures sévères
Face à la pieuvre et à l’extension mondiale de son œuvre Poutine conforte les moyens nucléaires de l’éventuelle offensive et BCE, réduit à la défensive, demande à l’oncle Sam de l’aider à contre-attaquer les commanditaires de la boucherie perpétrée au Kantaoui. Replacée dans ce contexte élargi celle-ci fournit un point d’appui aux diverses prises de positions commises.
Après l’attaque sanguinaire, il est question d’appliquer des mesures encore plus sévères.
Mais surveiller ou punir les tenants des écoles coraniques et des mosquées oriente l’attention vers la bonne direction pour les démocrates et vers la pire des solutions pour les théocrates. Ceux-ci n’ont guère tardé à revoir apparaître, par là, le fameux « parti de la France. A Paris, le porte-parole du Front national accuse l’islam où il subodore la source vive de l’islamisme et du djihadisme. Si j’étais Ghannouchi, j’aurai aussi accusé le parti de la Russie où Mao rendait la religion responsable de tous les maux.
Dès lors, la mesure la plus « sévère » commence à germer dans l’esprit de quelques illuminés. Pour construire le sanctuaire démocratique, il faut détruire le sanctuaire théocratique. Il n’y a guère bien longtemps, les ouailles de la solution radicale tentaient de ré islamiser à coups de bâton. Leur essai, peu subtile, dirigeait le pays vers la guerre civile. Il n’est donc pas question de suivre leur exemple et l’unique alternative demeure le vivre ensemble.
En outre, le phantasme iconoclaste ignore le sens et la fonction du sacré. Celui-ci donne une signification à la vie pour les franges élargies de la population. Dès lors surgit l’antinomie.
Comment ne pas donner l’impression d’en vouloir à la religion, quand l’objectif stratégique de Baghdadi, Abou Iyadh et Ghannouchi ne saurait différer de l’option charaïque ? Deux années perdues à l’Assemblée ont partie liée avec cette redoutable quadrature du cercle…
Séparer le Kantaoui de pareille problématique incite à occulter la complexité. L’étudiant de vingt deux ans n’existe pas hors de la filière à suivre dans les dédales de la société globale et de son immersion mondiale.
Par le jet de son portable à la mer, il oriente les enquêteurs vers la direction à suivre dorénavant.
A quel personnage veut-il confier son dernier message ? En temps de guerre, capter les motivations du « chahid » serait d’un immense intérêt pour l’avancée de la compréhension et de l’explication. Dans son imaginaire salafisé va-t-il mourir pour la renaissance de l’empire étalé, en quatre siècles, de l’Asie centrale à l’Afrique Nord sous le règne des califes ?
Dans cette hypothèse, le geste mortel payerait le droit d’entrée au paradis éternel. Comment gommer ce rêve et lui substituer une récompense terrestre à l’heure où, pour cela, je ne serai plus là ? Belles filles, gloire, argent et autres biens de ce monde ne suffisent pas. De même, tant réduire à la drogue et au lavage de cerveau, finit par commettre un coup d’épée dans l’eau. Limiter la réflexion à la stigmatisation de l’adversaire n’aide à remporter ni les batailles, ni la guerre.