Quels sont les points communs et les divergences entre les mouvances fondamentalistes djihadistes et Hizb Ut-tahrir au niveau du discours et de la perception de l’État, de la démocratie et du califat ?
Il existe davantage de points communs que de divergences entre eux. La différence réside dans l’appartenance du Hizb Ut-tahrir au courant de l’islam radical et non au courant salafiste. Le Hizb Ut-tahrir se différencie du courant salafiste mais n’est pas son ennemi. Le salafisme est soutenu par les pays du Golfe alors que le Hizb Ut-tahrir est soutenu par la Jordanie et la Turquie. Par ailleurs, le salafisme «Madkhali» (en référence à Rabii Madkhali) interdit le djihad contre le gouvernant quelle qu’en soit la raison et cela est régi par l’obéissance au gouvernant. Le Hizb Ut-tahrir juge par contre que l’opposition au gouvernant s’impose s’il se défait des principes de l’islam et de l’application de la charia. Les courants fondamentalistes djihadistes appellent quant à eux à l’instauration immédiate de l’État islamique et à l’application à la lettre de la charia ainsi qu’à combattre tous ceux qui refusent l’instauration d’une gouvernance islamique.
Le Hizb Ut-tahrir se base sur plus de détails que les courants djihadistes concernant les fondements de l’État islamique alors que les courants djihadistes y accordent des principes généraux sans détails. Le Hizb Ut-tahrir par exemple perçoit treize structures de l’État du califat : le calife, les collaborateurs, les ministres exécuteurs, les gouverneurs, le prince du djihad (armée), la sécurité interne, les affaires étrangères, l’industrie, les juges, le compartiment administratif, bayt al mal (finances), les médias, le comité de la sécurité (majles choura). Les courants fondamentalistes par contre, comme Ansar Charia et Daâech, instaurent des structures sans en limiter les prérogatives, tel le prince, le ministre des Finances (Saheb al mal), le prince de l’armée, le chargé d’impôts, les gouverneurs et leurs collaborateurs.
Il existe néanmoins des points communs entre les deux courants dans leur foi dans le califat et la suprématie de l’autorité de la doctrine islamique. La nomination du calife est un devoir pour le Hizb Ut-tahrir, tandis qu’il obéi aux évolutions des situations pour les courants fondamentalistes. Ces derniers se différencient du Hizb Ut-tahrir quant au djihad. Ils décrètent l’obligation du djihad pour chaque musulman tandis que le Hizb Ut-tahrir juge suffisant qu’une partie des musulmans s’en charge. Le Hizb Ut-tahrir allègue au calife seul le pouvoir d’instaurer les lois légiférées (islamiques), la Constitution et le reste de lois. Il n’existe aucune séparation ainsi entre les trois pouvoirs, législatif, exécutif et juridique et cela constitue un point commun avec les courants djihadistes. Il y a aussi un autre point commun dans la perception de la démocratie qu’ils refusent, courants fondamentalistes et Hizb Ut-tahrir, la considérant comme nuisible au principe de la gouvernance. Dans le régime démocratique, le peuple est la source de la législation alors que le Hizb Ut-tahrir et les courants fondamentalistes insistent sur l’absolu de la divinité de la législation et les humains n’ont pas le droit de s’en mêler.
Peut-on dire que le Hizb Ut-tahrir constitue l’aile politique d’Ansar Charia ?
Le Hizb Ut-tahrir, reconnu officiellement en juillet 2013 existait comme organisation secrète depuis l’ère de Bourguiba, mais ses activités étaient limitées et ses dirigeants ont été emprisonnés. Après la Révolution, le parti a essayé de restructurer sa base, mais il reste jusqu’aujourd’hui sans sympathisants ou partisans populaires malgré sa longue histoire. Le parti coopérait depuis la Révolution tunisienne avec tous les courants islamistes ; Frères musulmans, salafistes et surtout les salafistes djihadistes présents à tous ses grands évènements. Le Hizb Ut-tahrir visait à tirer profit d’Ansar Charia à cause de sa base populaire et il l’a soutenu dans sa lutte contre le pouvoir. Le Hizb Ut-tahrir a par ailleurs refusé la classification d’Ansar Charia comme organisation terroriste et considère que les terroristes ayant été impliqués, par preuve, devraient être jugés individuellement et non pas sanctionner toute l’organisation. Ainsi, le Hizb Ut-tahrir est considéré à un certain degré comme une continuité politique d’Ansar Charia et non son aile.
Quelle poids politique représente le Hizb Ut-tahrir aujourd’hui en Tunisie ?
Pas plus que quelques centaines, peut-être mille maximum, et ce, pour plusieurs raisons. La première en est que l’opinion publique n’est pas adhérente à son obsession du califat. Son manque de popularité revient aussi à son inexpérience sur le niveau organisationnel et le manque de son financement en comparaison aux autres courants djihadistes financés, généreusement, par les pays du Golfe.
Quel est son rôle et son poids dans l’organisation mère du Hizb Ut-tahrir
Il n’avait pas dans le passé un rôle important, vu l’interdiction de ses activités. Aujourd’hui alors qu’il devient connu, il en gagne du soutien de l’organisation mère surtout que le Hizb Ut-tahrir dans son pays natal, la Jordanie, n’est pas autorisé. Le soutien lui survenant de l’étranger reste néanmoins limité à cause de l’élitisme du Hizb Ut-tahrir et son incapacité à exister intensément sur la scène islamiste «confisquée» par l’islam politique des Frères musulmans et le courant du salafisme djihadiste et entre les deux vient le Hizb Ut-tahrir.
Est-ce que le Hizb Ut-tahrir constitue un danger pour la Tunisie et pour la République ?
Je ne crois pas qu’il en soit un sur le court terme, compte tenu de la faible étendue de sa base et son manque de financement. Mais la question est : peut-on autoriser un parti ainsi opposé à la loi ? Et cette situation devrait être assumée par le mouvement Ennahdha qui, quand il était au pouvoir, a tenté de noyer la scène politique dans un grand nombre de partis refusant la démocratie. Le prochain Parlement devrait instaurer une nouvelle loi des partis interdisant leur naissance sur une base ethnique, religieuse ou linguistique. Seule cette décision pourrait imposer aux partis existants, entre autres Ennahdha, de se soumettre à la loi et à la Constitution basée essentiellement dans la séparation entre la religion et la politique dans les activités partisanes. Nous avons constaté par expérience que tous les partis se basant sur une idéologie religieuse avaient engendré le désordre sécuritaire et l’évolution du phénomène terroriste, car la religion, affaire sacrée, ne peut être instrumentalisée dans une œuvre humaine exposée au vrai et au faux.
Le Hizb Ut-tahrir peut constituer un danger sur le moyen et le long termes, car sa philosophie est essentiellement basée sur la construction de l’État du califat régi du sommet à la base et donc à travers les coups d’État. Le danger est alors l’infiltration progressive des idées de ce parti au sein des institutions sécuritaires et militaires. Les autres courants islamistes partent de la base au sommet dans la construction de l’État islamiste, et donc dans la propagation progressive dans toutes les institutions de l’État et de la société et quand leurs sympathisants deviennent nombreux, ils passent à l’étape de l’instauration d’une gouvernance islamiste. N’oublions pas que le califat est une doctrine centrale chez tous les courants : Frères musulmans et salafistes et le calife n’est pas élu, mais choisi par une élite. N’oublions pas non plus que la première phrase prononcée par Hamadi Jebali à la victoire d’Ennahdha dans les élections du 23 octobre 2011 est qu’il pressentait l’arrivée du sixième califat. Le dirigeant islamiste des Frères musulmans Youssef Karadhaoui a déclaré dans un communiqué en juillet 2014 que l’instauration du califat est le souhait de tout musulman en réponse à l’État de Daech qu’il considère comme n’obéissant pas à toutes les conditions requises dans son fondement.
Hajer Ajroudi
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