ALECA Le préalable de la mise à niveau de l’agriculture s’impose

Nous devons saisir l’opportunité du troisième round des négociations avec l’Union européenne organisé à Bruxelles à propos du futur accord relatif à l’Aleca pour analyser les erreurs, les dysfonctionnements et les maladresses accumulées par les gouvernements tunisiens successifs  qui ont géré le dossier depuis quatre ans. L’objectif consiste à entrevoir comment sortir de l’impasse actuelle, non seulement avec le moins de dégâts possibles, mais surtout le plus d’avantages pour notre pays. Nous devons adopter un objectif ambitieux de gagnant et non un profil négatif de perdant. La succession d’erreurs commises jusqu’ici porte sur l’absence d’une étude sérieuse et détaillée d’évaluation de l’impact de l’accord de 1995, relatif à la zone de libre-échange portant sur les produits industriels.
Cette évaluation devrait déboucher sur des enseignements très utiles à prendre en compte pour éviter les dégâts de ce premier accord, à savoir comment éviter la disparition de plusieurs centaines de PME industrielles qui ont licencié des dizaines de milliers de salariés suite à l’invasion de notre marché par l’impératif du préalable de la mise à niveau du tissu agricole avant le démantèlement tarifaire pour les produits agricoles en tous genres, outre l’accaparement des marchés publics par les entreprises européennes.
Les pouvoirs publics tunisiens ont “négligé” avant même le début des négociations, les études d’impact sectorielles pour “savoir où on va” et comment négocier. Quels sont les risques et les enjeux ? Comment préserver nos intérêts ? Jaloux de leur pouvoir décisionnel, les responsables tunisiens n’ont pas adopté dès le début une approche participative en faisant siéger les organisations professionnelles dans la commission et en consultant la société civile.
Ces études viennent à peine d’être entamées, confiées pendant 6 mois au bureau d’études Ernest & Young, alors que le troisième round des négociations vient de s’achever.
L’ouverture de notre marché à des produits agricoles européens beaucoup plus compétitifs et à des entreprises beaucoup plus performantes au niveau des services alors que les nôtres ne sont pas capables de résister à la concurrence, signifierait « la fin des illusions ».
Il y a manifestement un déséquilibre et une disproportion qui méritent beaucoup plus que les timides et modestes réactions des négociateurs tunisiens, à savoir la progressivité de l’ouverture et l’asymétrie des mesures. De piètres consolations !
Un énorme chantier doit s’ouvrir dans notre pays incessamment pour le rapprochement des normes : un travail de longue haleine.
En fait, nous sommes encore à la phase de la délimitation des contenus de l’Accord, libération de quelques services, financiers, de transport, commerciaux, de santé, éducatifs, accès aux marchés publics selon des conditions bien déterminées pour ne pas condamner à la disparition les centaines de petites entreprises de bâtiment et de travaux publics…
Il y a en réalité tout un plan d’action à mettre en œuvre pour la restructuration et le renforcement de nos infrastructures de base grâce à une injection massive de capitaux de la part de l’Union européenne.
Cela nous amène à revoir en réalité le statut de notre pays dans le cadre de l’Union européenne : « tout sauf l’intégration dans les institutions européennes ». On attend de voir la suite avant la signature de l’Aleca.
La mise à niveau de l’agriculture tunisienne comporterait non seulement le financement de gros investissements relatifs au renforcement de nos infrastructures de base à caractère hydraulique, des équipements de transformation portant sur l’agro-alimentaire, mais aussi la mise au point de stratégies de valorisation des produits agricoles et d’intégration de filières comme celles du lait, de l’huile d’olive, des dattes, de la tomate…
Notre agriculture a des avantages compétitifs qui ne sont pas exploités de façon optimale comme l’expansion de l’agriculture biologique. De même, nos périmètres publics irrigués ne sont pas correctement gérés, nos terres domaniales ne sont pas bien structurées et exploitées, nos cultures de primeurs et d’arrière-saison ne sont pas suffisamment valorisées. Nous ne savons pas respecter comme il se doit les normes européennes pour mieux exporter nos fruits et légumes : calibrage, conditionnement, traçabilité, création de marques, labellisation, étiquetage…
Il y a là un chantier qui devrait mettre dix ans avant de porter ses fruits.
Le schéma directeur national des marchés de gros devrait être dépoussiéré et remis à l’ordre du jour. L’objectif : le producteur ne doit pas être à la merci des spéculateurs et autres intermédiaires qui exploitent la faiblesse des producteurs.
Des sociétés mutuelles de services agricoles devraient être mises sur pied à l’échelle de chaque délégation pour prendre en charge aussi bien la commercialisation de leurs produits dans les meilleures conditions, mais aussi pour veiller à l’approvisionnement des producteurs.
L’UTAP, la SYNARGRI et autres organisations se doivent de dépasser leur rôle revendicatif pour avoir une approche plus participative : encadrement, conseil, assistance et orientation de leurs adhérents.
Le crédit agricole est le parent pauvre qui devrait être renforcé avec l’accès au crédit bancaire et à l’assurance contre les risques, à généraliser parmi les producteurs agricoles pour développer et sécuriser leurs activités.
Les organisations professionnelles doivent se structurer au niveau régional pour être au service des producteurs : capacité d’écoute, efficacité de la valeur ajoutée et réactivité en cas de problème.
Tandis que les CRDA doivent “oublier” le confort des bureaux feutrés de temps à autre pour être sur le terrain au service des producteurs : un apport et des conseils techniques au moment opportun, plutôt que l’aspect répressif de la réglementation.

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