ALECA : Un projet qui peine à se concrétiser

 Le 3e round des négociations  de l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) entre la Tunisie et l’Union européenne est prévu pour les  10-14 décembre 2018 à Bruxelles. Depuis l’annonce de  Habib Essid, alors Chef du gouvernement, le 25 mai à Bruxelles, de relancer les négociations en octobre 2015, deux rounds seulement ont eu lieu. Les 12 thèmes de négociations n’ont pas encore été abordés sérieusement. Il faut préciser  pour la énième fois que ce n’est pas la partie européenne qui fait défaut mais plutôt tunisienne. Le statu quo n’est pas une option.

 La société civile représentée notamment par l’UTICA et l’UTAP se considère toujours exclue des négociations malgré les différentes rencontres organisées par la partie gouvernementale avec les différents représentants de la société civile. Et des études sur l’Accord de libre-échange de 1995 et son impact sur les PME tunisiennes, ainsi que d’autres sur l’impact de l’ALECA sur les secteurs des services et de l’agriculture, sont en cours d’exécution et il faut préciser aussi que ces études sont financées par l’UE. Le remaniement ministériel en cours aura également son impact puisque le négociateur en chef Hichem Ben Ahmed vient d’être nommé ministre du Transport et nous ne savons pas encore qui le remplacera. Un troisième round qui sera tenu sur  fond  de confusion. En même temps, des rencontres s’organisent de part et d’autre pour débattre de l’ALECA avec le gouvernement et sans déboucher à la fin sur des recommandations sérieuses qui peuvent faire avancer le processus ou, du moins, identifier les objectifs du gouvernement par rapport à cet accord stratégique si la Tunisie arrive à bien négocier. Il faut rappeler que la Tunisie a insisté sur  la nécessité de mesures d’accompagnement pour assurer un rapprochement graduel des réglementations et un développement durable. Comme cela a été le cas pour l’accord de libre-échange signé en 1995 qui a permis au secteur de l’industrie de bénéficier d’un programme de mise à niveau financé par l’Union européenne.

 L’ALECA, quel intérêt ?
L’importance de cet accord est claire si l’on tient compte des données des échanges commerciaux entre la Tunisie et l’UE.  Celle-ci  est le premier partenaire commercial de la Tunisie, absorbe les 3/4 du total de ses exportations, et constitue la source de plus de la moitié de ses importations. « Le marché européen qui est constitué de plus de 450  millions de consommateurs n’aurait pas plus d’intérêt que le marché tunisien d’un peu plus de 11 millions de consommateurs », dixit Patrice Bergamini, ambassadeur de l’UE en Tunisie. Il a raison d’insinuer que l’absence de l’ALECA pour l’UE ne peut pas l’atteindre mais atteindra l’économie tunisienne. « L’absence de l’ALECA ne profitera pas à l’artisanat tunisien en pleine montée en gamme et à ces  femmes artisanes de Kasserine ou du  Kef. Il ne profitera pas également aux PME tunisiennes qui exportent leurs produits au Japon et aux USA et veulent doubler ou tripler leur production pour exporter plus mais ils ne trouvent pas le financement pour le faire. Voilà le genre de services que peut offrir l’ALECA à ces jeunes entrepreneurs », a-t-il dit. La Tunisie profitera-t-elle encore plus d’autres partenariats avec la Chine ou la Turquie ? A priori non, il suffit de voir le déficit  de la balance commerciale de la Tunisie avec ces deux pays. Depuis 2011, l’UE a consolidé son positionnement de  principal partenaire de la Tunisie avec la décision de doubler l’aide européenne à notre pays. Chaque année et jusqu’à 2020, le montant alloué à la Tunisie est trois fois supérieur au montant alloué à l’Egypte. L’encours financier de l’UE en Tunisie en 2017 représente 10% du budget de la Tunisie de 2017. Comment peut-on penser que l’UE accorde tout cet intérêt pour la Tunisie en termes financiers et de l’autre côté, elle la léserait à travers un ALECA qui mettrait en danger le développement économique de ce pays ? D’un autre côté, il faut admettre que la Tunisie est un petit marché et a besoin d’investissement direct étranger et d’exporter pour créer de la croissance et de l’emploi. La dépendance persistante de l’économie vis-à-vis de la production à bas prix et des secteurs d’exportation à faible valeur ajoutée, ne permet pas à la Tunisie de faire face à ses défis de développement économique et social.  Sans oublier que celle-ci a un besoin urgent d’effectuer un certain nombre de réformes très coûteuses pour être plus compétitive.

L’Utica, des préalables sont de mise
Dans une rencontre organisée sur l’ALECA par l’UTICA sans inviter le gouvernement, histoire d’exprimer son désarroi de son exclusion par le gouvernement dans la prise de décision, Chiheb Slama, président de la Fédération de l’agroalimentaire et coordinateur du dossier de l’ALECA à l’union patronale, souligne qu’« il sera important, pour la Tunisie de réaliser des études d’impact ce qui est dejà en cours, et d’avoir du temps pour adapter ses réglementations à la législation européenne », et d’ajouter que malgré un potentiel énorme,  le secteur agricole et agroalimentaire demeure précaire par rapport à ce qui se passe sur le  marché européen. Les PME opérant dans le secteur des services demeurent incapables de conquérir leurs homologues européens à moins que les problèmes liés à l’accès au marché et à la propriété intellectuelle ne soient réglés. Par ailleurs, deux études ont été présentées qui montrent en gros que la Tunisie n’a pas d’autres solutions que de se rapprocher de l’UE et de s’intégrer à son marché. Selon Ghazi Ben Ahmed, président du Méditerranean developpement initiative (MDI), « l’ALECA est un instrument à la carte. Nous pouvons en faire ce que l’on veut pour arriver à nos fins et réaliser notre vision », l’objectif principal de l’ALECA étant l’intégration progressive de l’économie tunisienne dans le marché unique de l’UE afin d’augmenter et de diversifier les exportations du pays, améliorer son climat d’investissement et faciliter les réformes économiques entreprises par la Tunisie. Et ce, en réduisant les obstacles non tarifaires, en simplifiant et facilitant les procédures douanières, en libéralisant le commerce des services, en assurant la protection de l’investissement et en harmonisant les réglementations dans plusieurs domaines de l’environnement commercial et économique. Le principe de ces négociations, comme l’a indiqué l’UE, sera basé sur l’asymétrie, pour tenir compte de la différence de niveau de développement entre les deux parties, sur l’ouverture progressive accompagnée de l’appui nécessaire à renforcer la compétitivité de l’économie tunisienne.

Le rapprochement réglementaire
La divergence réglementaire qui existe entre la Tunisie et l’UE est le premier inconvénient à la concrétisation de l’ALECA. Il est important d’avoir un environnement réglementaire efficace et prévisible pour les opérateurs économiques, surtout pour les petits porteurs de projets. Cela concerne tous les détails et les procédures d’intégration de la Tunisie sur le marché européen, partant de la reconnaissance des diplômes, passant par la propriété intellectuelle pour arriver produits et services exportés. En effet, selon Ghazi Ben Ahmed,  les produits mis sur le marché doivent se conformer aux exigences légales établies par les autorités publiques dans les domaines  de la santé, de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la sécurité, de la protection de l’environnement, de la protection de la vie privée et de la sécurité des citoyens. Ghazi Ben Ahmed ajoutera que lors de ces négociations, les deux parties doivent  faire en sorte que les règlements techniques soient élaborés de manière ouverte et transparente. La transparence portera également sur les lois, les règlements, les décisions judiciaires et  les procédures.
Dans ce cadre, les dispositions prévues dans la proposition de l’UE stipulent notamment d’observer des règles simples, efficaces, faciles à comprendre et à suivre, de veiller à ce que les procédures soient transparentes et  d’atteindre une coopération plus étroite entre les autorités douanières de l’UE et de la Tunisie. L’UE propose la mise en place d’une autorité de la concurrence indépendante dotée de ressources et de pouvoirs suffisants pour garantir l’application efficace des règles de concurrence. De sa part, la Tunisie, et selon Ben Ahmed, a demandé « des éclaircissements sur la définition, le champ d’application, et les procédures de passation des marchés publics, les seuils et les délais de recours, le recours et les procédures de dédommagement en cas de violation des dispositions prévues dans l’accord ». Par ailleurs, la Tunisie a demandé également « des clarifications quant aux formes de mesures de sauvegarde préconisées par l’Union européenne et qui sont les moins pénalisantes dans le cadre des enquêtes de sauvegarde (par exemple, préférence pour les quotas ou les contingents tarifaires, référence aux prix minimums) ». 

Agriculture : mettre une liste des produits sensibles
Outre la convergence réglementaire, Ghazi Ben Ahmed signale que parmi les importants éléments de négociation figure une liste de produits sensibles, notamment agricoles, qui bénéficieront d’un  traitement spécial, les calendriers de démantèlement, les périodes de transition pour la Tunisie, et le rythme d’accroissement des contingents tarifaires, en l’occurrence. Tenant compte de  la différence de niveau de compétitivité entre l’agriculture européenne et tunisienne, la Tunisie a rappelé que la mise à niveau et la modernisation du secteur de l’agriculture et de la pêche sont nécessaires pour accompagner la libéralisation des échanges avec l’UE.
En réponse, les représentants de l’UE ont confirmé que celle-ci est disposée à poursuivre un accompagnement technique et financier dans les différents secteurs couverts par le futur accord, y compris les domaines relatifs à l’agriculture, aux produits agricoles transformés et à la pêche. Cet accompagnement s’inscrira dans le cadre des programmes de coopération disponibles, définis conjointement avec les autorités tunisiennes. Le choix des secteurs qui bénéficieront de tels appuis tiendra compte des priorités nationales en phase avec le plan quinquennal de développement. L’assistance européenne prendra en compte l’ensemble des actions déjà en cours et planifiées, ainsi que la capacité d’absorption de cette coopération technique et financière démontrée par les ministères et autres bénéficiaires concernés. L’UE a demandé à la Tunisie de lui transmettre les priorités de développement de l’agriculture, de l’agro-industrie et de la pêche, de préférence en détaillant les filières et les régions concernées. Actuellement, la Tunisie semble incapable de répondre à cette question, faute d’absence d’une vision stratégique  qui définira les grandes orientations de l’agriculture tunisienne et ce, en lien avec la sécurité alimentaire, le développement rural et la durabilité des ressources et en prenant en compte les effets attendus du changement climatique. Ghazi Ben Ahmed évoque le rapport de  la Banque mondiale qui révèle que  la politique de sécurité alimentaire en Tunisie va à l’encontre du développement du secteur agricole. Tout ceci doit se faire en  donnant le temps nécessaire à l’ensemble des acteurs concernés d’être consultés durant le processus d’élaboration et de mise en œuvre de tous les  règlements.

N.J

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