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« On ne touche pas à l’histoire d’un peuple, on n’humilie pas les Algériens. » Le président algérien Abdelmadjid Tebboune est longuement revenu sur la brouille entre Alger et Paris dans un long entretien à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel paru vendredi 5 novembre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce feuilleton qui dure depuis de longs mois n’est pas près de se refermer. Le dirigeant algérien a d’ailleurs averti qu’il ne ferait pas « le premier pas » pour tenter d’apaiser les tensions provoquées selon lui par des propos critiques d’Emmanuel Macron sur la « nation » algérienne.
« Je n’ai pas de regrets. Macron a rouvert un vieux conflit de manière totalement inutile », dénonce le dirigeant algérien. Ajoutant que « si [le polémiste d’extrême droite] Éric Zemmour dit quelque chose comme ça, qu’importe, personne ne fait attention. Mais quand un chef d’État déclare que l’Algérie n’était pas une nation distincte, c’est très grave », fustige-t-il.
Dans ces conditions, « je ne serai pas celui qui fera le premier pas », prévient-il. « Sinon je vais perdre tous les Algériens, il ne s’agit pas de moi, mais d’un problème national. » « Aucun Algérien n’accepterait que je contacte ceux qui nous ont insultés », explique le chef de l’État.
*Des propos qui ne passent pas
Emmanuel Macron a déclenché la colère d’Alger après des propos rapportés le 2 octobre par le quotidien Le Monde accusant le système « politico-militaire » algérien d’entretenir une « rente mémorielle » en servant à son peuple une « histoire officielle » qui « ne s’appuie pas sur des vérités ». D’après Le Monde, le président français avait également affirmé que « la construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question […]. »
« On ne touche pas à l’histoire d’un peuple, et on n’insulte pas les Algériens », déplore le président algérien. « Pourquoi [M. Macron] a-t-il dit ça ?, interroge-t-il, avant de répondre lui-même : « Je pense que c’était pour des raisons électorales stratégiques », estime M. Tebboune. « C’est le même discours que le journaliste d’extrême droite Éric Zemmour utilise depuis longtemps : l’Algérie n’était pas une nation, c’est la France qui en a fait une nation », fait-il valoir. Selon le président Tebboune, « avec cette déclaration, Macron s’est placé du côté de ceux qui justifient la colonisation », a-t-il souligné, accusant le dirigeant français d’avoir « porté atteinte à la dignité des Algériens », s’indigne encore le chef d’État algérien. Nous n’étions pas un peuple de sous-hommes, nous n’étions pas des tribus nomades avant que les Français viennent. »
« L’Algérie n’a pas besoin des excuses de M. Macron pour quelque chose qui s’est passé entre 1830 ou 1840, mais d’une pleine et absolue reconnaissance des crimes coloniaux », insiste le chef d’État algérien, précisant que le président Macron « reconnaît les faits, il a déjà dit en 2017 que la colonisation était un crime contre l’humanité ». « La seule chose que nous voulons, c’est que la France reconnaisse les crimes qu’elle a perpétrés. »
*Au-delà des enjeux mémoriels, la place de l’Algérie sur l’échiquier africain
Depuis le mois de septembre, de nombreux sujets de friction se sont accumulés : la crise des visas, les enjeux mémoriels et aussi les tensions autour du dossier malien, dans lequel les Algériens souhaiteraient jouer un rôle plus important. Le 3 octobre, en réaction aux propos d’Emmanuel Macron, Alger avait interdit le survol de son territoire aux avions militaires français en route vers le Sahel dans le cadre de l’opération « Barkhane ».
Existe-t-il une perspective de dénouement avec la France ? l’interroge le Spiegel. « Non, si les Français veulent aller au Mali ou au Niger maintenant, ils devront juste faire neuf heures de vol au lieu de quatre », rétorque M. Tebboune, assurant toutefois qu’une « exception » serait faite pour « le sauvetage de personnes blessées ». « Mais pour tout le reste, nous ne sommes plus obligés de coopérer les uns avec les autres, c’est peut-être terminé maintenant », prévient-il.
L’Algérie a toujours considéré le Mali, notamment le nord du pays – qui fut la première région à passer sous la coupe djihadiste en 2013 –, comme sa base arrière. Alger a été le principal médiateur des accords signés en 2015 entre Bamako et des groupes armés. Alors que la France voit d’un mauvais œil le rapprochement entre Bamako et la Russie, l’Algérie pourrait se positionner comme recours.
Le président Tebboune se dit même prêt à venir en aide au Mali si le pays, en proie à l’extension de groupes djihadistes, « demande de l’aide ». « L’ONU peut se tourner vers nous ou même vers l’Union africaine. Si les Maliens sont confrontés à une attaque demain, nous interviendrons à leur demande », assure-t-il. « Mais nos soldats sont des Algériens qui ont des familles, je ne les enverrai pas mourir pour les intérêts des autres. Assez d’Algériens sont morts dans le passé », tempère M. Tebboune.
En colère contre M. Macron, le président algérien tresse des lauriers à l’Allemagne d’Angela Merkel. « Les Allemands nous ont toujours traités avec respect, ils ne nous ont jamais traités avec arrogance, il n’y a jamais eu de désaccords en matière de politique étrangère », salue-t-il, disant « admirer » la « persévérance et la modestie d’Angela Merkel ».
« Je suis vraiment désolé de la voir partir » dans les prochaines semaines, après 16 années au pouvoir, conclut Abdelmadjid Tebboune, qui avait suivi un traitement médical durant plusieurs mois en Allemagne en 2020 et début 2021.
(Le Point, avec AFP)