L’étendue du désastre est proportionnelle à l’impressionnante ampleur de solidarité de tout un pays avec les sinistrés.
La jeune pharmacienne du boulevard du 11-Décembre-1961, sur les hauteurs d’Alger, est débordée. « Nous avons été dévalisés depuis hier, on est en train de passer de nouvelles commandes pour les tulles gras, la Biafine, et tout le nécessaire pour les soins pour les brûlés », témoigne-t-elle alors que deux jeunes hommes achètent des dizaines de couches pour bébés. « Les besoins sont importants, les pharmacies n’arrivent plus à répondre à la demande. On va contacter les grossistes directement », dit l’un d’eux. Ils s’occupent d’organiser les dons dans un dépôt – un magasin cédé par son propriétaire aux bénévoles – situé un peu plus haut sur le même boulevard. Dans plusieurs quartiers de la capitale s’installent ces points de collectes de dons pour les sinistrés de Kabylie, où des dizaines d’incendies ont détruit des hectares de forêt et ont assiégé des villages entiers.
*Élan de solidarité
Comme lors de la crise des concentrateurs d’oxygène pour les malades du Covid-19, les dernières semaines, un puissant élan de solidarité s’ébranle des quatre coins du pays. Durement frappée par ces feux depuis trois jours, la Kabylie n’est pas la seule région sinistrée : l’étendue du désastre touche aussi des wilayas (préfectures) à l’Est, comme Jijel, El Taref, Skikda, Khenchela (qui a déjà connu d’importants incendies il y a quelques semaines), Guelma, Sétif, etc., mais aussi le centre vers Médéa et Blida, au sud d’Alger.
« Les gens bravent le couvre-feu [20 heures-6 heures] pour acheminer vers les points de collectes tout ce qu’ils peuvent donner », raconte un bénévole du quartier populaire de Bab El Oued, où un dépôt de dons a été improvisé par les jeunes du quartier. Sur l’autoroute Alger-Tizi Ouzou, des bénévoles ont également installé des dépôts tout au long des cent kilomètres qui séparent la capitale du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou pour permettre aux donateurs de déposer denrées alimentaires, médicaments, couvertures, matelas, etc. « Nous faisons des rotations avec des camions de bénévoles et on coordonne avec les associations sur place, en Kabylie », explique un des organisateurs du dépôt du boulevard du 11-Décembre-1961.
*En Kabylie, l’entraide au milieu des flammes
« Sur place, les gens ont besoin surtout d’eau minérale, de médicaments pour les brûlures, de couvertures, de denrées alimentaires de base », précise le jeune homme qui s’affaire, avec une autre bénévole, à ranger les colis de dons dans le dépôt, alors que ne cessent de stationner en double ou triple file les véhicules des nombreux donateurs. « Mais surtout, les sinistrés ont besoin très vite d’hébergement, beaucoup ne peuvent pas retourner à leurs villages, encore cernés par les flammes ou quasi détruits », poursuit-il.
« Les établissements touristiques, les salles de sport, les salles des fêtes ont ouvert leurs portes dès hier [mardi] dans plusieurs villes et villages de Kabylie », témoigne au téléphone Saâd, un habitant de Larbaâ Naït Irathen, sur les hauteurs de Tizi Ouzou. « Le plus fou est qu’ils organisent la solidarité alors même qu’ils sont au cœur de l’enfer. Même ceux qui échappent aux flammes retournent sur le front du feu pour aider les pompiers et les militaires avec des moyens dérisoires », lance le bénévole algérois.
Des villages entiers se mobilisent pour accueillir leurs voisins sinistrés ou préparer des repas par centaines. Sur les réseaux sociaux, beaucoup d’habitants de Kabylie, surtout dans les villes encore épargnées, appellent à venir chez eux les familles sans toit. « J’ai un deux-pièces près de Tizi, je le mets à disposition » : ce genre de messages suivis du numéro de téléphone envahissent la Toile. Les entreprises de la région s’activent pour ouvrir des dépôts de don et des transporteurs privés proposent également d’acheminer les dons et les familles sinistrées.
Des caravanes de volontaires arrivent de Khenchela avec ces jeunes qui se sont illustrés en combattant, des jours et des nuits, les impressionnants feux de forêt dans les Aurès… « Je me repose cette nuit, puis je remonte », nous dit Ramdane au téléphone, lui qui a échappé à la dernière minute au feu qui ravagea en une demi-heure, mardi, son village d’Aït Mimoun en Grande Kabylie. Il a trouvé refuge dans un hôtel à Alger pour une nuit, le temps de reprendre un peu de force. « Je dois y retourner, le village, mes voisins, les jeunes bénévoles qui se battent contre le feu ont besoin de tout le monde. »
(Le Point)