En réponse à une déclaration algérienne sur l’autodétermination des Sahraouis, Rabat évoque celle du « peuple kabyle ».
Alger a annoncé, dimanche 18 juillet, avoir rappelé son ambassadeur à Rabat « pour consultation », en attendant « d’autres mesures éventuelles en fonction de l’évolution de cette affaire », selon le ministère algérien des Affaires étrangères.
« Cette affaire », pour laquelle l’Algérie attend du « Maroc qu’il clarifie sa position définitive sur la situation d’une extrême gravité », remonte à la fin de la semaine dernière, lors d’une réunion du Mouvement des pays non alignés.
Tout a commencé par le discours, en visioconférence, du nouveau chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, devant la conférence ministérielle de mi-parcours du Mouvement des pays non alignés.
*Lamamra à l’offensive
Lamamra a tenu à évoquer « le soutien constant apporté par le Mouvement des pays non alignés aux causes justes de la décolonisation à travers le monde en soulignant la nécessité pour celui-ci de demeurer solidaire avec les peuples palestinien et sahraoui ».
Il a appelé à une « plus grande attention de la communauté internationale » à la question du Sahara occidental, surtout depuis « la reprise du conflit armé entre le royaume du Maroc et le Front Polisario », allusion faite à l’escalade militaire entre les deux parties depuis la décision marocaine, en novembre 2020, de rouvrir le passage frontalier de Guerguerat avec la Mauritanie, occupé par des troupes sahraouies. Des échanges de tirs se multiplient dans cette zone depuis, menaçant le cessez-le-feu datant de 1991 entre les deux belligérants.
De plus, le ministre algérien des Affaires étrangères a appelé le secrétaire général de l’ONU à « accélérer la nomination de son envoyé personnel » pour le Sahara occidental et à « lancer un processus politique crédible entre les deux parties au conflit dans le but de parvenir à une solution politique juste et durable qui assurera l’autodétermination du peuple de la République sahraouie, membre fondateur de l’Union africaine ».
*Réplique marocaine
Les déclarations de Ramtane Lamamra ont tout de suite provoqué la réaction du représentant marocain aux Nations Unies, Omar Hilal, qui, dans une note adressée aux membres de la même conférence des pays non alignés, s’est dit étonné du « choix du ministre algérien qui a abordé la question du Sahara marocain lors de « sa première déclaration dans un fora international depuis sa récente nomination » à la tête de la diplomatie de son pays », rapporte l’agence marocaine MAP.
Omar Hilal a qualifié les termes, utilisés par Lamamra quand il évoque la « reprise du conflit armé » de « fiction [qui] n’existe que dans les communiqués de propagande du groupe séparatiste armé, Polisario, et les dépêches de l’agence de presse algérienne ».
Quant à l’urgence de nommer un envoyé onusien, le diplomate marocain a écrit que c’est « l’Algérie et le groupe séparatiste armé, qu’elle a créé, le Polisario, qui ont refusé plusieurs candidats proposés par le secrétaire général de l’ONU ».
Jusque-là, rien de nouveau dans les passes d’armes entre les deux diplomaties de deux pays qui connaissent depuis des mois des tensions politiques relayées par de violentes campagnes médiatiques. Mais, dans sa réponse, l’ambassadeur Hilal a fini par écrire : « [Le ministre algérien qui] se dresse en fervent défenseur du droit à l’autodétermination refuse ce même droit au peuple kabyle, l’un des peuples les plus anciens d’Afrique, qui subit la plus longue occupation étrangère. L’autodétermination n’est pas un principe à la carte. C’est pourquoi le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination. »
*Expulser l’ambassadeur marocain à Alger ?
Le 16 juillet, quelques heures après la réaction marocaine, les Affaires étrangères algériennes ont publié un communiqué au ton ulcéré : « Cette communication diplomatique marocaine est aventuriste, irresponsable et manipulatrice. Elle relève d’une tentative à courte vue, simpliste et vaine, destinée à cultiver un amalgame outrancier entre une question de décolonisation dûment reconnue comme telle par la communauté internationale et ce qui n’est qu’un complot dirigé contre l’unité de la nation algérienne. »
Alger a également dénoncé une « dérive particulièrement dangereuse », exigeant « une clarification de la position définitive du royaume ».
Cette « clarification » n’étant pas venue depuis, Alger a décidé de rappeler son ambassadeur à Rabat, tout en menaçant d’adopter « d’autres mesures éventuelles en fonction de l’évolution de cette affaire », comme souligné plus haut.
Cette altercation a provoqué une série de réactions à Alger et chez le Polisario. Médias et politiques algériens ont dénoncé la déclaration marocaine sur la Kabylie, sujet hypersensible alors que les autorités algériennes viennent de classer le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie comme « organisation terroriste ». Une campagne sur les réseaux sociaux a exigé l’expulsion de l’ambassadeur marocain à Alger.
*« Crise fomentée »
« L’attaque de l’ambassadeur onusien du Maroc contre le peuple algérien, dans son unité et sa cohésion nationale, prend l’allure d’un aveu officiel sur les manœuvres sournoises que mène ce pays contre l’Algérie », a posté sur les réseaux sociaux l’opposant Soufiane Djilali, président du parti Jil Jadid (Nouvelles Générations).
« Le plus inquiétant dans cette affaire est que le Maroc semble être définitivement entré dans une phase irréversible dans son animosité et sera probablement porté à aggraver la situation », s’est-il inquiété.
Du côté marocain, aucune réaction officielle, pour le moment. Mais plusieurs médias ont abondamment commenté ce énième épisode de guerre des mots entre les deux voisins maghrébins.
« Ces nouveaux développements interviennent dans un contexte où le régime [algérien], aux prises avec une grogne populaire sans précédent car aussi vaste que l’étendue géographique du pays, tente vainement de créer un front intérieur en sonnant la mobilisation contre le Maroc, suite à la crise diplomatique que Ramtane Lamamra a réussi à fomenter dès la première semaine de son retour aux affaires », écrit, par exemple, le journal électronique marocain Le 360.
Ces tensions entre les deux pays, qui connaissent de temps à autre ce genre d’éruptions médiatiques et/ou politiques, se sont accentuées depuis la reconnaissance, en décembre 2020, par l’administration Trump de la « marocanité du Sahara » en échange de la normalisation par Rabat de ses relations avec Israël.
Alger, par la voix de son désormais ex-Premier ministre Abdelaziz Djerad, avait réagi en dénonçant des « opérations étrangères visant la déstabilisation de l’Algérie », évoquant une « une réelle volonté d’attenter à l’Algérie [à travers] l’arrivée à présent de l’entité sioniste à [leurs] portes ».
Plus récemment, le numéro de juillet du mensuel de l’armée El Djeich critiquait des « campagnes » qui seraient hostiles à l’Algérie, citant un « État voisin qui voue une haine ancestrale et un ressentiment non dissimulés envers [leur] pays ». Le commentateur de cette revue très scrutée par les chancelleries étrangères à Alger va jusqu’à convoquer l’histoire lointaine nord-africaine : « Qui a trahi le héros numide Jughurta en 104 av. J.-C. et l’a remis à Rome où il sera tué ? N’était-ce pas Bocchus, roi de la Maurétanie césarienne, le Maroc d’aujourd’hui ? […] Qui s’est retourné contre l’Émir Abdelkader en décembre 1847 et s’est allié à l’ennemi français pour l’encercler ? N’est-ce pas le sultan marocain Moulay Abderrahmane ? »
Mais, au-delà des joutes historico-médiatiques, un analyste algérois y voit autre chose qu’une vieille dispute entre les deux « frères ennemis » : « Les tensions actuelles ne trouvent pas leurs vraies raisons dans le dossier sahraoui. Alger soupçonne Rabat de lui disputer le rôle majeur qu’elle veut jouer au Sahel, en perspective de la réadaptation de l’engagement français au Sahel. »
Ce qui rejoint le même commentaire du magazine de l’armée qui tente de recadrer le débat sur un éventuel déploiement de l’armée algérienne au Mali…
(Le Point)