La grave crise que traverse l’ISIE (Instance supérieure indépendante des élections), depuis la démission de son président, il y a plus de cinq mois, et le rejet, presque unanime, du projet de loi de Finances 2018, ont été révélateurs de la complexité de la crise politique que connait le pays où les acteurs ont perdu leurs repères en inscrivant leur action dans une démarche qui ne construit ni un projet ni une vision d’avenir.
L’impuissance répétée de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) à élire un nouveau président de l’ISIE, à épargner cette instance de toute instrumentalisation politicienne et à lui réunir les conditions essentielles pour organiser en toute indépendance et confiance les prochaines élections municipales, ont été les indicateurs de la dérive dangereuse observée par la classe politique et notamment les différents groupes parlementaires. Ces derniers, faut-il l’avouer, ont usé de toutes les manœuvres possibles pour empêcher tout compromis, toute solution qui aurait pu conduire à une résolution honorable de ce problème. Les différents partis, qu’ils soient de la gauche socio-démocrate, centriste ou de la droite, ont entretenu le statu quo pour enfoncer davantage l’ISIE dans le doute, altérer sa notoriété et entacher son indépendance et sa capacité à organiser des élections libres et transparentes. Manifestement, cette grave crise et la difficulté d’élire un candidat de consensus, ont été le moyen trouvé par la majorité des formations politiques représentées à l’ARP pour hypothéquer l’organisation des municipales en 2018. Parce qu’ils sont en perte de crédibilité, ne disposant pas d’assise populaire significative, ni de présence dans les régions, ils ont bloqué le processus pour ne pas affronter le verdict des urnes. Que peut espérer, par exemple, Nidaa Tounes, miné par les divisions et déserté par ses élus et ses membres fondateurs, des prochaines élections ? Certainement pas un vote utile, comme ce fut le cas en 2014. Il en est de même pour les autres formations politiques, nouvelles ou anciennes, qui sont visibles plus sur les plateaux télévisés que sur le terrain et dont le discours est souvent d’une indigence affligeante. Face à cette configuration, qui a intérêt à faire sortir l’ISIE de sa crise et à organiser les municipales dans les meilleurs délais ?
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La situation de désordre et d’affaiblissement des partis politiques, qui s’illustrent plus par leur pléthore que par la qualité du débat qu’ils suscitent, ne peut pas ne pas influencer négativement l’activité gouvernementale. Le gouvernement Chahed2, abandonné à son sort et non soutenu par ceux-là mêmes qui ont signé l’accord de Carthage en 2016, se trouve souvent dans l’expectative et incapable de conduire le changement dans le pays.
Un gouvernement d’union nationale, bloqué par les partis qui sont censés lui apporter un soutien sans faille pour mettre en œuvre des réformes urgentes à l’effet de stimuler la croissance, soutenir le développement, préserver les équilibres macroéconomiques du pays, répondre aux attentes des régions et des jeunes et restaurer la confiance des Tunisiens.
Alors que le pays fait face à des menaces terroristes sérieuses, à des difficultés économiques et financières sans précédent et à des tensions sociales insoutenables, le gouvernement ne sait plus où donner de la tête. Tout en reconnaissant que le modèle de développement actuel a atteint ses limites, que le contexte actuel impose de tout revoir et de réformer, sans plus attendre, il propose des thérapeutiques qui ont prouvé leur inefficience et leur inadaptation. Des mesures qui ne peuvent aucunement marquer une rupture avec le passé et mettre le pays sur les bons rails.
Aurait-il pu agir autrement ? Théoriquement, il aurait dû présenter une vision et engager des actions en profondeur qui auraient pu lui conférer crédibilité et confiance. Pratiquement, il se trouve pris au piège de ses propres contradictions. Quand Nida Tounes fait monter les enchères et multiplie, depuis un certain temps, les attaques frontales contre le gouvernement, quand l’UTICA menace de quitter l’accord de Carthage pour marquer son désappointement de la qualité du projet de la loi de Finances 2018 et quand Ennahdha ne pense qu’à étendre ses tentacules partout dans l’appareil de l’Etat, peut-on s’attendre à un meilleur rendement ou à une action plus vigoureuse ?
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