Amateurisme inquiétant

Une fois l’euphorie des élections terminée, les Tunisiens commencent à se réveiller avec une sorte de gueule de bois, tant la réalité est complexe et les risques de déception sont grands. Ils vont, surtout, se rendre compte de l’ampleur des défis qui les attendent et des dégâts occasionnés par la succession  de gouvernements depuis 2011, dont la gestion calamiteuse des affaires, a été à l’origine de l’exacerbation des problèmes, non de la conception de solutions. La cacophonie qui est en train de régner, dans cette période cruciale que traverse le pays, rajoute une couche à la grisaille ambiante. Elle renseigne fort sur la violence des turbulences qui risquent de nous secouer au cours d’un quinquennat de tous les défis et de tous les imprévus. Manifestement, ceux qui ont reçu la confiance des Tunisiens lors des dernières élections, nous ont jusque-là bercés de faux rêves, en évitant de parler des problèmes qui fâchent, qui interpellent et qui exigent de surcroît, encore plus de sacrifices et encore plus de souffrances.
Ce qui est dommageable, c’est que le nouveau président élu, qui a suscité l’enthousiasme des Tunisiens et leur espoir, a entamé sa mandature avec un faux pas, des décisions hâtives et improvisées qui entachent fortement sa crédibilité. Le président novice, sans parti, ni programme, s’est laissé entraîner sur un terrain glissant, alors que la raison d’Etat lui impose  de ne pas tomber dans les travers des jeux politiciens et des règlements de comptes entre des acteurs politiques qui ont été sanctionnés par les urnes. En attendant la formation d’un nouveau gouvernement, les marchandages qui perdurent et les consultations qui se poursuivent n’augurent rien de bon et la gestion de cette période intérimaire risque de causer encore des dégâts et d’altérer davantage l’image de la Tunisie, victime de l’amateurisme de sa classe politique et de son impertinence.
En attendant que les nouveaux dirigeants entrent dans le vif du sujet et terminent leurs tâtonnements, trois dossiers chauds risquent de les mettre à rude épreuve et de leur faire froid dans le dos. Des dossiers qui exigent, ni plus ni moins, un engagement sans faille de ceux qui vont assumer les destinées du pays, une grande clairvoyance et une nouvelle gouvernance des affaires du pays. Des dossiers qu’on n’évoque que peu ou prou, qu’on effleure à peine, en cette période où toute l’attention est orientée vers le partage du gâteau et la façon d’attribuer les portefeuilles ministériels.  Tout le reste, à savoir la définition d’une vision stratégique pour faire sortir le pays d’une situation économique désastreuse, l’amélioration de l’environnement des affaires ou l’impulsion de l’investissement, est relégué au deuxième rang au profit d’un discours populiste, décalé et en complète déconnexion avec les priorités nationales et les attentes les plus vives des Tunisiens.
La question qu’on s’est abstenu d’évoquer et qui sera le premier vrai test qu’affrontera le nouveau gouvernement, concerne sans aucun doute la relation Tunisie-FMI et par extension, les rapports du pays avec les bailleurs de fonds internationaux. Au cas où les nouveaux pouvoirs consentiraient à interrompre leur coopération avec l’institution de Breton Woods, l’on pourrait se demander quelles solutions alternatives ils auraient en main pour résoudre l’épineuse équation du financement du Budget de l’Etat.  En outre, quelle solution de rechange pourrait-on adopter pour mobiliser des ressources indispensables pour le service des salaires, la continuité de l’activité de pans entiers de l’activité économique et de la mise en œuvre de réformes et grands projets en cours de réalisation ? Ce dossier explosif mérite d’être éclairci et de faire l’objet d’engagements clairs, avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’on ne soit condamné à constater les dégâts.
Le deuxième dossier au sujet duquel on continue à observer un silence radio, par tous ceux qui se sont engagés dans la bataille aux portefeuilles ministériels, concerne les voies et moyens devant être adoptés pour relancer l’investissement et l’amélioration de l’environnement des affaires. Aujourd’hui, le pays souffre d’un déficit d’image plus qu’inquiétant qui dissuade les opérateurs les plus inconditionnels d’investir dans le pays. Le dysfonctionnement des institutions, le manque de transparence des procédures et l’appauvrissement de l’Administration en ressources humaines, constituent un handicap de taille.
En même temps, le diagnostic actuel de la situation laisse dubitatif. La relance de l’investissement cale et le pays se dirige, faute de stratégies claires, d’une politique volontariste bien conçue et d’un engagement politique fort, à pas sûrs, vers une désindustrialisation rampante.
Les résultats enregistrés depuis le début de l’année le prouvent. Les conclusions de certains rapports internationaux le confirment. Qui se soucie aujourd’hui de la gravité de ces problématiques ?
Face à l’attentisme, voire le désintérêt de la communauté des affaires, l’on se demande dans quelle mesure il sera possible de rebâtir une confiance et de contrer un discours hostile développé à l’endroit de partenaires stratégiques et historiques.
Le nouveau gouvernement dont la formation fait l’objet de douloureuses contractions et marchandages, sera-t-il en mesure de redresser la barre ? Ce qu’on espère le plus est de ne pas voir le pays retomber dans le même travers, dans le même piège. Former un gouvernement sur la base de calculs partisans, un gouvernement dont les membres obéiront aux lois des partis et des lobbies, scellera la mort de la transition démocratique du pays. Manifestement, tout le monde connaît que la sortie du tunnel impose, plus que jamais, une autre manière de gérer, une autre façon   de faire prévaloir les intérêts du pays et de suivre d’autres voies qui permettent de mettre en place des instruments efficaces de prévision et de décision.

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