Tout a commencé par un café avec des amis, l’un d’eux me parla alors d’un certain Ammar Belghith qui vivrait réfugié dans une grotte, très loin dans les terres, en raison d’une passion qui le ronge.
Pour en savoir plus, nous partîmes jusqu’au Kef, en direction de l’Algérie, traverser la commune de Dahmani, atteindre le site antique d’Althiburos et interroger l’un des paysans du coin. Celui-ci vous répondra : « Ah, celui qui habite la grotte ! » Il a choisi cet endroit à proximité d’un des plus beaux sites archéologiques de Tunisie « pour l’inspiration », dit-il.
Il y a déniché une grotte, en a fait la première galerie hors cité, en pleine nature. Dans son antre, Ammar s’adonne à la peinture. Cet art qu’il a pratiqué en France, en Thaïlande et aux Philippines, avant de retourner dans son pays natal. La première œuvre qu’il peint dans la grotte est un grand chat. Ébahi par l’aspect hyperréaliste de l’animal sur la toile, un paysan le supplie : « Je te ramènerai trente chats s’il le faut, mais de grâce, continue à peindre ! » Ammar s’est mis au travail. Il a semé des toiles le long du couloir sombre qui aboutit à un « puits de la création ». Les villageois lui ont trouvé le sobriquet de « peintre aux trente chats ». La rumeur traversa les collines du Kef, arriva dans les salles de rédaction de la Capitale et quelques curieux se déplacèrent. Depuis, ça n’arrête pas.
L’artiste grisonnant au sourire juvénile ouvre sa grotte, peint des cartes postales sur le Kef : « je vise l’œuvre universelle» sur laquelle plancheront des peintres du monde entier et qui sera exposée, en fin de parcours, en Tunisie. Ammar l’affirme sans détour, il veut lancer, à partir de sa bourgade de Dahmani, un nouveau concept destiné à conquérir le monde, comme naguère le cubisme ou le surréalisme. Il s’agit de la «peinture cosmique », destinée à casser les frontières, à tendre la main vers l’autre, à réaliser le rêve humaniste qui consiste à faire rencontrer les cultures et les religions par le biais de ce fabuleux dénominateur commun qu’est l’art, la peinture en l’occurrence.
Check-point culturel
La grotte est devenue un passage obligé pour les Tunisois et autres visiteurs en vadrouille. Le phénomène Ammar a réactivé l’idée de « tourisme culturel » pour la région, et la commune a commencé à transformer la piste vers Althiburos par une vraie route asphaltée. Pourvu que cela ne déconcentre pas notre peintre solitaire. Il risque de devenir le guide de sa grotte à défaut d’être le peintre de ses toiles.
Même si ce goudron s’est arrêté au petit chemin tortueux qui mène à la grotte…
Vilhelm Ekelund écrivait que «La solitude est un art». Ces propos s’appliquent bel et bien à cette expérience originale que l’artiste Ammar Belghith a choisi de mener loin de la Capitale: une grotte artistique du côté de Dahmani… Le commencement a été un rêve précieux et romantique qui a habité l’esprit et le cœur de cet artiste keffois. Le Kef, ce joli paradis perdu au Nord-Ouest de la Tunisie, continue à nous émerveiller grâce aux initiatives de ses artistes de talent qui émergent chaque jour et par sa féerie enchanteresse qui remet en question l’existence humaine, la civilisation, les liens entre l’homme et son milieu naturel… L’artistique, l’humain, l’esthétique, l’historique… se croisent, s’entremêlent dans cette aventure dont le capitaine est l’artiste plasticien Ammar Belghith.
Un point de rencontre artistique
Rares sont les gens qui ont écouté parler du site de Mdaïna qui se situe à huit kilomètres de Dahmani. Les Keffois connaissent bien cette terre fertile et pour les archéologues et les historiens, Mdaïna est un trésor! Connu sous le nom d’Althiburos, Mdaïna a su préserver son charme témoignant de son importance à l’ère romaine. De passage dans ce petit et beau patelin, vous pouvez admirer de beaux arcs de triomphe, temples, termes, et pierres mégalithiques… et c’est dans cette ambiance particulière que le projet d’Ammar Belghith est né. C’est la première galerie d’art unique en son genre en Tunisie, une galerie dans une grotte d’une dizaine de mètres de profondeur et de 25 mètres de longueur. « Imaginez un chevalet implanté au fond de la grotte, une toile qui baigne dans la lumière qui vient de la surface pénétrant l’obscurité de cette grotte! », nous dit Ammar Belghith fier que son rêve soit devenu grâce à sa bonne volonté une réalité. Que cherche de plus un artiste pour se donner à ses créations et pour s’envoler dans les cieux de la créativité. Il a tout: la lumière, la liberté de s’exprimer… et surtout ce contact permanent avec l’histoire de l’humanité… C’est dans les grottes que l’homme, durant la période préhistorique, a tissé ses premiers liens avec le monde extérieur et s’est exprimé sur les murs des grottes via des dessins et des traits… En conjuguant la volonté de créer ce rêve de voyager dans l’histoire, Ammar Belghith est arrivé à ce résultat: ayant fait des études en beaux-Arts, Si Ammar a bien saisi la valeur de cette grotte et son importance pour un artiste plasticien toujours en quête de lumière et d’inspiration.
Abandonné par l’Etat
Ignoré par les autorités, le projet ne s’est concrétisé qu’à la force de son courage « Les idées se bousculent dans ma tête ! Cette galerie n’est qu’un premier pas dans le cadre de tout un projet culturel qui va dépoussiérer l’histoire de cette ville et lui rendre sa majesté”. A cœur vaillant, rien n’est impossible!
Pourtant, l’Etat ne l’entend pas de cette oreille et Si Ammar ne doit la survie de sa « réserve culturelle pour tous les artistes persécutés » qu’à la puissance de sa volonté utopique, mais concrète aussi.
Car Sra Ouertane n’est pas un nom familier. Cependant, si vous vous rapprochez un peu de votre bouteille d’eau minérale, vous trouverez certainement son nom figurant en tant que source. La source aquifère devint donc une source artistique avec comme muses : la nature et le soleil.
Le petit village se situe à 42 kilomètres du gouvernorat du Kef, soit à 12 km de Dahmani. En haut d’une colline, on observe deux petites maisonnettes et une grotte un peu plus haut.
Belghith a réclamé la propriété de la grotte qui revenait à sa famille, mais aussi tout l’espace de 10 hectares qui comprend entre autres une maison bâtie à la française par un certain monsieur Bertholy, ancien colon français. Dans un avenir proche, cette petite maison entourée par une ferme va se transformer en une auberge destinée à accueillir des touristes en excursion. A voir toute la splendeur que dégage cette ferme, nous étions contents et déçus en même temps, de le savoir. L’amour de la beauté est égoïste, nous avions souhaité par moment, garder l’exclusivité de cet endroit.
Si Ammar nous a accueillis avec ce qu’il a de plus précieux : sa chaleur et son exubérance amicale. C’est sans doute, la raison pour laquelle il a inventé un nouveau style en peinture, à savoir « l’infinitisme » ou la peinture de l’indéfini. Il se déclare universaliste et c’est justement de part sa vocation artistique, qu’il essaie de véhiculer des valeurs humanistes au monde entier.
Un grand monsieur, un grand artiste, un bel espace… que demander de plus ?
Farouk Bahri