Alliance Nidaa-Ennahdha
La rébellion des uns, la discipline des autres
Les ennemis d’hier, sont les alliés d’aujourd’hui. C’est désormais un fait accompli. Nidaa Tounes a jugé que «le scénario exemplaire», n’est autre que la participation d’Ennahdha dans le gouvernement. Une nouvelle donne qui n’est pas sans impact sur les deux partis, au présent comme à l’avenir.
Certains leaders au sein de Nidaa Tounes, ainsi que nombre de ceux qui ont voté pour lui, estiment que le parti vainqueur des dernières élections législatives et présidentielle a failli à un engagement majeur, celui d’écarter Ennahdha du pouvoir. Une promesse sur laquelle a été bâtie la campagne électorale, placée principalement, sous le signe du « vote utile ». Néanmoins, faut-il rappeler qu’à plusieurs reprises, Béji Caïd Essebsi avait déclaré que « Nidaa Tounes ne gouvernera pas seul, car, le pays n’est pas encore stable et qu’un consensus est obligatoire pour réussir cette étape décisive ». promesse tenue, puisque finalement, Nidaa Tounes, non seulement il ne gouverne pas seul, mais il a intégré son ennemi d’hier à l’équipe dirigée par Habib Essid. Ennahdha, forte de 69 sièges à l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple), a eu gain de cause, elle, qui a toujours plaidé en faveur d’un gouvernement d’union nationale. Avec un ministère et trois secrétariats d’Etat, le mouvement islamiste fait, désormais, partie de la copie révisée d’Essid.
Du coup, le rapprochement surprenant, constaté, lors de la séance inaugurale de l’ARP a fini par se commuer en une alliance politique entre les deux grands partis politiques du pays.
A l’évidence, l’entrée d’Ennahdha dans le gouvernement a posé beaucoup de problèmes et en pose encore. Une alliance qui constitue une vraie pomme de discorde aussi bien au sein de Nidaa Tounes, que du parti Ennahdha. En effet, certains considèrent ouvertement que le rapprochement entre les deux grands partis politiques du pays, est contre nature. D’autres, au sein de Nidaa Tounes, sont allés plus loin, qualifiant cette « alliance », de « trahison » vis-à-vis des électeurs. Ainsi, Sahbi Ben Fradj, député de Nidaa à l’Assemblée des Représentants du Peuple, n’est pas allé de main morte. Il n’a pas arrêté de matraquer l’alliance, et de s’excuser auprès des électeurs, qualifiant l’entrée d’Ennahdha dans le gouvernement de « catastrophique » pour le parti et pour le peuple. D’ailleurs, il est parmi ceux qui ont milité pour que cela n’arrive pas. Mais, cela est arrivé. Et, il a réagi acceptant d’être qualifié de « rebelle ».
Sur sa page facebook, l’élu a décrit sa déception et son amertume à l’annonce du gouvernement, et il s’est ouvertement excusé auprès de ceux qui ont voté pour Nidaa Tounes. Ne se contentant pas de s’exprimer sur les réseaux sociaux, le député a été le seul, parmi les élus de Nidaa Tounes à l’ARP, à opposer son « NON », lors du vote de confiance.
La fronde Ksila et Kotti
Intervenant dans certains débats télévisés, le député a clairement déclaré que par son vote contre le gouvernement Essid, il exprime la volonté de milliers de votants pour son parti. Outre Sahbi Ben Fradj d’autres leaders, de Nidaa ont exprimé leur refus de cette composition dans sa 2e copie. Même, s’ils n’ont pas voté contre, ils se sont abstenus, une façon d’exprimer leur malaise et leur déception. Ceux qui sont montés au créneau, provoqué une certaine animosité et créé la polémique, sont, sans conteste, deux élus et non des moindres : Khemaies Ksila et Abdelaziz Kotti. Les deux députés ont franchi le Rubicon en organisant, le jour du vote de confiance, une conférence de presse pour exprimer devant les caméras, leur désaccord et leur mécontentement. Pour eux, Nidaa Tounes, parti majoritaire n’est pas suffisamment représenté dans le gouvernement Habib Essid pour exécuter son programme et tenir les promesses faites à ses électeurs. Ils ont également affirmé qu’ils sont convaincus que Nidaa Tounès n’a pas eu le poids qu’il mérite dans le gouvernement, et n’est pas assez bien représenté au niveau des ministères de souveraineté. Khemaies Ksila estime que « le gouvernement n’a pas de projet politique ni encore moins de stratégie quinquennale claire ». Plus encore, lui et Kotti ont critiqué «la mollesse» de leur propre parti, ainsi que l’absence de vision claire chez les dirigeants du Comité constitutif du parti. Pour Abdelaziz Kotti, les nominations au sein du gouvernement, se sont faites par des allégeances familiales et amicales et autres….plutôt que par compétences…
Les expressions de malaise et de colère ne se sont pas arrêtées là. Lundi après midi, des députés, appartenant au bloc de Nidaa Tounes, au sein de l’ARP, ont manifesté devant le siège du parti, aux Berges du lac. Leurs demandes étaient claires. Rectifier le processus démocratique du parti ; faire participer les députés et les structures régionales aux grandes décisions, créer un Bureau politique et restructurer le parti. Cette dernière réclamation se fonde sur la nécessité de procéder au remplacement de plusieurs de ses leaders nommés en tant que ministres ou conseillers auprès de BCE.
La discipline des élus d’Ennahdha
C’est là où réside, pour certaines personnes averties, toute la problématique de Nidaa Tounes. Au sens de Ksila, par exemple, le parti n’a pas encore mis en place ses structures à l’intérieur desquelles, les membres et adhérents pourraient s’exprimer. D’où, le recours aux médias. Les députés en désaccord avec leur propre camp n’ont pas cessé de déclarer que les structures actuelles du parti ne prennent pas la peine de consulter le bloc parlementaire de Nidaa. Et partant, ils n’ont de place où s’exprimer et faire entendre leurs voix qu’à travers les médias. Mais, est-ce une raison suffisante pour justifier l’indiscipline et la rébellion qui est en train de gronder contre les orientations générales du parti ? La réponse a été apportée par le comité constitutif de Nidaa Tounes, qui a déploré, dans un communiqué, « l’attitude de certains de ses élus n’ayant pas voté la confiance pour le nouveau gouvernement ». Ils ont qualifié ce comportement de « ridicule », « indiscipliné » et contraîre à la ligne du parti allant même jusqu’à la désobéissance au mot d’ordre donné par le parti. Le comité constitutif du parti a, par ailleurs, dénoncé ce « comportement », allant jusqu’à le condamner, et manifestant sa disposition à prendre les mesures adéquates à l’encontre de ces députés récalcitrants.
Pour certains analystes, la rébellion des députés de Nidaa, devrait être située, dans un autre contexte. A leur sens, les élus sont en train d’affûter leurs armes en prévision des batailles à venir. Leur ambition est de se positionner pour le congrès de Nidaa Tounes et d’avoir des postes de commande!
Dans tous les cas, cette « rébellion », si l’on ose dire, n’a pas été constatée, ailleurs et notamment, au sein du Mouvement Ennahdha, bien que certains de ses leaders et membres ne sont pas d’accord quant à l’entrée dans le gouvernement, ni encore, sur cette alliance politique avec Nidaa. Pourtant ce mouvement est souvent secoué par des dissensions graves et des divisions de plus en plus intenables, comme le prouvent les départs et démissions annoncés souvent à demi-mots et dans des communiqués laconiques.
La grande différence, néanmoins, réside dans le respect des formes. Jamais on n’a vu dans les médias, et sur les plateaux, un élu ou un dirigeant d’Ennahdha fustiger ouvertement son propre parti. Les leaders du parti se contentent, au sein du Conseil de la choura, d’exprimer, à huis clos, leurs désaccords et leurs différences, sans que l’opinion publique ne soit témoin de l’étalage de leur linge sale. En effet, parmi les 69 députés du groupe parlementaire du mouvement Ennahdha, 58 ont voté en faveur du nouveau gouvernement, trois se sont abstenus, et huit étaient absents.
L’alliance politique, ou la coalition, comme on préfère l’appeler, entre Nidaa et Ennahdha est aujourd’hui, une réalité bien concrète. Il faudrait faire avec. Le gouvernement Essid a obtenu un vote de confiance très confortable. Maintenant, est-ce que cela présage réellement, de la stabilité et du retour de confiance aux Tunisiens. C’est une toute autre question à laquelle, le nouveau gouvernement devrait répondre au cours des 100 premiers jours.
Nada Fatnassi