Angham fi Dhekira : rendez-vous avec l’art véritable et des voix sublimes

Dans un théâtre de Carthage presque comble en ce début du mois d’août, le spectacle Angham fi dhekira 2 avait duré 2 heures et trente minutes et a vu la présence de la ministre des affaires culturelles Hayet Guettat. La sélection des artistes et des musiciens était parfaite à cette occasion ; fruit certainement d’une minutieuse préparation. On peut dire : c’est ce que l’on avait de mieux dans notre champ artistique actuel ! En revanche, sur le plan technique et logistique, le son n’était pas terrible. En effet, la sortie des instruments était très forte au point qu’elle perturbait l’ouïe des spectateurs. Ce problème technique a donc malheureusement rabaissé la prestation des artistes invités pour participer à cette fête de la chanson.

Nostalgie quand tu nous tiens
Dans un contexte de crise s’amplifiant de jour en jour, nos concitoyens veulent se remémorer les artistes qui avaient le vent en poupe à une certaine époque tels que Scharif Alaoui, Slim Damak, Ali Louati et Lotfi Bouchnak,  C’est uniquement dans ce cadre que l’on peut comprendre l’imagination de ce spectacle et sa production pour une deuxième version par le Ministère des Affaires Culturelles. Ce concert du 1er août 2023 a comporté une armada d’instrumentistes, des choristes femmes et hommes réparties équitablement à gauche et à droite de la scène, cinq chanteurs, un chef d’orchestre, un luthiste, un guitariste, un batteur et une équipe de percussionnistes.
Aux côtés des quatre artistes mentionnés ci-dessus, il y avait la jeune est prometteuse Eya Daghnouj qui a chanté quatre morceaux dont trois appartiennent à notre diva Nabiha Karaouli surtout à l’époque où cette dernière collaborait avec Ali Louati comme poète et parolier et le fameux compositeur Anouar Brahem. Cette rencontre avait donné au tout début des années 1990 la chanson Nadini ounadik que Eya Daghnouj avait interprété avec brio dans une ambiance festive et fraiche. Aux côtés de Eya Daghnouj se trouvait le chanteur Hassan Doss apparu aux alentours de minuit en burnous rouge et équipé d’une guitare électrique. A cette heure tardive, il a interprété deux chansons de Chérif Aloui dont Ya Donia Rodi et Ih Yalla Chamsek talaite. Vers la fin, il a chauffé l’ambiance avec sa guitare électrique et par la grande force de sa jeunesse ainsi que par le biais de son célèbre morceau Tayir au moment même où le public commençait à se précipiter vers le portail de sortie.

Les anciens ouvrent le bal
Celui qui a ouvert le bal en premier est Slim Damak avec une chanson qui a fait son succès à la fin des années 80 en tant que chanteur, lui principalement compositeur de métier. Ce morceau est Mnama. Devant les spectateurs, Damak a exposé une grande élégance et une présence à l’italienne. Avec l’âge, il prend donc de la maturité, de la sagesse et de la beauté à l’image du vin. Dans cette perspective, Cicéron rappelait : « les hommes sont comme les vins : avec le temps, les bons s’améliorent et les mauvais s’aigrissent ». Certainement Damak se classe parmi les bons si on reprend le canva de Cicéron.
Après Damak, c’est autour de Scharif Alaoui de faire ses preuves et de dire qu’il est toujours là. Au départ, il la trouille. De ce fait, il n’a pas manqué de demander de l’aide à son public pour l’assister à surmonter sa peur ; comme un jeune enfant montant pour la première fois sur un théâtre. Le grand Scharif Alaoui n’a pas cessé de regarder les gestes du jeune Maestro Youssef Belhadi pour savoir quand est ce qu’il doit prendre la parole au milieu de très intéressantes mélodies musicales comme celle de la chanson Ya Bhar ; répétée à verse par l’orchestre mobilisé pour ce spectacle en après-midi avant le moment fatidique. Certes, Scharif Alaoui ne peut plus bouger comme il le faisait il y a 40 ans mais il garde toujours la même fraicheur et surtout cette même folie créatrice qui est en réalité sa marque de fabrique. Il était vêtu d’un « costard » blanc et d’un chapeau de même couleur. Avec ses gestes, il rappelle le feu Michael Jackson à l’époque de Smooth Criminal. Le public présent s’est aussi régalé dès les premières notes de l’anecdotique chanson Dir El Aglik Ziwana. Sur la scène de Carthage, Scharif Alaoui a donc montré encore une fois que le temps n’a pas eu d’incidence sur la force de sa voix et sa pureté.
Après lui, un homme est entré en jebba blanche, d’une chechia rouge, bien habillé, parfumé, le sourire aux lèvres, le mouvement de mains mélodieux, un artiste plein d’assurance. C’est bel et bien le grand Lotfi Bouchnak qui a concocté une de ses meilleures pièces pour cette occasion à savoir Ritek ma naaref win composée par Anouar Brahem et écrite par Ali Louati. La prestation de Lotfi Bouchnak n’est plus à commenter tellement imbibée de senteurs de la tunisianité et du métier d’un artisan de la musique et du chant très très chevronné.
Sur les traces de Bouchnak c’est au tour du grand musicien Mohamed Ghniya, artisan également du Cello avec à sa poche plus de 45 ans de travail acharné sur cet outil de musique, d’enrichir cette soirée. Par son solo sur la scène de Carthage, il a rendu hommage au grand musicien égyptien et arabe Mohamed Abelwahab notamment son opus Ya Msafer wahdek. Ensuite, il revisite pour le second morceau Ya Dar El Habayeb de Hédi Kalel. Cette soirée restera au final dans les annales du champ musical local notamment par sa durée et c’est une initiative depuis l’année dernière du chef d’orchestre et compositeur Abderrahmane Ayadi. Aussi, la rencontre in vivo de notre art et de nos artistes et toujours différente de ce que nous font consommer à longueur de journée nos radios et nos télévisions. Une différence de plus en plus rare.

Mohamed Ali Elhaou 

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