Par Yasser Maârouf
Ce que nous avons constaté au cours de cette enquête, c’est que la plupart des propriétaires d’animaux de compagnie ont du mal à définir leurs rapports avec leurs chats : ami, amour, confident, bouillotte chauffante et même souffre douleur chez quelques tarés, hommes et femmes ! Mais beaucoup d’entre eux admettent que leur chat est devenu leur enfant et son carnet de santé porte souvent le nom de famille.
Relation fusionnelle
La façon dont ces personnes qui adorent les animaux parlent à leurs animaux de compagnie montre à quel point leurs relations avec eux sont atypiques. En effet, ils leurs parlent souvent comme à un petit enfant et ils répondent toujours à leur place. Il y en même qui tentent de penser comme eux !
Un psychologue explique cette attitude en ces termes : « on s’adresse à son animal avec toute l’affection dont on aimerait être soi-même l’objet. Cela revient à lui attribuer un statut d’ami, d’égal et même dans certains cas de double de soi-même. Pour certaines personnes, les animaux de compagnie tiennent le rôle des enfants qu’ils n’ont pas eus. »
Pour Asma, jeune enseignante qui possède un très beau chat de race, quitter son foyer pour aller travailler pose problème : « avant de partir, je parle à mon « Prince » avec beaucoup de gentillesse, je lui dis à tout à l’heure, fais dodo, je n’en ai pas pour longtemps. Et quand je rentre, il ronronne et je lui demande s’il a passé une bonne journée… Certaines de mes amies disent que je suis folle et c’est vrai : je suis folle de mon « Prince » !
Mais pourquoi cet engouement exceptionnel pour les chats ou les chiens ? La réponse est donnée par la propriétaire d’un très beau caniche, une dame française qui vit en Tunisie depuis cinq ans à cause notamment de sa faible pension de retraite : « je crois qu’on les aime car, contrairement aux humains, leur amour est éternel et leur attachement est entier. Ils ne calculent rien et ils nous aiment sans rien demander. Cet amour inconditionnel on ne le trouve même pas chez les humains, qu’ils soient de la famille ou des amis. »
Sa voisine et unique amie, traine un boxer au faciès peu engageant et elle confirme : « mon chien ce n’est ni mon mari, ni mon enfant. C’est plutôt un ami, un vrai, avec lequel je suis complice. Au fil des années, il a pris une place de plus en plus importante. Il est irremplaçable et j’appréhende le moment où il va me quitter, car il est très vieux… ».
Une attitude que notre psychologue trouve excessive : « bien sûr qu’une relation forte peut s’instaurer entre humains et animaux. Attention cependant à l’anthropomorphisme : il ne faut pas projeter nos sentiments sur eux. On leur prête souvent des idées ou des émotions dont ils sont incapables, quoiqu’en disent leurs maitres. Un animal reste un animal et l’humaniser c’est le dénaturer. »
Jalousie
Vivre avec une petite boule de poils qui ne nous témoigne que de l’amour peut parfois provoquer des problèmes inattendus. Sonia est mariée, elle ne manque pas d’affection, mais elle aime les chats, ce qui crée des conflits avec son mari. « Mon chat est jaloux de mon mari et réciproquement. Et moi je me retrouve au milieu, tentant de trouver un équilibre qui n’est pas toujours facile à réaliser. Parfois quand mon mari et moi nous nous préparons à sortir, il me jette des regards attendrissants et il a l’air de dire s’il te plait prend-moi avec toi ! Et quand je donne trop de signes d’affection à mon chat, c’est mon mari qui me fait une crise. Un jour, il va nous mettre dehors tous les deux ! »
L’une des personnes les plus attachées à son chat est une fonctionnaire de quarante huit ans divorcée, sans enfants. Elle nous confie : « peu de gens me comprennent, mais mon chat et moi sommes fusionnels, il dort avec moi, pose sa tête sur ma main et si je suis triste ou en pleurs il vient vers moi pour me faire des câlins. J’ai l’impression de vivre grâce à lui. Je me sens bien quand il est avec moi et je n’aime pas trop m’absenter car je culpabilise de le laisser seul. Ce que je redoute le plus c’est le jour ou il s’en ira me laissant seule dans ce monde si impitoyable. Je n’ose même pas imaginer ma vie sans lui car c’est le seul qui m’apporte l’affection que je n’ai pas. »
Le plus émouvant des témoignages nous a été fourni par une sorte de SDF, un vieillard qui vit dans un immeuble délabré dans la médina de Tunis. Accompagné d’une petite chienne bâtarde qu’il surnomme « Îcha Kelba » (chienne de vie), il vit de récupération de divers objets dans les poubelles de la ville. Il affirme : « c’est la seule âme qui m’ait jamais aimé dans cette vie et ça dure depuis le jour où je l’ai trouvée jetée dans une poubelle. Je lui ai fabriqué un biberon avec une bouteille de coca et un bout de caoutchouc. L’affection qu’elle me donne est unique, atténuant ainsi la souffrance que les humains m’ont fait subir depuis ma petite enfance. »
Mais l’addiction aux animaux de compagnie n’est pas l’apanage des personnes seules ou mal aimées. Du côté des quartiers huppés de Carthage, nous avons rencontré une charmante demoiselle qui a des rapports fusionnels avec son beau berger allemand. Elle en parle avec une certaine fierté :« mon chien et moi sommes très proches, on se promène ensemble, il me protège contre les agresseurs, il dort au pied de mon lit… Mais il reste un chien, pas un ami, ni un confident. Chacun de nous tient son rôle, il n’y a pas ce lien fusionnel que je rencontre chez certaines de mes amies… »
Ce n’est justement pas le cas de sa copine qui a un caniche très agressif dès qu’on s’approche de sa maitresse. Elle raconte : « je suis fille unique et de ce fait, je suis très fusionnelle avec mon chien. Quand je rentre de la fac, j’ai droit à une fête de sauts, de câlins et d’aboiements. Je ne le remercierai jamais assez d’être là dans les bons et les mauvais jours, égal à lui-même, fidèle, contrairement à mon ex copain qui m’a laissée tomber pour une autre, très moche et très bête… » C’est incroyable les confidences auxquelles on a droit parfois, et qui sont très loin des questions posées !
Une autre dame du même standing social nous confie : « je suis mariée avec un homme que j’aime, mais il me reproche souvent mon attachement pour mon chien. Le problème c’est que nous n’avons pas eu d’enfants et mon petit compagnon prend toute la place. Je le considère comme mon bébé, surtout que j’ai un instinct maternel démesuré. » Une tendance que confirme le psychologue : « la relation fusionnelle avec un animal de compagnie est souvent un désir d’enfant inavoué chez les jeunes filles et les femmes stériles ou trop âgées pour concevoir. »
Certains pourraient penser que ces personnes sont ridicules, mais chacun a une histoire unique avec son animal de compagnie. Il faut juste que cet amour soit un peu plus rationnel. Il faudrait se contenter de les aimer sans en faire des êtres gâteux, voire ridicules, surtout quand on voit ces petits chiens habillés comme des humains. L’affection c’est bien, mais l’éducation est nécessaire… Celle des animaux, mais aussi celle de leurs compagnons !
Combien coûte un animal de compagnie ?
S’il y a une dépense qui ne connait pas la crise, c’est bien celle consacrée aux animaux de compagnie avec une moyenne de trois cent dinars pour la nourriture et autant pour les soins : vaccins, toilettage, équipements, jouets… Il s’agit d’une moyenne qui varie en fonction de la taille de l’animal, de sa race, de ses besoins.
La première année est celle qui coûte le plus cher avec l’achat de l’animal et de toute la panoplie : niche, gamelle, laisse… Il y a ensuite les dépenses de santé, entre les vaccins lors de la première visite chez le vétérinaire, soit 30 dinars et moins de dix dinars si vous allez jusqu’à l’école vétérinaire de Sidi Thabet qui accomplit un excellent travail dans ce domaine. Pour la stérilisation (castration ou ligature des trompes) il faut compter 200 dinars chez le vétérinaire en ville et 70 dinars à l’école vétérinaire de Sidi Thabet.
Mais cela n’est rien comparé aux sommes déboursées dans les pays occidentaux. Les dépenses globales en France par exemple dépassent dix milliards de nos millimes par an pour les 63 millions d’animaux qui partagent la vie des français !
Chez nous, on ne connait pas le nombre exact des animaux de compagnie, mais on l’estime à un par foyer entre chats, chiens, oiseaux, poissons… ce qui est beaucoup pour un pays en crise, mais où le besoin de compagnie animale est exponentiel à cause du nombre croissant de célibataires et autres mal aimé(e)s !
Côté dépenses, il y a d’abord l’achat de l’animal de compagnie qui variable pour un caniche. Entre 60 dinars au souk douteux de Moncef Bey, qui se tient tous les dimanches matin dans des conditions déplorables. Le caniche voit son prix doubler si on l’achète chez un éleveur sérieux ou par l’intermédiaire d’un vétérinaire.
Arrive alors en tête du budget la nourriture, qui constitue près des 2/3 des dépenses annuelles. Vient ensuite le vétérinaire, dont la visite varie en fonction de son lieu d’implantation : entre 20 et 50 dinars ! Les frais de santé ont tendance à augmenter avec l’âge, avec des visites de contrôle, d’éventuelles hospitalisations. Ajoutez à cela le toilettage à raison de 40 à 50 dinars, deux fois par an minimum pour un caniche. Il y a ensuite les accessoires : collier, jouets, de gamelle, caisse de transport…
Au final, un animal de compagnie peut peser lourd dans le budget familial, alors réfléchissez avant de vous engager, car un chien vit plus de dix ans et un chat plus de vingt an !