Appel pour un état d’urgence économique 2020-2021

Les chiffres se suivent et confirment une forte détérioration de la situation de notre économie. Ces différentes crises économiques se transforment peu à peu pour devenir un enjeu de sécurité nationale. En effet, elles dépassent le domaine économique stricto sensu où elles peuvent être traitées avec les outils classiques de la politique économique pour déborder sur le domaine politique où elles touchent la sécurité nationale et les institutions de l’Etat.
Les questions politiques, économiques ou sociales deviennent des questions de sécurité lorsqu’elles réunissent deux conditions majeures. La première est lorsque le danger touche les institutions de l’Etat et constitue un risque majeur pour leur unité et leur fonctionnement. Ces institutions, ne l’oublions pas, constituent une garantie pour l’unité de la nation et sa cohésion et, par conséquent, tout ce qui entrave leur action et leur efficacité est une menace pour la sécurité nationale et la paix sociale.
La seconde condition est le danger que ces crises économiques peuvent représenter pour la souveraineté nationale et l’indépendance de la décision nationale dans les différents domaines, politique, économique et social.
De notre point de vue, la question économique actuelle réunit ces deux conditions pour sortir du cadre économique classique et devenir progressivement une question de sécurité nationale. Le niveau de l’endettement, le recul de l’activité économique, l’explosion du chômage et bien d’autres éléments visibles de l’iceberg sont en train de menacer les institutions de l’Etat et leur crédibilité par-devant les acteurs économiques et sociaux.
Par ailleurs, la dérive des finances publiques, le déficit croissant dans le budget de l’Etat, ainsi que le niveau d’endettement, particulièrement le niveau du service de la dette, sont en train de passer d’une charge financière assez lourde à un déficit qui pourrait se transformer en une crise de la dette nous amenant à son rééchelonnement.
Cette situation, en plus de sa difficulté juridique et de ses conséquences négatives sur la crédibilité de notre pays, nous pousserait dans une situation où l’on perdrait une part de notre souveraineté et de l’indépendance de notre décision économique. Le rééchelonnement de la dette s’accompagne de conditionnalités très strictes et très difficiles afin que les donateurs acceptent le retard du remboursement de leurs créances.
La profonde détérioration de la situation économique a créé les conditions pour que la question économique vienne rejoindre les dangers du terrorisme et de la pandémie et devienne une menace supplémentaire pour la sécurité nationale. Par conséquent, il faut la mobilisation des institutions de l’Etat et de tous les acteurs politiques et sociaux pour lui faire face.
L’état d’urgence constitue la réponse politique, légale et institutionnelle pour répondre à tous les dangers qui touchent la sécurité nationale. Comme c’était le cas pour le terrorisme et la gestion de la pandémie, cet appel se justifie par la gravité de la situation économique et la nécessité d’une prise de conscience des dangers que nous traversons, d’où la nécessité de favoriser une grande mobilisation de toutes les forces politiques et sociales.
Dans cette contribution, nous présenterons quelques propositions pour un état d’urgence économique pour la fin de l’année 2020 et l’année 2021. Ces propositions exigent un débat et une réflexion afin de formuler un projet national d’état d’urgence économique capable de rassembler toutes les forces politiques et sociales, et les institutions de l’Etat.
Mais, avant de présenter ces propositions, nous allons nous arrêter sur le contexte économique et ses principales caractéristiques.

Les parcours de la crise économique
La crise économique aiguë que nous traversons aujourd’hui se trouve au croisement de trois grandes tendances. La première concerne l’essoufflement du modèle de croissance, hérité du milieu des années 1970 qui est basé sur une série d’équilibres et de grands choix de développement dont celui de l’insertion dans la division internationale du travail sur la base de nos avantages comparatifs qui s’appuient sur nos faibles coûts de main-d’œuvre.
Si ce modèle de développement a favorisé la croissance et la création d’emplois au cours de trois décennies, il est entré, à partir du début du nouveau siècle, dans une crise profonde. Ce parcours demande par conséquent des réformes et un nouveau modèle de développement que la plupart des gouvernements post-révolution n’ont pas réussi à mettre en place.
Le second parcours qui a contribué à la crise actuelle a commencé après la Révolution et résulte des différentes politiques mises en place. Ces politiques ont été à l’origine d’une forte dérive des grands équilibres des finances publiques. La croissance rapide des dépenses pour répondre aux différentes demandes sociales a été à l’origine du creusement du déficit public. En même temps, on a assisté à une aggravation des déséquilibres externes, particulièrement ceux des balances commerciale et courante.
Ces dérives des grands comptes macroéconomiques vont contribuer à une aggravation de la dette et de son service qui seront au cœur des grands dangers qui pèsent de tout leur poids sur notre économie.
Le troisième grand parcours concerne les conséquences économiques de la pandémie parallèlement à ses effets sur la santé publique. Les chiffres ont commencé à nous donner une idée de l’ampleur de la récession que nous sommes en train de vivre et qui sera la plus importante dans toute l’histoire économique de notre pays avec une baisse de la croissance de 8% pour l’année 2020.
Cette récession va avoir des conséquences majeures sur l’emploi et sur nos entreprises, l’investissement, ainsi que les grands équilibres économiques de l’Etat.
Les lois de Finances rectificatives pour les années 2020 et 2021 résument ces grands défis économiques et financiers. La loi de Finances rectificative montre un recul des dépenses publiques qui sera de près de -7%, ce qui va entraîner un déficit de 14,9 milliards de dinars qui représente 13,4% du PIB. Ce déficit nécessitera un besoin de financement de 21,5 milliards de dinars dont seulement un peu moins de la moitié a été mobilisée. Les différents rapports ont indiqué que près de 11 milliards de dinars sont encore à trouver pour le restant de l’année, ce qui représente un important défi pour les institutions de l’Etat.
On peut mentionner les mêmes remarques pour la loi de Finances 2021. Même si l’on suppose une relance de la croissance en 2021 qui atteindra, selon les prévisions, 4%, se traduisant par la baisse du déficit du budget de l’Etat qui sera autour de 8,8 milliards de dinars et représentera -7,3% du PIB, les dangers et les turbulences continueront à planer sur notre économie.
Le grand défi se situera alors au niveau du besoin de financement à satisfaire et qui devrait se situer autour de 19,5 milliards de dinars dont 16,6 milliards doivent venir de l’extérieur. La mobilisation de ces ressources constituera un défi important pour notre économie et pour nos institutions du fait de la situation économique internationale et de la détérioration de notre notation.
Ces trois éléments ont largement participé à la détérioration de la situation économique et financière de notre pays, ce qui laisse présager des difficultés majeures. Dans ce contexte, nous avons suggéré un état d’urgence économique pour mobiliser les institutions de l’Etat ainsi que les forces politiques nationales afin de faire face aux dangers qui nous guettent.
Nous présentons dans cette chronique les grands axes de cette proposition.

Les objectifs stratégiques
De notre point de vue, la proposition d’un état d’urgence économique doit favoriser une large mobilisation des institutions de l’Etat pour réaliser deux objectifs stratégiques majeurs:
– Considérer que la bonne santé de notre économie et le retour de son dynamisme sont une question de sécurité nationale.
– Protéger l’Etat d’une crise de la dette qui pourrait mettre en cause notre souveraineté économique et l’indépendance de notre décision économique.

Les principes
Ces objectifs stratégiques doivent se traduire dans des principes clairs qui doivent conduire l’action publique au cours des deux prochaines années.
Parmi ces principes, nous pouvons souligner :
– La protection des institutions de l’Etat devant les tentatives pour les affaiblir.
– L’appui aux entreprises face aux turbulences actuelles et la réunion des conditions pour leur permettre un retour rapide à l’activité.
– L’appui aux couches sociales les plus défavorisées et la garantie de leur protection face à la pandémie.
– La mobilisation des ressources nécessaires pour le secteur de la santé pour faire face à la pandémie.
– La protection de l’Etat et de ses institutions face à une crise de la dette.

Les politiques
L’état d’urgence doit comporter de notre point de vue un consensus sur les politiques et les grands choix de l’action publique au cours des deux prochaines années. Parmi ces choix, nous suggérons les suivants :
– La suspension de toutes les dépenses nouvelles de l’Etat au cours des années 2020 et 2021 en dehors des dépenses d’investissement et de soutien au secteur de la santé.
– La poursuite du soutien de l’Etat aux couches défavoriseés et touchées par la pandémie.
– L’accélération de l’investissement public avec l’adoption rapide du projet de loi d’urgence économique.
– L’accélération de l’utilisation des entreprises privées des mécanismes de garantie de l’Etat pour accéder au financement bancaire.
– La révision des dettes de l’Etat vis-à-vis des entreprises publiques et la définition des priorités pour leur règlement.
– La poursuite du soutien de l’Etat aux entreprises publiques et l’impératif de faire de la préparation des plans de restructuration par les directions de ces entreprises une condition de ce soutien.
– La mise en place d’une stratégie claire et chiffrée pour la lutte contre l’évasion fiscale et la collecte des paiements de l’Etat.
– La poursuite du rôle dynamique de la Banque centrale dans le financement de l’économie.
Une grande mobilisation de notre diplomatie économique pour négocier des reports de la dette auprès de certains de nos partenaires.
– L’ouverture de négociations avec les grandes institutions internationales, particulièrement le FMI.

Les mécanismes
La difficulté de la situation économique exige de la part des plus hautes instances de l’Etat, dont la présidence de la République ou la présidence du gouvernement, de lancer cet appel pour un état d’urgence économique et de réunir les institutions de l’Etat, ainsi que les forces politiques et sociales autour d’un projet de sauvetage de notre économie comme ce fut le cas dans la lutte contre le terrorisme et dans la mobilisation contre la pandémie de la Covid-19.
La gravité de la situation économique et cette transition d’une crise économique classique vers une crise qui menace la sécurité nationale exigent des réponses fortes et audacieuses. L’initiative du lancement d’un état d’urgence économique pour les années 2020 et 2021 constitue une réponse capable de rassembler les forces politiques et sociales pour protéger notre économie et l’indépendance de notre décision nationale.

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