Approche globale pour une guerre totale

De nouveau, le terrorisme a frappé la Tunisie et touché un corps républicain de pointe : la Garde nationale tunisienne qui vient de donner son lot de 8 martyrs. La recrudescence du phénomène terroriste de façon spectaculaire depuis septembre 2012, méthodique et sanguinaire, vient donc de franchir un nouveau pas en ciblant les postes avancés du cordon sécuritaire protecteur de l’État tunisien. Conformément à leurs discours, les terroristes passent à l’acte et commencent réellement à mettre à exécution leurs plans de « démolition méthodique de l’État ». Aussi, la descente du terrorisme vers les villages est une nouvelle étape qui donne à réfléchir sur les ramifications, l’appui et la complicité dont ils bénéficient sur le plan national : les réseaux occultes et la protection d’une partie de la population locale (ainsi que les réseaux dormants) sans négliger l’appui logistique et financier d’acteurs internationaux et l’idée de «complot» qui n’est pas non plus à écarter.

D’autre part, les décisions politiques prises jusqu’à présent pour combattre ce fléau, les considérations aussi bien morales que matérielles de nos forces armées, de la Garde nationale, des Douanes, de la Police nationale, renvoient à une question centrale : nos forces disposent-elles de moyens à même de lui fournir toutes les conditions de réussite dans cette guerre non-conventionnelle et dont de nombreux pays, à l’exemple de l’Algérie et des USA, peinent à trouver les solutions radicales pour l’éradiquer ?

 

Le terrorisme prospère après janvier 2011

C’est sans doute, énoncer un lieu commun que d’affirmer que la vague de l’islamisme radical et «djihadiste» a pleinement profité de la nouvelle ère de liberté qu’a connue la Tunisie après janvier 2011. Les latitudes permises aux formations politiques de tous bords, ont pleinement donné aux formations dites «djihadistes», l’occasion de s’affirmer, sous couvert de la grande bannière de la famille islamiste, sans pour autant reconnaître les symboles de l’identité nationale. Il faut dire que le jeu démocratique est incompatible avec leurs convictions et leurs conceptions de l’État national. Mais, c’était pour eux une aubaine que de travailler dans les coulisses et en profondeur pour préparer, dans quelques temps, le rêve chimérique d’un État Islamique transnational au Maghreb. Peu importe la couverture : Al-Qaïeda, Ansar al Charia ou d’autres dénominations génériques, car ce qui compte avant tout c’est le projet, la finalité et les moyens mis en œuvre pour exécuter leurs plans.

L’obédience idéologique est clairement définie comme étant celle d’une conception fourbe de l’Islam wahhabite qui n’hésite pas à employer la violence physique et verbale, avec un discours apocalyptique, s’adressant toujours aux passions et jamais à la raison. Ce courant extrémiste recrute essentiellement dans les mosquées et dans des régions et quartiers connus pour s’être historiquement insurgés contre l’État central. Il a ainsi su profiter de nombreuses décisions politiques hasardeuses surtout avec la rupture des relations diplomatiques avec la Syrie ou en envoyant des combattants vers ce pays. Aguerris, ayant su profiter d’une situation précaire sur les frontières, c’est le moins que l’on puisse dire, la contrebande leur a fourni à la fois les ressources financières, les armes et une connaissance parfaite des réseaux montagneux et des points d’appui des deux côtés de la frontière algéro-libyenne. La voisine libyenne, dont plus de 25 millions de pièces d’armes sont hors du contrôle de l’État, focalise aujourd’hui tous les regards, car soupçonnée d’être le fournisseur d’armes de l’Afrique du Nord et de toute la région subsaharienne.

Ne revenons pas dans les détails sur les erreurs politiques assez graves commises dans l’euphorie d’un élan dit «révolutionnaire».Mais un bref rappel serait instructif, à commencer par la dissolution de la police politique et les antennes sécuritaires de nos ambassades à l’étranger. Farhat Rajhi, juge nommé à la tête du ministère de l’Intérieur, avait contribué par imprudence à créer le vide. Non moins maladroite fut la décision de libérer tous les détenus politiques accusés de terrorisme sous Ben Ali. L’amnistie générale décrétée le 20 février 2011 sous Mohammed Ghannouchi libéra plus de «1200 salafistes dont 300 ont combattu en Afghanistan, en Irak, au Yémen et en Somalie. Cette «lâchée» d’ex-djihadistes sans contrôle ni suivi, a réinjecté du sang neuf dans les mouvements de l’extrémisme religieux. Des condamnés à plus de 30 ans de prison furent, tout simplement, amnistiés ; c’est dire à quel point des décisions politiques hasardeuses ont mené à cette dérive sécuritaire que nous vivons aujourd’hui ! En tout, cette loi d’amnistie aurait concerné au total entre 10.000 et 12.000 personnes (dont plus de 4.500 ont été intégrés à la fonction publique.)

Dans une Tunisie nouvelle, les terroristes ont profité alors pleinement de la liberté d’expression et d’organisation et en peu de temps, ils ont réussi à former de véritables milices de guerre qui ne manquent ni de moyens financiers ni de logistique. De nombreux incidents disparates, des rapports de spécialistes et même des forces de sécurité, avaient, pourtant maintes fois, mis en garde contre les dérives terroristes de ces groupes qui n’hésitent pas à faire usage de la force physique et verbale afin de soumettre leurs adversaires à leurs vues.

 

Les terroirs géographiques du terrorisme

Aujourd’hui, alors que les opérations ont fait des victimes parmi la Garde nationale et a, auparavant, fait des morts, des blessés et des mutilés en été 2013 (juin-juillet-août) parmi l’Armée nationale, on se demande comment ces groupes ont pu s’implanter dans la région de Kasserine (aux bords des zones montagneuses), à Goubellat et à Sidi Ali Ben Aoun ? Les raisons géographiques sont-elles suffisantes pour expliquer que le terrorisme joue sur la zone tampon entre deux frontières ?

Les récents événements, surtout après les opérations de Chaambi, ont bel et bien montré la complicité d’une bonne part des populations locales grâce auxquelles les terroristes ont pu travailler, bénéficier d’une aide logistique et en nourriture et même une aide à fuir les lieux après leurs forfaits. Le phénomène de complicité ou la cinquième colonne du terrorisme est un facteur qui a été déterminant au plus haut point, car il a pu fausser les pistes des investigations et compromettre les recherches en cours sur les présumés terroristes.

Rappelons que des régions entières en Tunisie sont toujours demeurées réfractaires au contrôle de l’État et que c’est là une question qui remonte à des siècles. Les insurrections des tribus qualifiées d’insoumises, à commencer par Ouled Saïd en 1864, puis la tribu des Fréchiches en 1906, les Ouederna en 1915-1916, les M’razigs en 1944 et surtout pendant la Révolution armée de 1952-1954. Ces terroirs d’insoumission ont été nourris par une marginalisation politique, économique et sociale pendant toute l’ère de l’indépendance. Les régions côtières et balnéaires sont devenues des pôles d’attraction, bien que les ressources de l’État tunisien proviennent en grande partie de ces régions défavorisées : le phosphate. Le bassin minier — la région de Gafsa —constitue ainsi dans l’imaginaire collectif un bastion d’opposition à l’État. Sidi Bouzid et ses environs et toute la région du Nord-Ouest limitrophe de la frontière algérienne ont constitué quasiment des zones de non-droit. Il n’est pas étonnant que les meetings d’Ansar Acharia brandissant le drapeau noir sur les hauteurs des mosquées, soient organisés dans ces villages où ils bénéficient d’un appui des habitants. 

Il n’est pas étonnant non plus de voir la contrebande constituer le socle même de l’économie de ces régions. Si l’on ajoute l’état d’insécurité, de complicité de l’autre côté des frontières ainsi que l’absence de toute activité culturelle et sportive pour canaliser la jeunesse et lui insuffler un sentiment patriotique, on comprend aisément l’emprise du discours de l’islamisme radical sur une grande partie de la population. Les liens familiaux sont aussi une autre facette de la complicité dont bénéficient les terroristes. Le passage d’une région à une autre et l’aide offerte aussi bien par les trafiquants que les membres des familles, ne doivent pas nous empêcher d’avoir une vision globale socio-historique et psychologique du phénomène du terrorisme qui sévit actuellement. La guerre contre le terrorisme n’est certainement pas exclusivement de terrain devant être engagée exclusivement par les forces de sécurité ou par la justice. Elle  se joue également au niveau des mentalités et sur le terrain des  conditions socio-économiques et culturelles d’une partie de la Tunisie oubliée.

Il serait important de revenir sur les modalités pratiques qu’exige aujourd’hui la guerre contre le terrorisme et d’insister sur la stratégie globale aussi bien sur le terrain que sur le plan culturel et psychologique.

Par Fayçal Chérif

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