Un peu plus de 100 jours de passés, et, comme l’usage le veut, l’heure est maintenant au premier bilan. L’ampleur du bouleversement survenu dans notre pays requiert de la patience avant une quelconque stabilisation et la conjoncture économique nationale s’est naturellement dégradée tout au long des dernières années. Nous ne cherchons pas ici à accuser ni le gouvernement de 2014, ni l’actuel gouvernement. En général, quelques mois c’est toujours peu, mais beaucoup face à l’impatience des citoyens surtout après un soulèvement historique.
2015 une cinquième année perdue sur le plan économique
Les années 2011, 2012, 2013 et 2014 seront sans doute considérées parmi les plus mauvais crus, sur le plan économique bien sûr, qu’ait connus la Tunisie. Le soulèvement populaire a laissé de profondes séquelles et plus les jours passent, plus les plaies économiques deviennent profondes. Malheureusement, l’année 2015 risque aussi d’être classée dans le même registre. Le Chef du gouvernement a tenté vendredi dernier de défendre son bilan, mais quand on ne connaît pas le véritable état de la situation de départ, le bilan devient forcément difficile, car sans référence à une situation précise. Même si le gouvernement considère que la situation ne s’est pas dégradée, celle-ci ne s’est pas améliorée non plus. Et avec seulement 1,5% de croissance pour cette année selon le FMI, les risques d’une dépression sont bien réels.
Alors que l’objectif est de rattraper les années perdues, l’économie tunisienne recule et accumule des faiblesses. En effet, au moment où la croissance se dirige vers le niveau zéro, l’inflation demeure encore élevée, la valeur du dinar continue de baisser, les déficits courant et budgétaire explosent et le chômage augmente. Un bilan non seulement négatif mais inquiétant. La vérité, pas toujours facile à dire doit être vue en face: la Tunisie peut être considérée comme un pays en risque de tomber dans une trappe de fragilité si rien n’est fait à temps car les difficultés s’accentuent de jour en jour.
Malheureusement, le gouvernement actuel et l’élite politique qui l’entoure refusent de voir la réalité et surtout de mettre en cause la responsabilité de ces mêmes élites qui se montrent incapables de se hisser à la hauteur des enjeux et se révèlent coupables de légèreté et d’inconscience. Et si nous ne réagissons pas assez vite, les réformes nous seront imposées de l’extérieur.
Le déni devant la réalité et l’incapacité à la désigner pour ce qu’elle est sont au cœur du déclin tunisien. Un tel déni de réalité est sans équivalent. Et ce déni débouche sur le nihilisme, c’est-à-dire l’absence de toute solution qui mène au désespoir. C’est le terreau sur lequel prospèrent le populisme, le terrorisme, la haine des plus aisés etc. C’est aussi une menace de désintégration de l’économie, de la société et de la nation.
La Tunisie sur le chemin de la Russie…en 1998!
De nombreux experts tunisiens estiment que le scénario grec se profile à l’horizon de la Tunisie. Ceci n’est pas tout à fait vrai et c’est plutôt le scénario russe de 1998 qui se dessine. En effet, en 1998, bien sûr à cause de la baisse du prix du baril mais aussi à cause d’une mauvaise gestion de l’administration publique en Russie, de nombreux fonctionnaires ne sont plus payés, notamment les jeunes, qui se distinguent par l’organisation de grèves de grande ampleur. De même, les entreprises travaillant avec l’Etat sont également impayées. Un cercle vicieux est alors enclenché. A cause des impayés et du développement de l’économie parallèle dans le pays, l’Etat n’a plus de recette car les impôts ne sont plus versés, par les salariés qui ne touchent plus de salaires mais également par de nombreuses entreprises, qui attendent d’être réglées par l’Etat.
Pour parvenir à verser les sommes non payées, l’Etat fait recours à l’endettement extérieur et aussi à la création monétaire (la planche à billet). La dette va ainsi augmenter, la note souveraine du pays baisse. La Russie a dû emprunter à des taux très élevés, ce qui rend la situation ingérable.
En effet, les taux grimpent même à 150% durant cette période. Et la dévaluation devient ainsi une exigence et non plus un choix. Nous estimons que ce scénario se dessine en Tunisie même si la situation est légèrement différente. En effet, avec 60% du budget consacré aux paiements des salaires, l’Etat ne cesse d’avoir recours à l’endettement extérieur. Mais cette dernière n’est pas infinie et l’Etat pourrait se trouver contraint de recourir à la planche à billet, d’où encore plus d’inflation. L’incapacité de paiement de l’Etat augmentera les protestations sociales qui ralentiront de plus en plus l’économie. Les bailleurs de fonds exigeront des taux élevés et obligerons les autorités à recourir à la dévaluation. Le gouvernement actuel et l’élite politique doivent être conscients que ce scénario est probable surtout que ce type de situation a toujours inversé le processus politique d’une démocratie vers la dictature.
Au final, il faut reconnaître que le discours du Chef du gouvernement n’a pas été très rassurant de ce point de vue. La situation est toujours floue, confuse. Beaucoup de généralités sont exprimées mais peu de mesures concrètes sont mises en œuvre. Lorsque le Chef du gouvernement dit qu’un taux de croissance élevé exige des réformes, ceci est valable pour presque tous les pays du monde. Quelles réformes concrètement ? Qu’est ce qui est urgent et qu’est ce qui peut être reporté (le sequencing des réformes). Comment mener les réformes ? Comment retrouver la paix sociale ? Comment sauver l’année en cours en ce qui concerne le tourisme ? Rien de tout cela.
Quoi qu’on dise, la stabilité est particulièrement déterminante en période de transition voire même une condition sine qua non pour la relance de la croissance. Dès lors, il devient nécessaire de rechercher les conditions nécessaires de cette incontournable stabilité : de la confiance et du dialogue. Alors pourra-t-on rattraper en 2016 ce que nous avons perdu et manqué ces dernières années? Rien n’est moins sûr.