Après l’adoption de la Constitution, que reste-t-il de l’islam politique ?

 

Après l’adoption d’une constitution, qui ne consacre nullement le règne de la charia, et la mise en place d’un gouvernement de technocrates en Tunisie, on est en mesure de s’interroger sur ce qui reste de l’islam politique aujourd’hui. Focus

 

«Personne ne nous a chassés du pouvoir. Nous sommes partis du gouvernement, ni, suite à un coup d’État,  ni, suite à une révolution, mais de notre propre gré et pour l’intérêt de la Tunisie », a déclaré Rached Ghannouchi, chef d’Ennahdha, lors d’une émission télé, diffusée sur la chaîne Ettounissia le 19 janvier dernier. C’est tout dire sur l’état d’esprit qui règne au sein du parti islamiste, lequel se console de  ne pas avoir pu rester trop  longtemps au pouvoir et imposer sa vision idéologique dans la nouvelle constitution.

C’est un peu par miracle si Ennahdha a réussi à se maintenir dans le paysage politique tunisien, après tous les changements géopolitiques qui ont eu lieu dans la région ces derniers mois : chute des Frères musulmans en Égypte et leur persécution par l’armée, déstabilisation du régime en Turquie et défaite de l’opposition syrienne à tendance islamiste. La Tunisie demeure le dernier bastion où le mouvement des Frères musulmans existe toujours. Quand on se rappelle  de la mobilisation populaire sans précédent contre Ennahdha, suite à l’assassinat de Mohamed Brahmi,  on peut mesurer la chance que ce parti ait eu pour rester encore sur l’échiquier  politique aujourd’hui. L’été dernier, le pays s’enflammait partout, le sit-in d’Errahil battait son plein, l’opposition s’est réunie pour la première fois dans un front, celui du salut, consolidé par l’appui des organisations nationales : UGTT et UTICA et en Égypte, l’armée avait réussi à chasser Morsi du pouvoir.  Tout annonçait un scénario de chaos et une nouvelle révolution. Et pourtant, Ennahdha a pu se maintenir grâce à un consensus de la classe politique et des interventions étrangères qui voulaient sauver la Tunisie du scénario égyptien et en faire le seul pays où l’expérience éphémère du Printemps arabe pourrait réussir.

 

Une constitution non islamiste

Toutefois, rester sur la scène politique a eu un prix à payer pour le parti islamiste: marquer de la distance par rapport au projet idéologique initial. « Ennahdha s’est comporté comme un parti pragmatique, pas comme un parti idéologique, comme l’ont fait les Frères musulmans en Égypte », note Alaya Allani spécialiste dans l’islamisme au Maghreb. « Je pense que le courant de l’islam politique en Tunisie est en phase de rentrer dans des révisions profondes », ajoute-t-il.

Conscient de la nouvelle donne politique et géopolitique, Ennahdha savait qu’il n’était plus dans une position de force, à cause d’un bilan catastrophique sur le plan économique et sécuritaire. C’est pour cela, que le parti islamiste a accepté de faire des concessions énormes sur les articles de la Constitution.  Ce texte ne contient presque aucune référence à la charia, à part l’article premier qui stipule que l’Islam est la religion de l’État et l’article 38  où il est indiqué qu’il est du ressort de l’État d’enraciner les Tunisiens « dans l’identité arabo-musulmane ».  Cette nouvelle constitution garantit toutes les libertés y compris celle du culte, proscrit l’accusation d’apostasie et permet l’égalité entre les sexes dans les droits et les devoirs, outre la parité dans la représentativité au sein des comités élus. On est loin d’une constitution « islamiste » à l’image de celle promulguée en Égypte sous le règne de Morsi. « Au début, les députés d’Ennahdha à l’ANC cherchaient à inscrire la charia dans la Constitution et à  incriminer l’atteinte au sacré, mais ils n’ont pas pu imposer ces positions, car la société civile leur a fait une résistance farouche », souligne Alaya Allani.

 

Un gouvernement de parfaits technocrates

Et ce n’est pas seulement sur la bataille de la Constitution qu’a cédé Ennahdha. Le choix du gouvernement a été aussi un défi majeur pour le parti islamiste. Il fallait, non seulement sortir du pouvoir, mais aussi le mettre entre les mains d’un cabinet parfaitement technocrate et à grande majorité indépendant. Même le maintien du ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou qui était une exigence majeure d’Ennahdha, il a été contrecarré par la création, d’un nouveau portefeuille celui, du ministre délégué chargé de la sécurité nationale.

Finalement c’est le pragmatisme politique qui l’a emporté sur le projet idéologique. Ennahdha semble avoir commencé à fonctionner comme un parti de gouvernement, afin de garantir sa pérennité. Ce n’était pas, certes, sans y avoir laissé des plumes. En témoigne, la vague de démissions au sein du parti ces derniers temps. L’aile radicale, ainsi qu’une bonne partie de la base n’est pas d’accord avec ces concessions douloureuses. D’où la nécessité pour Ennahdha actuellement de se réorganiser de l’intérieur et de consolider ses assises en prévision des prochaines élections. Il se doit aussi de faire des révisions de son projet idéologique dont il ne reste plus rien si l’on juge les résultats sur le terrain.  Alaya Allani, estime que «l’Islam politique qu’il soit en Égypte, en Tunisie ou en Turquie ne représente plus un modèle attirant. Pis, il est accusé dans tous les pays du Printemps arabe d’être la cause principale de la propagation du terrorisme ».

Quel avenir donc pour l’Islam politique ? Il faudra peut-être attendre de voir les résultats des prochaines élections en Tunisie pour juger du réel changement d’attitude chez les islamistes. Il est possible qu’il s’agirait seulement d’une énième manœuvre et qu’une fois revenus au pouvoir, ils pourraient reprendre le même projet idéologique.

 

Hanène Zbiss

 

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