Après les élections: Quelle nouvelle configuration de la scène politique ?

 

Le premier président de la deuxième République directement élu, cela ne constitue pas seulement un changement dans l’histoire de la Tunisie, mais impose aussi un changement de la scène politique tunisienne. Depuis la Révolution, plusieurs schémas ont été constitués. Tout d’abord deux gouvernements, dont le premier n’a duré qu’un mois, ensuite un gouvernement constitué justement par Béji Caïd Essebsi, nouveau président et au lendemain du 23 octobre 2011, la Troïka a accédé au pouvoir, deux démissions plus tard, un gouvernement de technocrates a été constitué. Aujourd’hui, une nouvelle période commence et il convient de s’interroger sur le nouveau paysage politique postélectoral.

 

 

 

La crainte a persisté jusqu’à la veille des élections, que la relation entre la présidence et le gouvernement ne soit tendue et ne mène à des blocages et des impasses. En termes de lois à discuter au sein du Parlement par exemple, une loi proposée par le président est prioritaire et celle proposée par le gouvernement l’est aussi, si le cas se présentait, le Parlement risque de se retrouver bloqué. Un gouvernement proposé par Nidaa, parti majoritaire, pouvait aussi être refusé par la présidence… Aujourd’hui, avec un président issu de la majorité, il n’y a aucun risque de tension ou de blocage, ce qui facilitera un travail dans la cohésion et l’exécution du programme défendu par Nidaa en toute harmonie.

Au second tour, le président Béji Caïd Essebsi a été soutenu par plusieurs partis politiques : l’UPL, AfekTounès, Al-Moubadra, le Mouvement national, Al-Massar, le Mouvement destourien, le Parti des Forces du 14 janvier, l’Action nationale démocrate, le Parti socialiste, le MDS et a bénéficié du soutien de plusieurs personnalités indépendantes. Ces partis se retrouvant aussi dans le nouveau Parlement peuvent constituer un bloc permettant à NidaaTounes de gouverner aisément et aussi de diversifier le gouvernement en y incluant les autres partis. Cela rassurera quant aux craintes du retour de l’autocratie et sur l’avenir de la diversité et de la pluralité en Tunisie.

Aujourd’hui NidaaTounes rassemble par ailleurs des destouriens, des Rcdistes, des représentants de la gauche, des syndicalistes, etc. La cohésion n’était pas simple au début, pourtant, ce parti hétérogène a su remporter les législatives. Il semble aussi pouvoir rallier les différents courants rassemblant ainsi la majorité du peuple tunisien puisque plusieurs se retrouvent dans l’une ou l’autre de ses nuances.

Dans l’opposition, Ennahdha pourrait à lui seul la constituer ou la mener. Néanmoins, la naissance d’une troisième voie pour mettre justement fin à la bipolarisation entre le parti séculaire NidaaTounes et le parti islamiste Ennahdha semble pour bientôt. Cela ne pourrait qu’intensifier la pluralité en Tunisie.

 

Sur le front intérieur

Des manifestations ont éclaté, notamment dans le Sud, depuis l’annonce de la victoire de Béji Caïd Essebsi. Depuis, la situation s’est normalisée. La situation peut être contenue et plusieurs points du programme de NidaaTounes et de Béji Caïd Essebsi pourraient calmer les esprits et offrir de réelles opportunités de développement.

Aujourd’hui sur le plan interne, Béji Caïd Essebsi, en établissant les principaux points de son programme, a promis de faire la lumière sur les assassinats de Chokri Belaïdet de Mohamed Brahmi. Cela pourrait d’un côté apaiser les passions et redonner confiance dans les appareils sécuritaire et judiciaire et, d’un autre côté, prévenir contre les éventuels attentats ou menaces contre la sécurité. En effet, dévoiler l’identité des commanditaires des assassinats permettrait de démanteler tout le réseau ou du moins d’empêcher les prochaines actions qu’ils avaient peut-être prévues.

D’ailleurs, le nouveau président a promis de fournir tous les moyens et encadrements dont auraient besoin les forces sécuritaires et militaires pour rétablir la sécurité nationale.

Un autre volet a été évoqué par Béji Caïd Essebsi et il pourrait certainement avoir une grande incidence sur les jeunes et les prochaines générations et sur leur avenir, à savoir la révision des lois portant sur la consommation des stupéfiants. Les chiffres indiquent que 55% des jeunes entre 15 et 19 ans consomment de la drogue en Tunisie, selon les études publiées en juillet 2014. Selon les chiffres de 2013, entre 5 et 10% des filles tunisiennes sont dépendantes des stupéfiants. Elles sont 8.000 des 100.000 tunisiens qui le sont. Quant à la gent masculine, ils sont 56% à consommer du cannabis ou de la marijuana, plus connu sous le nom de zatla en Tunisie.

Au vu des lois existantes, des milliers de jeunes se retrouvent ainsi avec l’avenir brisé du jour au lendemain. Ils sont contraints de quitter travail ou études pendant un an et le bulletin numéro 3 ainsi entaché les empêche souvent ensuite de réintégrer le monde professionnel ou leur rend la tâche plus difficile. Des milliers de jeunes entrent en prison pour consommation et, se retrouvant en cohabitation avec de véritables criminels, en sortent parfois prenant la même voie que ces derniers surtout après l’absence de perspectives d’avenir. Beaucoup d’entre eux ont basculé dans l’extrémisme religieux dans les prisons et, surtout, un jeune consommateur arrive souvent à se procurer de la drogue en prison d’où la mise en doute de la nécessité de l’emprisonnement. La promesse de réviser les lois, même si elle peut choquer les conservateurs, aura au contraire un effet d’apaisement. Elle peut remédier au fléau alors que l’expérience a prouvé que les sanctions par l’emprisonnement sont incapables de le contenir.

À la révision de la loi s’ajoute une prime estudiantine allouée à la bourse qui atteindra 120 dinars. L’amélioration de la vie dans les quartiers populaires fait aussi partie des points importants du programme de Béji Caïd Essebsi. Ces points cités ci-dessus participeront à la paix sociale, surtout en sachant que selon les chiffres de 2009, les jeunes (entre 18 et 29 ans) représentent 23,3% de la population. Les jeunes âgés entre 18 et 19 ans sont de 395.000(chiffres 2009) et 1.052.000 sont âgés de 20 à 24 ans et sont donc en âge de fréquenter l’université. Lancer un programme de développement dans les zones frontalières, autre point du programme, qui contribuera à l’émergence de ces régions et à combattre la criminalité, la contrebande, le terrorisme et à diminuer le sentiment de marginalisation et de frustration. Offrir plus de chances aux jeunes et aux zones marginalisées et améliorer leurs conditions ne peuvent qu’annoncer une éventuelle stabilisation étant donné que la Révolution a éclaté dans les zones défavorisées et a été alimentée et menée par les jeunes.

Offrir un meilleur avenir aux jeunes peut dissuader une grande partie de ceux se sentant marginalisés de s’orienter, entre autres, vers le fondamentalisme et donc préviendrait contre le terrorisme. Mais ce dernier est aujourd’hui bien réel en Tunisie et outre le prévenir, il est aussi nécessaire de lutter contre. «Il nous revient aujourd’hui de consacrer les moyens nécessaires afin de répondre aux besoins urgents des commandements et au renforcement du moral des unités et de l’homogénéité de leurs rangs», a annoncé Béji Caïd Essebsi lors de la présentation du volet de la défense dans son programme. Réinstaurer un état-major chapeautant les armées pour les unifier et restructurer le service des renseignements figure aussi dans le programme de Béji Caïd Essebsi. Police et Garde nationale seraient mieux déployées sur le terrain selon les menaces et les priorités, ce qui optimiserait la qualité des opérations. Des unités spécialisées seront créées dans chaque gouvernorat.

Sur le plan interne aussi, le nouveau président s’engage à garantir les droits des minorités et des personnes ayant des besoins spécifiques, ainsi qu’à garantir les droits et les libertés des Tunisiens. C’est là un autre pas vers la cohésion et la paix sociale, mais aussi un message fort envoyé à la communauté internationale et qui ne peut qu’améliorer nos relations avec l’espace européen et le monde occidental.

 

Relations étrangères

L’une des prérogatives du président de la République selon la nouvelle Constitution est la diplomatie. Béji Caïd Essebsi a été ministre des Affaires étrangères de 1981 à 1986 dans les gouvernements de Mohamed Mzali

et de Rachid Sfar. Avant cela, il a été ambassadeur de Tunisie en France et a lui-même signé l’accord permettant aux Tunisiens d’avoir une double nationalité sans perdre la leur, ce qui était jusqu’à cette époque la loi en vigueur.

Exonérer les citoyens du Maghreb de la taxe de 30 dinars imposée pour quitter la Tunisie est annonciateur d’une Tunisie plus ancrée dans son espace maghrébin. Béji Caïd Essebsi a aussi promis d’encourager les investissements étrangers.

En termes d’orientation diplomatique, Béji Caïd Essebsi a déjà souligné «toute l’importance que nous accorderons aux États-Unis d’Amérique et au pays de l’Amérique latine». Il a aussi annoncé le renforcement des relations diplomatiques tunisiennes avec les pays frères et amis. Concernant ces derniers, rappelons que jusque-là la France a toujours été notre premier partenaire économique.

Béji Caïd Essebsi a d’ailleurs fait une déclaration qui devrait raffermir les relations avec les pays qui ont été en quelque sorte visés par des déclarations tunisiennes virulentes à leur encontre. Il a précisé que l’image à véhiculer de la Tunisie pour lui redonner son éclat ne devrait pas être «une exportation de notre modèle», tout comme il a souligné que «nous n’avons de leçon à donner à personne et nous ne saurions nous immiscer dans les affaires intérieures d’aucun pays». Deux volets sont fixés pour faire émerger la Tunisie et lui rendre sa place au sein de la communauté internationale : la lutte contre le terrorisme et la modernisation des relations, mais, surtout et comme c’était le cas dans le passé, l’éloigner des tiraillements.

Hajer Ajroudi

 

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