«Il est de notre devoir de contribuer au salut de la Tunisie qui, il y a trois ans, était un État respecté » dixit l’ancien Premier ministre de Ben Ali, Hamed Karoui, qui revient en «mécène» sur la scène politique tunisienne. Aujourd’hui, avec l’abandon, par la majorité au sein de l’ANC, de « la loi de l’immunisation de la Révolution », dite loi d’exclusion, plus rien ne peut contrer le retour des hauts responsables du RCD, hormis la décision du peuple lors des votes.
Faut-il rappeler à cette occasion que ce paradis, dont de hauts responsables de l’ancien régime chantent les louanges, n’était qu’une vitrine polie par la propagande?
Mais il suffisait de quitter les grandes artères de Tunis et les quartiers huppés de la capitale et des villes côtières pour se retrouver brutalement devant une profonde misère visible sur les visages des marginalisés et sur les murs des foyers délabrés, ainsi qu’elle s’affichait dans une infrastructure en piètre état. Le taux de chômage, le pourcentage de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, l’état des hôpitaux et écoles démunis et sans matériel adéquat, l’illettrisme (…) tant de données camouflées, faussées et «retouchées» du temps de l’ancien régime. Aujourd’hui, l’apparition médiatique d’anciens hauts responsable d’État de l’époque de l’ancien régime ou du RCD, suscite non seulement la polémique chez les Tunisiens, mais divise la classe politique. À chaque apparition, la classe politique passe plus de temps en accusations mutuelles et en surenchère militante, qu’à sonder les problèmes socioéconomiques et à établir un programme électoral.
Alors que les leaders d’opinion centristes et de gauche se donnent à cœur joie au lavage de linge sale et au droit de réponse aux déclarations d’Hamed Karoui ou d’autres visages RCDistes, Ennahdha reprend du terrain perdu et entame une campagne de récupération des voix.
Les analystes de la scène politique s’entendent pour dire que si le RCD trouve une porte d’entrée aujourd’hui, c’est bien à cause de la dégradation de la situation socioéconomique qu’a connue la Tunisie durant les trois dernières années, depuis les élections du 23 octobre 2011, qui ont permis l’arrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahdha et de ses deux alliés le CPR et Ettakattol.
Hormis quelques personnalités qui se déclarent fidèles et fières de leur affiliation au RCD, la majorité revient en se voilant derrière une autre armure : celle du Néo-Destour et après lui le parti socialiste destourien. L’histoire du Destour riche par sa lutte pour l’indépendance et par sa construction de la Tunisie moderne redore l’image du RCD, dont le nom est venu rebaptiser le PSD, mais dont la plupart des dirigeants et partisans ont tourné le dos , au lendemain du 7 novembre 1987, à l’ancien président Bourguiba et à toute l’histoire destourienne.
Bon nombre de dirigeants du RCD, dissous le 9 mars 2011, tentent de revenir sur la scène politique et prétendent pouvoir retrouver le pouvoir. Mais, et même si la responsabilité juridique a été blanchie par les tribunaux, la responsabilité politique demeure à assumer.
La loi de l’exclusion, de la poudre aux yeux
Souvent promise, plus pour gagner des voix que par réelle volonté de la faire passer, la loi de l’immunisation de la Révolution a été durant deux ans un discours vendu par les populistes. Ennahdha l’a promis et en a fait son cheval de bataille pour que plus tard ses leaders renient tout simplement la promesse faite. Ainsi la déclaration de Sahbi Atig, le 4 août dernier assurant «l’exclusion des anciens du RCD ne concerne pas les personnes en tant que telles, mais leur organisation en parti politique et la tentative des Rcdistes impliqués dans des affaires de corruption de revenir sur le devant de la scène», vient contredire d’autres affirmations comme celle du membre du même parti, Riadh Chouaïbi, qui avait déclaré lors du congrès d’Ennahdha «qu’il n’était pas question d’accepter le retour des anciens du RCD durant la période de transition.»
Il a, par ailleurs, affirmé qu’Ennahdha appuie le projet d’exclusion des RCDistes pendant cinq ans de la scène politique, proposé par le CPR à l’ANC.
La loi proposée par le CPR se rapporte à «toute personne ayant assumé une responsabilité au sein du RCD dissous : Secrétaire général, Secrétaire général adjoint, membre du comité central, membre d’une cellule de coordination, d’une fédération ou président d’une cellule.” Les partis Wafa et autres ont instrumentalisé «le traumatisme RCD» pour chercher prétexte à l’échec actuel expliquant toutes les erreurs commises par les gouvernements Troïka ou les troubles survenus lors des trois dernières années par un complot rcdiste visant à déstabiliser le pays.
Or, le retard de l’application de la justice transitionnelle, qui est justement l’une des erreurs des deux anciens gouvernements de la Troïka, est bien l’une des raisons ayant permis le retour du RCD. Une loi a, quand même, été votée qui, tout en permettant aux anciens membres du RCD de présenter leur candidature aux élections, stipule que toute autre personne peut contester en apportant la preuve de la non-validité de la candidature.
Cette loi pourrait justement être considérée plus «démocrate» et équilibrée qu’une éventuelle loi d’exclusion. En effet et mis à part la responsabilité politique de certains acteurs dans le lourd passé dictatorial des anciens régimes, une loi d’exclusion est considérée par une bonne part de la population comme une manière d’infantiliser le peuple et de le mettre sous tutelle, l’empêchant de choisir ou le jugeant inapte à être l’auteur de son destin.
Hajer Ajroudi