Arabie Saoudite – Qatar : l’Égypte au cœur de la crise

Trois États membres du Conseil de coopération du Golfe, L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn  (CCG) ont décidé, le 5 mars dernier, le retrait de leurs ambassadeurs au Qatar suite à  une réunion des ministres des Affaires étrangères des six pétromonarchies constituant le CCG.

Deux jours après, soit le vendredi le 7 mars 2014, Le ministère de l’Intérieur de l’Arabie saoudite a classé la confrérie des Frères musulmans sur la liste des organisations terroristes. Doha a expliqué cette décision par «des désaccords sur des questions hors des pays du CCG». L’Égypte en fait justement partie… Décryptage.

Selon un communiqué publié par les trois États, Doha a failli à l’accord de sécurité signé à Riyad en novembre 2013. Le Qatar serait engagé dans une politique de division et d’ingérence dans les affaires internes des autres pays membres du Conseil.

Le Qatar est accusé par l’Arabie saoudite de tenir un rôle déstabilisateur en Égypte. L’Organisation des Frères musulmans interdite et classée terroriste par Riyad, deux jours après le retrait de l’ambassadeur saoudien du Qatar, se retrouve au cœur du différend. Aussi,Doha est également accusé de soutenir les Frères musulmans et de leur offrir refuge. Sa politique favoriserait, selon les États membres du Conseil, l’implantation de la confrérie dans la région. Selon Riyad et le Caire, la chaine TV Qatari, Al Jazeera, est le cheval de Troie et le bras médiatique de la confrérie. Les prêches donnés par Youssef Al-Qaradaoui, «star» de la chaîne qatarie, hostiles à la politique saoudienne et émiratie ont dégradé leurs relations avec le Qatar. Face à cette tempête régionale, Doha s’est contenté d’exprimer sa surprise et ses regrets.

Concurrence

En 2002, Riyad avait déjà retiré son ambassadeur à Doha en réponse à une campagne jugée calomnieuse de la chaîne Al Jazeera. Néanmoins, les différends entre l’Arabie saoudite et le Qatar illustrent leur concurrence pour le pouvoir régional.

En août 2013 et après la destitution de Morsi, contre 7 milliards de dollars accordés aux Frères musulmans par le Qatar, 12 milliards ont été alloués par l’Arabie saoudite à l’armée égyptienne. L’Arabie saoudite, dans son soutien à l’armée égyptienne, a même fait volte-face à ses alliés occidentaux. Au mois de juillet, l’Arabie saoudite avait versé 5 milliards de dollars dans les caisses de la Banque centrale égyptienne, les Émirats arabes unis en ont versé 3 et le Koweït en a versé 4. Bien avant le retrait des ambassadeurs, les pétromonarchies s’alignaient déjà à trois, soutenant le nouveau régime et la destitution de Morsi face au Qatar, resté seul soutien des Frères musulmans.

Quand l’Union européenne a menacé de suspendre l’aide financière de 5 milliards d’euros promise à l’Égypte en 2012, le  ministre des Affaires étrangères saoudien, le prince Saoud al-Fayçal, avait assuré que le royaume était prêt à compenser toute sanction occidentale. Néanmoins, précisons, qu’avant même le changement gouvernemental en Égypte, et lors des  élections qui ont amené Morsi au pouvoir, l’Arabie saoudite affichait son soutien aux salafistes égyptiens représentés par le parti «Al Nour», quand le Qatar soutenait le candidat de la confrérie des Frères musulmans.

L’Arabie saoudite, dont le régime a été, à une échelle réduite, menacé par quelques petites révoltes vite réprimées, se voit ainsi rassurée par la destitution d’un président, hormis son orientation et sa couleur politique, arrivé au pouvoir suite à des élections, après une révolution et succédant à Hosni Moubarak, allié de Riyad. Le Qatar, dont les ambitions régionales ne sont pas secrètes et qui soutient un islam politique dit modéré, s’est alors attaché, avant la destitution de Mohamed Morsi, à une alliance avec l’Égypte et la Turquie d’Erdogan et son parti islamiste pour la « Justice et le Développement ».

Le changement opéré par l’armée égyptienne a brisé l’axe Qatar – Égypte – Turquie. Face aux crises internes successives en Turquie, menaçant le pouvoir en place et la démission du gouvernement à majorité islamiste en Tunisie, le Qatar reste le seul pilier, soutien et refuge des Frères musulmans. Isolé depuis les changements régionaux, le Qatar, bien que le nouvel émir Tamim Ben Hamed Al Thani ait essayé de poursuivre une politique plus souple que celle de son père avec les pétromonarchies voisines, est aujourd’hui officiellement «rejeté» et d’autant plus isolé.

Le point commun entre l’Arabie saoudite et ses alliés, d’un côté, et le Qatar de l’autre, reste la crise syrienne et l’opposition commune au pouvoir de Bachar Al Assad, ainsi qu’à son «tuteur» chiite, l’Iran. Le Qatar a néanmoins choisi de s’aligner avec la Turquie dans la gestion du dossier syrien. Un projet commun lie les deux États : un gazoduc terrestre reliant le Qatar à l’Europe en passant par la Syrie et la Turquie et permettant l’acheminement du gaz qatari vers le vieux continent. Le projet sera impossible à réaliser si le régime de Bachar Al Assad se maintient.

Le pouvoir régional iranien menaçant les intérêts de l’ensemble des pétromonarchies limiterait, néanmoins, l’escalade dans la crise actuelle. Les États membres du Conseil devront trouver un terrain d’entente avec le Qatar et s’unir afin de contrer l’Iran. Le retrait des ambassadeurs ressemblerait dans ce cas, plus à une pression exercée sur le Qatar qu’à une sanction. Ainsi, l’on espère voir le jeune prince qatari abandonner une politique d’influence régionale en solo et rentrer dans le rang avec le reste des pétromonarchies, et abandonner tout soutien aux Frères musulmans dont il est resté le seul refuge et appui dans la région.

Hajer Ajroudi

 

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