Arcade Fire : 75 minutes de bonheur !

 

Il est probable qu’en attendant le quatrième opus de Arcade Fire, le bien nommé Reflektor, vous vous êtes demandé si ce nouvel album des Canadiens serait à la hauteur de leur phénoménale réputation…

 

Le groupe a commencé par une offensive sur Youtube en postant une vidéo de 85 minutes qui use d’un visuel kaléidoscopique de 1959, tiré du film Orfeu Negro de Marcel Camus. Si quelque chose qui se passe sur Internet peut être considéré comme un événement, alors cela a certainement été l’un des plus importants de ces derniers mois. Comme des milliers d’internautes à travers le monde, l’effervescence subite de l’annonce (enfin !) d’un album m’amenèrent à subir un flot ininterrompu des chanceux qui avaient pu écouter l’album en avant-première ce sont commentaires, tweets, instagrams qui défilèrent à la vitesse de la lumière. Les premiers retours donnaient l’impression d’un jaillissement fervent «Je ne peux même pas me rendre compte comment excité cela fait de moi! «  et de tweets de personnes qui ont visiblement usé de « substances euphorisantes »: « Je ne comprends pas ce que tout le buzz est d’environ ! Certes ! ». Cette logorrhée, à la limite de l’inconsistance, aurait paru bizarre et probablement déprimante il y a quelques décennies, et il est effrayant d’imaginer que l’avenir artistique sera celui de la recherche d’une « pré-consommation » de la musique : découvrir à travers les autres, rôle ankylosant de la critique à l’heure du buzz. Mais revenons à Arcade Fire!

Les quatre albums de la bande de Montréal ont toujours été portés par les imprécations de notion et de tension. C’est pas pour cela que l’on retrouvait des sujets aussi anxiogènes. L’isolement lénifiant de la vie de banlieue ou encore le fantasme de la communauté empreinte de religiosité. Autant le dire tout de suite Reflektor va plus loin, au moins dans la portée, que tout ce que Arcade Fire a fait jusqu’à présent. En effet, les défis ont été considérablement relevés puisque tout le monde les attendait. Leur précédent album, The Suburbs , a été le vainqueur inattendu du Grammy pour 2011 de l’album de l’année, et depuis Arcade Fire est un groupe qui compte.

 Et pourtant, aucune personne impliquée dans ce projet ne semble s’être endormie sur ses lauriers, avec, notamment, à la réalisation, le talentueux producteur, et ancien LCD Soundsystem, le retraité James Murphy . Reflektor est un triomphe, mais pas un tour d’honneur, une nouvelle pièce à l’édifice du son mural du groupe.

En fait, on aurait même à faire plutôt à un album anxieux, parfois même carrément paranoïaque qui demande de gros efforts de concentration, des rythmiques barbelées visant non seulement l’ouïe mais aussi la nostalgie des dieux de l’histoire du rock que je vous laisse découvrir au fur et à mesure de l’écoute. Arcade Fire a enrichi sa matière musicale, ce sérieux serré allongé avec une petite, et bienvenue, pincée d’ironie, et c’est ce qui la vivifie d’une manière que beaucoup de musique récente, à base de guitare, n’arrive à faire.

« Aimez-vous la musique rock ? » demande Butler dans un frisson mimique à la Elvis au début du tremblement de terre glam-rock « Normal person ». Sur leur dernière tournée, Arcade Fire a joué pour la première fois en Haïti, le pays où les parents de la chanteuse/multi-instrumentiste, Régine Chassagne, sont nés.

Le groupe évoquait d’ailleurs l’expérience de jouer pour un public qui n’avait jamais entendu de nombreux groupes de rock. Ce qui a complètement chamboulé leur manière de jouer, plus avec les tripes qu’avec les textes, plus avec la diction qu’avec les mots…. Plus rythmique, plus brut…  et cela se retrouve dans Reflektor

Le son de Reflektor est luxuriant et imaginatif, mais jamais d’une manière qui vous étouffe avec les fumées de son brasier sonore. C’est souple et lâche, comme si les chansons avaient été réalisées en direct, les arrangements respirent, bouillonnent et suent. Comme leurs détracteurs seront prompts à souligner, le plus grand crime de Arcade Fire, dans le passé, avait été parfois trop majestueux, cf. The Suburbs qui avait échoué à capturer l’énergie frénétique de leurs spectacles. Mais sur la première moitié de Reflektor, ils donnent l’impression de vouloir dégonfler leur propre sens de la grandeur. C’est agréable d’entendre un groupe, qui s’est présenté sur la scène littéralement habillé pour un enterrement, ressembler maintenant à une fête continue, à une ivresse auditive ininterrompue !

Apartés maladroits, gauches, voire inattendus, de minuscules imperfections portent ces chansons vers la vie. La portée de Reflektor est assez vaste, parlant à la fois de leurs expériences et des nôtres. Un événement, un album qui ose être grand et remarquablement réussi. Deux cd, 13 chansons, 75 minutes de bonheur.

F.B.

 

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