Architectes : les raisons d’une colère

« L’architecte en tant que metteur en forme d’un projet est aujourd’hui un personnage pathétique, une personne d’une autre époque. »

 Renzo Piano
Architecte Italien

 Aujourd’hui les spécialistes de la profession d’architecture expriment leur profond désarroi face aux difficultés liées à la gestion des questions règlementaires et administratives. Ils exigent de profonds changements, tant dans les formes juridiques que dans les compétences réunies et ce pour faire face aux évolutions de la société tout en restant les seuls généralistes de l’acte de bâtir.
Il n’y a pas mieux que les chiffres pour comprendre la situation, alors sachez que plus de 40% de ce qui se construit en Tunisie est fait sans aucune autorisation de bâtir et seulement 10% des demandes de ces autorisations sont élaborées par des architectes et pour tout dire, rare de trouver aujourd’hui un architecte parmi les membres de la commission d’autorisation de bâtir.
Voilà la situation  d’aujourd’hui !!!!Notre règlementation et nos manières de faire restent la plaie de l’architecture.

Quand l’image du métier de rêve s’effondre
La profession d’architecte a toujours véhiculé une image forte d’un métier rémunérateur qui propulse les architectes dans les étages supérieurs de la hiérarchie sociale. En plus, c’est le métier de rêve par excellence qui laisse parler l’imagination.
L’architecte est considéré en Tunisie et partout dans le monde comme un artiste, un créateur d’espace et d’ouvrages qui resteront dans l’histoire.
Le Tunisien ne sait pas très bien quoi faire avec l’architecture, il ne valorise pas en réalité son plus par rapport à la construction, d’ailleurs cet état produit un déclenchement d’un fait très désagréable chez les jeunes architectes lors des premiers contacts avec les clients.
Pour mieux apprécier ce qui sépare l’acte de construire de l’acte architectural, je dirai tout simplement que c’est la différence entre « s’habiller » et « être élégant » ou « produire des sons » et « faire de la musique » !

Comment l’architecte est-il rémunéré ?
Le seul pays au Monde où le barème de calcul des honoraires des architectes est règlementé par leur principal client à savoir le ministère de l’équipement, de l’Habitat et de l’infrastructure est bien le notre «la Tunisie». En effet, partout dans le monde c’est le conseil de l’ordre qui établit le barème des honoraires pour les architectes.
Le mode de calcul des honoraires de ces derniers chez nous est réglementé par un ancien décret 78-71 établis dans le temps par le premier constructeur du pays et ceci en fonction de la valeur des travaux à exécuter : le taux est bien entendu décroissant avec l’augmentation du montant des travaux de génie civil.
Pour les petits et moyens projets du secteur privé, la rémunération de l’architecte demeure soumise aux « Enchères Publiques » puisque c’est un accord mutuel entre l’architecte et son client.

Les Architectes expriment leur désarroi
Vendredi 21 mai 2021, le conseil de l’ordre a appelé les architectes à une journée de colère contre l’état de tension et la politique de marginalisation et de discrimination des architectes aussi bien du secteur public que du secteur privé.
Une grève générale, durant un mois, renouvelable et ce à partir du 3 mai avec la cessation totale de toute activité professionnelle a été déclarée par le Conseil de l’ordre.
Les architectes sont aujourd’hui tous conscients des mutations à accomplir et savent que le changement ne se fera pas sans de réels efforts. Je tiens alors à cette occasion à remercier tous les consœurs et les confrères qui ont bien voulu répondre à l’invitation et de permettre ainsi de mieux défendre notre profession, d’être prospectif  et de tenir à améliorer notre situation pour un avenir meilleur et plus durable à l’Horizon 203O
Il faut dire que les architectes éprouvent, depuis quelques années, des difficultés dans la profession. En effet la diminution des commandes, le manque d’investissements dans le milieu de l’immobilier, et le remaniement des jeux d’acteurs dans les projets d’architectures, obligent ses derniers à s’adapter et impliquent la remise en question de leur travail.
Il y a même des architectes qui parviennent à tirer leur épingle du jeu en inventant de nouvelles pratiques en s’appuyant sur des niches d’opportunité que la crise actuelle offre.

Les Architectes et la crise sanitaire
Comme pour l’ensemble des métiers, le quotidien des architectes n’a pas été épargné par la crise sanitaire liée au covid-19. Comme l’ensemble des professionnels, les architectes se sont adaptés à la crise, comme ils le peuvent.
Certains même sont arrivés à mettre leur savoir faire au service de la lutte contre la pandémie. Ils se sont mis à la disposition du ministère de la santé afin de proposer des solutions d’organisation d’espace, et éviter au maximum les croisements critiques des flux et abaisser donc la charge virale et surtout de contrôler le flux aéraulique en intervenant sur les systèmes de ventilation.
Un autre groupe d’architectes a lancé une campagne pour la construction dans chaque région des postes médicaux avancés (PMA), ces centres permettent de fournir les premiers soins aux patients touchés par le coronavirus qui sont en phase critique.

Face au désarroi
Ces dernières années, la crise sanitaire mais surtout  la crise économique n’ont pas du tout épargnés les architectes mais au contraire.
La Tunisie compte actuellement un peu plus que 6.000 architectes inscrits au tableau de l’ordre et pourtant, toujours plus d’étudiants sortent, diplôme en main, des écoles d’architecture mais trouvent-ils facilement du travail ?
Les jeunes diplômés, bien déçus, sont parfois tentés de se détourner d’une profession qui ne paraît pas pouvoir leur assurer d’avenir.
Aujourd’hui, le respect de cette activité d’intérêt général doit être assuré par une série de garanties reposant en majeure partie sur les architectes, justifiant que l’organisation de la profession et son mode d’exercice soient juridiquement encadrées, il est bien d’être indépendant, mais encore faut-il pouvoir survivre.
L’image de l’architecte est aujourd’hui en déclin.
A l’heure actuelle, il me semble que l’architecte a plus que jamais un rôle à jouer dans le dessin d’une ville nouvelle et de la création du monde de demain ? Quel rôle a-t-il à jouer ? Ne faudrait-il pas pour cela réinventer le métier d’architecte?
L’architecte en tant que concepteur, créateur, bâtisseur, constructeur, se doit d’intégrer toutes ces données à sa matrice de projet.
S’impose alors aux architectes, le faire, et pas juste le penser. L’architecte doit prendre part activement au faire différemment, à l’exploration, afin de renforcer sa position dans l’acte de bâtir.
On doit repenser notre métier, expérimenter, rechercher, essayer, échouer, recommencer, on innove, on avance, on construit, on remet la main à la pâte, on renoue avec les matériaux locaux, on travaille avec des artisans, on réfléchit, on avance et on se bat pour la qualité architecturale mais toujours tous ensemble.
L’architecte doit toujours être le maître d’œuvre, c’est-à-dire celui qui va faire naître le projet du bâtiment, puis le suivre jusqu’à la fin du chantier, il est également un ingénieur maîtrisant les règles physiques de la construction et un spécialiste des tâches administratives, capable de tenir compte de la réalité, compter, négocier, faire des démarches…
En principe, aucune décision ne peut être prise sans son intervention ou son accord car, si des problèmes se posent jusqu’à la dernière minute, l’architecte doit réagir et trouver la solution adéquate le plus rapidement possible.

*M.K Architecte

 

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