Archives de la Présidence de la République : L’IVD et le mépris de l’Histoire

 

« C’est pire qu’un crime, c’est une faute »

 Boulay de la Meurthe, 1804.

 

 


La question des archives de la présidence pose aujourd’hui un problème de fond quant aux enjeux des dossiers historiques que soulève le retour à une année charnière par laquelle l’IVD va engager son travail de mémoire et surtout d’histoire : 1955 ! Il est vrai que justice doit-être rendue pour toute personne ayant été lésée ou dont les droits ont été bafoués. Mais l’instance a-t-elle pensé à réécrire un pan entier de notre histoire avec une ignorance totale du procédé, du moins scientifique, du métier d’historien ? Et comme Fernand Braudel le dit assez bien « il n’ y a guère de présent tout est historique ». Instruire le passé ne revient-il pas à demander l’avis des historiens et leurs implications dans ce processus de recherche de vérité ? Le droit ne représente qu’une partie de ces dossiers et vient en dernier lieu. Pourquoi cette volonté délibérée de revenir à l’Histoire sans les historiens ?

 

Mémoire, Histoire, archives : des sources à l’investigation et maillon fort négligé par l’IVD

Je ne m’étalerai pas trop sur l’amateurisme de la présidente de l’Instance vérité et Dignité, mes collègues Hédi Jellab et Ridha Tlili vont démontrer que les Archives ne sont pas une marchandise mais un patrimoine d’État. Ce qui me chagrine le plus en tant qu’historien-chercheur et membre de l’unité archivistique à l’Institut Supérieur d’Histoire de la Tunisie Contemporaine, c’est l’instrumentalisation faite de l’histoire dans ce semblant recherche de vérité.

Je pense sérieusement qu’engager l’enquête à partir de 1955 est un choix politique et non mémoriel. Ce choix part d’un postulat que les yousséfistes étaient des victimes de Bourguiba, alors que ce dossier n’est pas tranché par les historiens, encore mieux, la police tunisienne n’existait pas à l’époque, et les seuls rapports étaient établis par la police française ! (Nous allons revisiter ces archives dans les prochains numéros de Réalités). Et donc les défis se situent d’ores et déjà au niveau des sources même de ce conflit. L’histoire orale et en dépit des avantages qu’elle procure, n’est pas une source sûre pour l’historien. Le travail de croisement des sources, d’accès aux archives de première main est le métier de professionnels qui sont outillés pour revisiter ces archives, les croiser, les critiquer car ils ont un background et une culture historique pointue qui leur permettent de lire (et ce n’est pas un vain mot) les archives.

 

Une seule question centrale se pose

Pourquoi l’Instance et les membres de l’Assemblée Constituante ont écarté les historiens alors que le choix de l’année 1955 n’est assurément pas neutre et que la plupart des dossiers qui seront instruits (youssefisme, complot 1962, affaire de Bizerte, mouvement perspective, grève de janvier 1978, l’affaire de Gafsa 1980, la révolte du pain et tous les dossiers sous Ben Ali) reviennent d’abord à une investigation historique et à un travail titanesque que l’IVD n’a ni les compétences requises, ni le recul et l’objectivité qui lui permettent d’engager non un travail de mémoire (subjectif) mais plutôt d’histoire (objectif) ?

On a vu l’amateurisme de l’IVD pour les archives de la présidence. L’Instance est-elle capable aujourd’hui de revenir et de lire notre histoire, de connaître les procédés, de décortiquer les archives (qui ne contiennent nécessairement pas la vérité absolue), de transférer les dossiers à la justice et se permettre d’amnistier ? Ma foi tout cela ne requiert pas seulement la bonne volonté mais plutôt une déontologie et un professionnalisme exemplaires. L’Institut Supérieur d’Histoire de la Tunisie Contemporaine renferme plus de 20 historiens-chercheurs ; pourquoi l’instance n’a jamais contacté aucun de spécialistes au moins pour savoir s’ils avaient écrit quelque chose sur ces grands dossiers de l’histoire de notre pays ?

Avec la négligence du pilier de la mémoire et du patrimoine national que sont les Archives nationales, la négligence de la discipline, maîtresse dans ces questions purement historiques, relève tout simplement du mépris. Et loin de l’idée de complot, nous pensons que nous ne pourrons jamais instruire et rendre la vérité et la justice à travers une instance qui ne respecte pas la démarche logique de toute recherche de vérité à travers une coopération avec les véritables acteurs dans ce travail colossal qui va revisiter notre histoire. Comme les archives, instruire des dossiers historiques, reviendrait aussi et en quelque sorte à réécrire une partie de notre histoire. Alors pourquoi faire de l’histoire sans être des historiens ? La réponse se trouve dans la tête de ceux qui ont érigé cette instance, car je pense qu’ils pensent que tous les historiens ne sont pas capables de revisiter notre histoire : y-a-t-il une justification plausible à ce choix délibéré, volontaire et de surcroit amateur ? 

Lire aussi:

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Hédi Jallab: “L’État est seul garant des droits et des libertés et non une instance provisoire” 

A propos des Archives nationales , Ça n’est pas une chasse aux trésors 

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