ARP: La tête ailleurs

Il a fallu près de 55 minutes au Chef du gouvernement, Habib Essid, pour prononcer son discours sous le dôme de l’Assemblée des représentants du peuple. Un discours long, ennuyeux et monotone, selon un grand nombre de députés. Un discours à l’image du gouvernement. Pourtant la situation du pays est de loin mouvementée et pleine de controverses.

La journée à l’ARP avait commencé à 9h du matin pour une séance plénière consacrée à l’audition du gouvernement Essid, 100 jours après son investiture par ces mêmes députés. Première intervention d’un député suite au discours de Habib Essid était un appel au procureur de la République d’ouvrir une enquête quant aux agents de l’aéroport de Carthage qui l’ont maltraité lors d’un récent voyage. « Mon FCR était la cause de ce mauvais traitement » rétorqua le député. Huit minutes après, un autre député continuera sur cette même lancée pour étaler un problème également personnel. Interrompu par le président de l’Assemblée, Mohamed Ennaceur, cela a généré l’indignation de certains députés sur ce qu’ils se sont plu à considérer comme l’application du principe des deux poids deux mesures par le président de l’Assemblée. Imed Daimi quant à lui, prendra la parole pour contester le fait qu’il y ait des écrans partout, même dans les buvettes pour diffuser en direct le discours du Chef du gouvernement. Une propagande selon lui pour vanter les réalisations de l’équipe gouvernementale. Les préoccupations de nos représentants, ceux que nous avons élus pour prendre en charge nos préoccupations et nos ambitions, semblent ailleurs. A croire que certains n’étaient là que pour chahuter ou détourner l’attention sur les questions essentielles qui préoccupent le peuple entier.
Après un long moment de flottement, on revient au vif du sujet, soit l’audition du gouvernement qui reproche aux Tunisiens de ne pas prendre conscience de ce qui se passe dans le pays. En fait, et à la fin du discours d’Essid, l’impression était que le gouvernement lui-même n’était pas conscient des enjeux de cette phase délicate. Courage et audace manquaient au gouvernement pour réussir ces premiers mois de gouvernance. C’est le constat de la majorité des députés qu’ils soient dans ou en dehors de la coalition gouvernementale. Pour certains, en l’occurrence Adnan Hajji, le discours rappelle une période pas lointaine, celle de l’ancien régime habitué à donner un discours vide de contenu. Houcine Jaziri du bloc Ennahdha pense que dans une situation de transition, auditionner un gouvernement suite aux 100 premiers jours, est injuste. L’essentiel, aujourd’hui, est d’évaluer les prochaines actions et mesures de ce gouvernement pour sortir le pays de cette crise. Mais peut-on avancer sans identifier les raisons du blocage qui empêche le gouvernement d’avancer ?

Diagnostic de la situation, le flou règne
« Si les finances publiques restent telles qu’elles sont, on ne pourra pas supporter les augmentations des salaires » Habib Essid vise les négociations salariales en cours pour les années 2015 et 2016. Les conventions signées ont déjà coûté 550 millions de dinars. Malgré tous ces efforts, le climat social demeure trouble avec des grèves et des sit-in interminables légaux et sauvages. Cela a un impact grave sur la machine économique du pays. Le Chef du gouvernement n’a, par ailleurs, exprimé aucune fermeté vis à vis des fauteurs de troubles. Quant à la décision prise par le gouvernement de retenir les journées de grèves des salaires à partir de fin Mai, elle n’a pas été appliquée. Pour des raisons techniques, selon le ministère des Affaires sociales. Habib Essid à parlé de l’économie informelle. « L’économie parallèle représente aussi un grand danger, notamment pour les finances publiques à travers l’évasion fiscale. Le commerce parallèle coûte à l’économie nationale un milliard de dinars par an » d’un autre côté, le Chef du gouvernement reconnaît que le modèle de développement actuel a montré ses limites et son incapacité à répondre aux besoins de la Tunisie postrévolutionnaire. Le constat a été déjà fait depuis 2011 et depuis ce temps on débat de quel modèle la Tunisie a-t-elle besoin. Selon Habib Essid, la Tunisie a besoin d’un modèle basé sur la complémentarité des secteurs public et privé et sur une économie sociale et solidaire. En même temps il annonce qu’une consultation élargie sur le plan quinquennal 2016-2020 vient d’être lancée. Quant aux réformes, il annonce que le gouvernement est en train d’élaborer des plans de réformes pour la période à venir qui toucheront les marchés publiques, l’investissement, la fiscalité, le secteur bancaire et l’éducation, la sécurité sociale et la santé. Mais y-a-t-il un lien entre le modèle de développement, les réformes et le plan quinquennal 2016-2020 ? En même temps qu’en est-il des réformes déjà engagées depuis des années notamment dans la fiscalité ? que fait l’administration tunisienne pour accélérer ces réformes ? Apparemment rien. Comme s’il ne faisait pas partie du gouvernement, Habib Essid, déplore le fait que rien n’a été fait dans le dossier des biens confisqués depuis la Révolution. La majorité des entreprises confisquées ont mis la clé sous la porte et des pertes ont été enregistrées. « Les décisions de la commission de confiscation n’ont pas été mises en œuvre » s’étonne-t-il. En même temps, Habib Essid ajoute que « La stabilité de la Tunisie et l’unité de notre peuple est une ligne rouge à ne pas dépasser. Nul n’est supérieur à la loi et nous sommes tous sur le même bateau. Nous avons plusieurs défis et c’est notre rôle à tous de les surmonter. Des sacrifices son nécessaires ». Une phrase chargée de fermeté et de responsabilité, malheureusement exprimée sur un ton monotone. Aura-t-elle l’effet escompté ? A priori non, les députés ne semblaient pas impressionnés et appellent le gouvernement à plus d’audace pour prendre des décisions courageuses. Houcine Jaziri, du bloc Ennahdha, pense que le Gouvernement est submergé par de multiples mesures qu’il n’arrive finalement pas à honorer. « Pourquoi ne pas se concentrer et se donner tous les moyens pour réaliser une ou deux mesures prioritaires » a-t-il ajouté. Khemaies Ksila de Nidaa Tounes, pense que « la Tunisie a besoin d’une équipe gouvernementale et pas de ministres ». Cette équipe chapotée par le Chef du gouvernement doit lancer des messages forts et clairs aux Tunisiens, chose absente dans ce discours, selon Ksila. Un avis adopté par Zied Lakhdher du Front populaire, qui pense que le discours d’Essid ne rassure pas les Tunisiens.
En définitive, il semble que la séance plénière n’a fait qu’accentuer la crise et approfondi l’incompréhension entre le Gouvernement et les élus à l’ARP. Tous les indicateurs foncent encore plus vers le rouge et le risque d’une croissance nulle, voire négative est à nos portes.
Nos représentants à l’ARP, nos gouvernants et toutes les composantes de la société civile doivent prendre la juste mesure des défis auxquels la Tunisie est confrontée, revenir à de meilleures résolutions pour sauver ce qui reste à sauver.
A méditer sans modération.

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