“Arrêter la spéculation” : Un show ou une thérapie durable ?

Durant trois jours, les services de contrôle économique, assistés par les forces de sécurité, ont procédé aussi bien sur les routes d’accès aux marchés du Grand Tunis que sur place dans les principaux points de vente de la Capitale et des trois autres gouvernorats limitrophes, à une opération “coup de poing” contre la fraude et la hausse illicite des prix dans le cadre d’une campagne nationale “arrêter la spéculation”. L’objectif étant d’assainir les circuits spéculatifs et de lutter contre les hausses illicites. On peut dire que, pour une fois, cette opération a été un succès tout à fait relatif et provisoire, certes, mais un succès quand même au vu du bilan réalisé.
876 infractions économiques avec procès-verbaux, saisie de 425 t de fruits et légumes, 31000 œufs, 4368 litres de lait et 2,1 tonnes de poissons, volailles, fromages et autres. Une belle récolte et un coup réussi contre les fraudeurs.
Il y a lieu de remarquer que la campagne de contrôle a porté sur 2166 véhicules de transport de produits agricoles approvisionnant le Grand Tunis et 3265 points de vente, à partir du Centre et du Sud du pays, y compris le Cap Bon en direction du marché de gros à vocation nationale de Bir Kassaâ ou des divers marchés et points de vente du Grand Tunis.
Il faut dire que le ministère du Commerce a soigneusement préparé et coordonné cette opération pour laquelle il a mobilisé pas moins de 200 équipes de la Direction générale de la concurrence et des enquêtes économiques et englobé 80 marchés municipaux et hebdomadaires.
Il s’agit là, en fait, de la facture provisoire payée par les spéculateurs, les contrebandiers et autres fraudeurs.
L’objectif est en réalité l’impact obtenu sur la flambée des prix au niveau du portefeuille des citoyens qui souffrent le martyre pour survivre dans une conjoncture de détérioration continue de leur pouvoir d’achat.
En effet, le résultat ne s’est pas fait attendre, celui d’une “décrue sensible” de la moyenne des prix.
Au marché, les consommateurs n’en croyaient pas leurs yeux, ni leurs oreilles : des marchands faisant la grimace mais faisant contre mauvaise fortune bon cœur, l’adoption des prix réels dans le strict respect des marges autorisées.
Il faut convenir que suite à la percée de la grande distribution en matière de commercialisation des fruits et légumes, grâce au libre-service, les marchés municipaux connaissent une désaffection certaine de la part des consommateurs.
A côté de la hausse illicite des prix et du non-respect des circuits officiels, il y a d’autres délits : les infractions aux normes d’hygiène (produits avariés), le recours à des denrées à prix compensés par les professionnels de l’alimentation aux dépens des ménages, la commercialisation de produits de contrebande…
Cette opération doit être réalisée souvent à intervalles cycliques et rapprochés de façon inopinée pour être efficace.
Le non-respect des circuits officiels de la commercialisation des fruits et légumes en adoptant des circuits courts producteur-consommateur, sans passer par les marchés de gros, outre le non-respect du contrôle d’hygiène, privent le fisc des recettes qui s’imposent et ne contribuent pas à la régulation des prix.
Il faudrait espérer que les sanctions à prendre seront conformes au dispositif réglementaire, c’est-à-dire, sévères, pour être dissuasives.
Il faut révéler que cette campagne n’a pas été exclusivement réservée au Grand Tunis, mais a été étendue à plusieurs grandes villes, ce qui est salutaire pour le pouvoir d’achat des citoyens partout dans le pays.
Il ne faut pas croire que les contrebandiers et les spéculateurs s’avoueront vaincus pour si peu, ils vont redoubler d’imagination pour adopter d’autres procédés : choisir d’autres circuits routiers, adopter d’autres horaires et véhicules… pour continuer à commettre leurs forfaits.
Tout le système de la répression doit être revu, restructuré et renforcé, car avec 600 agents pour contrôler plusieurs centaines de milliers de commerçants dans toute la République, c’est insignifiant, surtout que 300 seulement parmi eux sont mobiles, les autres sont fixes et ne disposent que de quelques dizaines de voitures, ne travaillant que durant les horaires administratifs et devant être soutenus pas des agents de sécurité pour ne pas être agressés lors de l’exercice de leurs fonctions.
En effet, les commerçants malhonnêtes n’hésitent pas à recourir à la force pour accomplir leurs forfaits.
Les services de contrôle économique méritent des effectifs de l’ordre de 400 à 500 agents au niveau national avec une répartition régionale et même locale dont 2000 à 3000 pour le Grand Tunis, dotés d’une formation appropriée, convenablement rémunérés, motivés et disposant d’un parc-auto conséquent.
Il ne s’agit pas de procéder à des recrutements coûteux, mais de redéployer des agents de l’Administration affectés à des tâches peu prenantes ou peu valorisantes jusqu’ici et intéressés par une promotion.
Il faut dire qu’il n’y a pas seulement le volet répressif pour lutter efficacement contre la spéculation et la fraude sur la réglementation des prix. En effet, dans un pays où 90% des prix des denrées sont libres et découlent du processus de confrontation entre offre et demande sur le marché avec uniquement l’application d’un taux maximal de marge bénéficiaire, l’Etat ne peut pas tout contrôler. Il doit agir aussi de façon indirecte pour “calmer l’inflation” : encourager la production pour favoriser l’offre et donc faire pression sur le niveau des prix. Les consommateurs qui en ont les moyens et ont tendance à surconsommer, doivent de même modérer leur ardeur en ce domaine. En fait, c’est soulager leur portefeuille et leur santé également.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana