Le constat fait par un expert économique tunisien de premier plan est impitoyable quant à la capacité de répulsion de notre pays vis-à-vis des entreprises étrangères implantées en Tunisie depuis des années et ce, depuis l’avènement de la Révolution du 14 janvier 2011, à cause des multiples perturbations socio-politiques qui ont engendré la perte de souveraineté et de l’autorité de l’Etat, mais aussi une léthargie et une passivité désespérante de l’Administration.
Celle-ci se complait dans la lenteur des procédures et la complexité infinie des formalités.
En effet, notre expert, ancien enseignant universitaire et ex-ministre des Finances démissionnaire pour non concordance de ses convictions avec la politique pratiquée par le gouvernement de la Troïka, affirme que notre pays a perdu en 2016 environ 20.000 postes d’emplois. Ce chiffre dramatique coïnciderait étrangement avec la fermeture durant 2016 de 102 entreprises étrangères qui, après avoir fermé leurs portes, sont parties s’installer ailleurs.
En effet, le nombre de salariés appartenant aux industries de transformation qui employaient fin 2015, 515.000 salariés ne sont plus fin 2016 que 495.000.
Outre l’impact dramatique de perte d’emplois, il y a la disparition d’un potentiel considérable d’exportation des produits fabriqués dans notre pays, une source précieuse de rentrées de devises.
Les secteurs les plus touchés étant le textile-habillement en premier lieu, avec un taux de 75% tandis que les 25% restants concernent les industries mécaniques et électriques. Pour ce qui est de la nationalité des investisseurs, il y a les entreprises françaises d’abord, suivies par les entreprises italiennes et enfin belges.
Il y a lieu de se demander pourquoi l’année 2016 ? Parce que l’année 2015 a constitué un tournant tragique pour la sécurité avec la multiplication des attentats terroristes meurtriers contre le musée du Bardo, l’hôtel Impérial de Sousse et le bus de la Garde présidentielle à l’avenue Mohamed V à Tunis.
Or, une entreprise ne peut pas décider de partir du jour au lendemain, il faut trouver un « autre point de chute », prendre des dispositions, consulter,…
Cependant, le secteur des industries manufacturières constitue le fer de lance de l’industrie tunisienne forgée à partir des années 70 et représente le noyau dur de l’économie du pays qui fait preuve depuis six années de résilience, malgré la tempête politico-sociale qui a soufflé sur le pays depuis 2011.
Ce secteur est significatif en termes de santé économique du pays, car il commence à donner plusieurs signes de lassitude, de fragilité, de fatigue suite à la multiplication des obstacles au développement des entreprises, de la baisse de la compétitivité de nos produits et entreprises économiques et au renchérissement des facteurs de production.
Pourquoi et comment s’organise la convergence de ces deux phénomènes ?
Les facteurs de production à la charge des entreprises ont flambé depuis 2011 : coût de la consommation de l’électricité, frais de transport, salaires de la main-d’œuvre et rémunération des cadres, montants des loyers, coût du bâtiment et de la construction…
Alors que la qualité des infrastructures de base s’est dégradée : routes, logistique, formalités portuaires.
Par contre, les performances de l’Administration ont baissé aussi vite que la corruption a progressé.
Les revendications salariales et les perturbations sociales : grèves et sit-in déstabilisent le bon fonctionnement des entreprises et les mettent en porte-à-faux vis-à-vis de leurs clients et surtout de leurs banquiers.
Les banques, étant en manque de liquidités, s’arrangent pour restreindre le crédit aux entreprises ce qui introduit une difficulté supplémentaire.
Tout cela a porté un coup très dur à la compétitivité de nos entreprises et de nos produits soumis à une concurrence agressive sur les marchés européens.
Cela prive nos exportations de marchés éventuels à conquérir outre les marchés traditionnels.
La baisse sensible de la parité du dinar vis-à-vis de l’euro et du dollar n’ont pas compensé toutes ces difficultés.
Or, c’est là que réside la valeur ajoutée apportée par le savoir-faire des compétences de nos ressources humaines, l’injection de créativité et la promotion de l’innovation outre l’intensité du recours à la main-d’œuvre locale dans le cadre d’un partenariat fertile entre industriels tunisiens et acteurs économiques européens.
Il est probablement difficile de faire revenir des entreprises étrangères déjà parties, sauf que le gouvernement et les acteurs économiques nationaux ne perdent rien pour essayer, mais il est toujours possible de faire revenir sur leur décision de départ les entreprises qui hésitent à rester ou qui ont décidé de partir mais « trainent les pieds » car « il fait bon vivre en Tunisie », la « situation va peut être s’arranger », la « conjoncture actuelle est propice, avec le succès de la récente conférence internationale de l’investissement, à une amélioration du climat des affaires » il y a « des réformes en cours de réalisation » ou « un nouveau gouvernement est en place »… « un nouveau code de l’investissement a été adopté » même si les 3 décrets ne sont pas encore parus depuis trois mois ?
Nous devons surfer sur cette image favorable à notre pays afin de l’utiliser comme un starter pour la relance des IDE.
Le gouvernement devrait mettre en place une task-force auprès du Chef du gouvernement faite de 10 super-commis de l’Etat par exemple afin de résoudre les problèmes aigus rencontrés par les investisseurs étrangers qui sont susceptibles de partir, grâce à un crédit d’autorité » sur tous les départements ministériels.
Il ne s’agit pas de charger outre mesure le cortège de dérapages politiques et de perturbations sociales qui ont suivi le déclenchement de la Révolution, car il y a certainement d’autres facteurs qui ont pesé dans cette évasion massive d’entreprises étrangères : la crise économique et financière qui sévit en Europe, la « mortalité naturelle » des entreprises due à des erreurs de gestion ou à des difficultés financières et des pertes de marchés, des opérations de restructuration ou de fusion-acquisition décidées par les maisons-mères dans le cadre de leur stratégie mondiale de développement. Il convient de rappeler qu’il y a une montée en puissance du syndicalisme dans notre pays, car plus l’Etat est faible, plus les syndicats de travailleurs se sentent forts et imposent leurs diktats. Cependant, nous avons besoin d’un syndicalisme participatif et responsable et non d’un syndicalisme revendicatif qui cherche à détruire les entreprises.
A bon entendeur salut.
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