Le diagnostic de l’Observatoire de Conjoncture de l’Institut des Hautes Etudes de Tunis est sans appel. Ramadan 2012 est certes légèrement moins dur à ressentir que celui de 2011, sur le plan économique, mais il subsiste bon nombre de contraintes au niveau de la production, de l’offre et au niveau des prix.
Au niveau de l’activité économique, l’Indice de la production industrielle d’ensemble s’est accru tendanciellement de 2.4% en glissement annuel, tiré par les Mines, les Industries Chimiques (+10.8), les Industries des Matériaux de Construction, de l’Energie. A la traine, on retrouve les Industries agro-alimentaires, et en bout de chaine, le Textile, Habillement et cuirs, en nette dépression.
Au niveau des tensions inflationnistes, l’Indice des prix de vente industriels a progressé de 6.% en Juin en glissement annuel (5.4% pour les Industries manufacturières, 5.0% pour les Industries agro-alimentaires et le Textile, et 7.4% pour les Matériaux de construction). Résultats des courses, le taux d’inflation mesuré par l’Indice des prix à la consommation familiale, semble se stabiliser à 5.4% en juin en glissement annuel, avec des perspectives d’une reprise sur les deux mois suivants.
Ce tableau nous amène à faire un certain nombre de commentaires :
En premier lieu, le niveau d’activité, s’il s’est apparemment repris, ne semble pas augurer d’une nette reprise pour le deuxième semestre 2012. Le rythme de l’activité du tissu industriel suit une tendance trop éclectique, tirée par des branches à faible potentiel d’intégration et d’emploi. Et qui, de surcroit, semblent s’essouffler.
En deuxième lieu, les branches orientées «consommation courante des ménages» dont notamment, l’Agro-alimentaire et le Textile et Habillement, stagnent pour la première et régresse pour la deuxième. Or, ce sont précisément ces deux branches qui sont mises à forte contribution dans une conjonction été-ramadan-aïd-rentrée scolaire.
En troisième lieu, la hausse des prix à la consommation familiale en juin, en glissement annuel, suggère des disparités excessives : +7.2% pour les biens alimentaires, 8.3% pour l’habillement et les chaussures, 6.2% pour les articles de ménages et 8.1% pour l’hôtellerie.
Au final, il ne serait pas surprenant que les tensions de la demande finale s’exercent au plus fort, pour générer et amplifier la hausse des prix à la consommation et donc l’inflation pour le troisième trimestre 2012.
Et les Tunisiens le pressentent, même s’ils s’occupent plus de politique «politicienne» que de pouvoir d’achat et d’emplois.
Une nouvelle vague est née. Elle est générée et confortée par les déclarations intempestives de certains ténors de la société civile quant au partage des richesses, en l’occurrence celui des fruits de la production et des revenus. Comme si ce partage était sous-tendu par des mécanismes qui procèdent plus de la magie que de relations qui répondent aux finalités du système social, économique et politique de la collectivité.
Certes, le partage socialement équitable du gâteau doit revenir à ceux qui ont participé effectivement à sa réalisation, en l’occurrence le salarié (par les salaires), l’entrepreneur (par les bénéfices et les prix d’offre au consommateur) et l’Etat (par les impôts). Dans un système issu d’une cohésion sociale éprouvée, le partage équilibré des richesses (la valeur ajoutée), est le résultat d’une négociation entre partenaires sociaux (Salariés, Entreprises, Consommateurs et Etat). Ce qui nous amène à considérer un certain nombre de points :
En premier lieu, l’intervention de l’Etat dans le partage de la valeur ajoutée pour favoriser les salariés (au détriment des profits) aurait des effets très négatifs sur l’investissement, l’emploi et la croissance. Ce sont les profits d’aujourd’hui qui financent les investissements et l’emploi de demain. En outre, une évolution inconsidérée des salaires, alors que la production et l’offre plafonnent, voire régressent, va alimenter une demande intérieure plus élevée, génératrice de hausses de prix et d’inflation.
Résultat des courses, en l’absence d’une stabilité des prix, il n’y aurait ni stabilité économique, ni sociale… ni politique.
Enfin, la hausse des prix sera à terme compensée très largement par le rattrapage des salaires qui vont devoir augmenter… et ce ne sont les blocages intempestifs des prix à la consommation qui vont améliorer le pouvoir d’achat de la ménagère. Au contraire, ils reportent à plus tard les hausses des prix, par des effets de rattrapage.
En d’autres termes, ce que les salariés avaient gagné en salaires, ils le perdront en pouvoir d’achat, de sorte que leur situation réelle sera certainement plus dégradée qu’auparavant, dans une conjoncture ramadesque, où le pouvoir d’achat d’une classe ouvrière en lambeaux et du Tunisien «très moyen» en voie de paupérisation rapide devient difficile.
En l’absence d’une stabilité des prix, il n’y aurait ni stabilité économique, ni sociale… ni politique.