La Tunisie serait-elle au bord d’une guerre civile ?

 

Au discours musclé d’Ali Laâriyedh, chef du gouvernement, du lundi 29 juillet, l’opposition a répondu en maintenant ses positions quant à la dissolution du gouvernement et de l’ANC. L’UGTT vient, elle aussi, de prendre position en soutenant le deuxième camp. Et déjà on enregistre un retour en force du terrorisme. Où va la Tunisie?

Le pays semble se diriger vers une confrontation. D’un côté l’opposition continue de mobiliser des gens pour faire tomber le gouvernement et dissoudre l’ANC, de l’autre, une Troïka qui fait la sourde oreille face aux protestations des milliers de Tunisiens au Bardo et dans les régions.

 

Un discours «à la Morsi»

Tout le monde retenait son souffle, lundi 29 juillet, à 17 h, en attendant ce qu’allait annoncer Ali Laâriyedh pour apaiser un pays en bouillonnement depuis l’assassinat de Mohamed Brahmi et les appels à la désobéissance civile. Mais la frustration a été grande.

Pendant presque une heure, le chef du gouvernement n’a cessé d’accuser l’opposition de vouloir s’insurger contre «la légitimité» et de mener le pays vers l’inconnu, tout en rassurant la population sur l’état sécuritaire du pays, alors que venait de se produire un assassinat politique. Un discours-fleuve, plein de redondances, n’apportant presque rien de nouveau. Pas de concession, ni de remise en question du rendement de son gouvernement. Pas même de propositions pour l’élargir ou  constituer un gouvernement d’unité nationale. Le ton était accusateur, voire menaçant par moments, rappelant les discours de Ben Ali avant sa chute. Seule nouveauté, il a fixé les dates pour la finalisation de la Constitution (en août), la fin du travail de l’ANC (23 octobre) et les élections en décembre 2013. On ne sait sur quelle base ces dates ont été fixées puisque l’instance des élections n’a pas encore été créée. Et si l’on en croit Laâriyedh, il faudrait alors préparer les élections en cinq mois, d’emblée, dans un climat de tensions politiques et sécuritaires.

Ce discours «à la Morsi» n’a fait que renforcer l’opposition dans ses positions et radicaliser encore plus la protestation contre la Troïka. Le nombre de sit-inneurs devant le Bardo ne cessait qu’augmenter malgré les tentatives répétitives des forces de l’ordre de les disperser, jusqu’à l’usage démesuré de la violence contre les protestataires et les députés démissionnaires de l’ANC. Dans les régions, la colère grogne et les manifestations se poursuivent, ainsi que les altercations avec la police. Des blessés et des morts sont tombés, mais la vague de contestation ne fait que s’intensifier. Dans certains gouvernorats comme Sidi Bouzid, Kairouan, El Kef et Siliana, la rupture avec le pouvoir central a été déjà consommée, avec la création de coordinations régionales pour le Front national de salut.

 

Un gouvernement d’union nationale et Zbidi à sa tête

De son côté, l’opposition a multiplié les rencontres de concertation afin de mettre en place une feuille de route pour l’avenir et l’après-Ennahdha.

Le Front populaire, l’Union pour la Tunisie et les grandes organisations nationales ont réitéré leur attachement à leurs revendications premières, annoncées dès l’assassinat de Brahmi, à savoir  la création d’un gouvernement d’union nationale, la dissolution de l’ANC et la formation d’un comité pour la révision de la Constitution.

Des avancés ont été faites dans le sens de la création de ce nouveau gouvernement qui sera, selon Hamma Hammami, porte-parole du Front populaire, composé de technocrates, volontaires, travaillant pour une durée maximale de six mois avec un agenda clair : rétablir la paix sociale dans le pays et organiser les élections. Le nombre de ministres ne devrait pas dépasser les vingt. À sa tête, il y aurait une personnalité nationale indépendante. Des noms ont été suggérés comme Mokhtar Trifi, ex-président de la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme, le Général Rachid Ammar et Abdelkarim Zbidi, ex-ministre de la Défense. Ce dernier est la personnalité qui a le plus de chances d’être le prochain chef du gouvernement.

L’UGTT, qui n’avait pas pris de position officielle jusque-là, bien qu’elle ait appuyé les mouvements de protestation à l’intérieur du pays, en leur ouvrant ses sièges, a finalement tranché en soutenant les revendications du Front du Salut. Toutefois, la centrale syndicale n’a pas appelé à la dissolution de l’Assemblée, mais de limiter son agenda de travail par des dates précises, tout en mettant en place un comité d’experts qui chargé de revoir le projet de la Constitution.

 

 

Retour du terrorisme : qui est derrière ?

Cet alignement sur la position de l’opposition est survenu à quelques heures de l’opération terroriste qui a eu lieu le lundi 29 juillet dans le Mont Chaâmbi, provoquant la mort de huit soldats, dont trois ont été égorgés et défigurés. Une opération qui porterait l’empreinte d’Al-Qaïda, selon certains experts. Or, le directeur de communication d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb arabe), Ahmed Abou Abdelilah Al Jijli avait publié, le soir même, un communiqué niant l’implication de son organisation dans cette opération et dans tout ce qui se passe en Tunisie et en Égypte, invitant Rached Ghannouchi à assumer ses responsabilités, dans l’effusion du sang tunisien.

Auparavant, Abou Iyadh, chef d’Ansar Achariâa, avait, lui aussi, contredit les déclarations du ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, qui avait accusé un membre de cette organisation, Boubaker Al Hakim, d’être derrière l’assassinat de Belaïd et de Brahmi.

Le brusque retour du terrorisme, après un calme qui avait duré deux mois et suite aux déclarations de l’ex-chef de l’état-major, le Général Ammar,  sur l’inexistence de terroristes dans les montagnes du Chaâmbi, est suspect. En outre, l’embuscade tendue aux soldats de l’armée est survenue une heure et demie après le discours d’Ali Laâriyedh où il avait menacé les manifestants de «riposter dans la rue.»

Il faut dire que depuis l’arrivée d’Ennahdha au pouvoir plusieurs indices laissaient soupçonner une complicité entre ce parti (notamment ses membres les plus radicaux) et les milieux salafistes djihadistes. En témoigne l’absence d’une stratégie antiterroriste, la libre circulation des armes dans le pays et la libération des membres d’Ansar Achriâa impliqués dans des actions violentes et terroristes, après leurs arrestations. Ajoutons à cela un discours conciliant envers eux. Rached Ghannouchi n’a-t-il pas dit qu’il les considérait comme ses «fils» ? Avant sa démission, le Général Ammar avant fait allusion à cette complicité, en avertissant les Tunisiens contre le risque de la «somalisation» du pays. Y sommes-nous arrivés ?

 

 

La police parallèle existe bel et bien

Ce scénario est devenu de plus en plus envisageable. Surtout suite aux dernières déclarations du ministre de l’Intérieur qui a fini par reconnaître que son ministère était infiltré par des partisans d’Ennahda, avouant qu’il ne le contrôlait pas entièrement et allant jusqu’à exprimer sa volonté, identique à celle de bon nombre de ses collaborateurs de démissionner. Des révélations qui venaient confirmer celles déjà faites par les syndicats de forces de l’ordre concernant l’existence d’une police parallèle au sein du ministère et travaillant à la solde d’Ennahdha. Le syndicat de la Sécurité républicaine est allé jusqu’à publier une liste des membres de cette police, dévoilant que ces derniers occupent des postes clé dans le ministère de l’Intérieur et qu’il y a parmi eux des salafistes, comme Riadh Beltaief, directeur général, responsable de la Formation, qui n’est autre que le neveu d’Abou Iyadh en personne.

Ces révélations, survenues le lendemain de l’opération terroriste de Chaâmbi, ne peuvent que confirmer les préoccupations quant à un risque de confrontation dans le pays, surtout que les islamistes, à l’image des Frères musulmans en Égypte, ne comptent pas céder le pouvoir pacifiquement. Les tentatives d’Ennahdha de terroriser le peuple, en brandissant de nouveau l’arme du terrorisme, les assassinats politiques et les discours musclés de ses leaders envers les manifestants au Bardo, n’augurent rien de bon pour le pays. Selon le politologue Hamadi Redissi, «le chef du gouvernement aurait pu présenter sa démission, reconnaître l’échec de son gouvernement et le dissoudre. Ainsi, il aurait marqué l’histoire et gagné la sympathie de l’opinion publique à échelle nationale et internationale. Mais, malheureusement, il a préféré maintenir les positions radicales des Frères musulmans.»

La crainte aujourd’hui, c’est que les manifestations pacifiques soient réprimées dans le sang et que la Tunisie entre dans une spirale de violence qui n’est pas du tout propice à l’organisation des élections. L’autre risque est que le pays se disloque si un nouveau gouvernement fort ne sait rétablir la paix et créer l’union autour d’un projet et d’un agenda clairs.

 

Hanène Zbiss

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