Au Maroc, le spectre de la défaite pour les islamistes

Les scrutins nationaux et locaux, mercredi au Maroc, pourraient donner lieu à une perte de pouvoir pour le PJD, parti islamo-conservateur au pouvoir.
Vaut-il mieux avoir des islamistes forts dans l’opposition ou faibles dès lors qu’ils sont associés à la gouvernance du pays? Cette question qui n’a jamais cessé d’être débattue au palais royal depuis la fin des années 90 pourrait enfin être résolue mercredi.
Pour lutter contre l’abstention, les Marocains auront accès un jour de semaine aux urnes plutôt que le vendredi de prière. Pour amoindrir le poids des grands partis, une révision du code électoral accentue la proportionnelle déjà existante. Mais ces deux outils n’expliqueront pas à eux seuls une défaite du parti islamiste au pouvoir, le PJD.
Contrairement à l’élection de 2016 qui l’avait vu stagner en voix mais gagner en sièges, le Parti pour la justice et le développement du Premier ministre, Saadeddine El Othmani, pourrait payer cette fois son usure au pouvoir. « La clientèle du PJD est toujours restée assez stable, mais il y a aujourd’hui une baisse de l’engouement observé en 2011 et 2016″, analyse le politologue Mohammed Tozy qui enseigne au Maroc et en France. Les Marocains ont vu ce qui s’est passé en Egypte, en Tunisie, en Jordanie et même en Turquie, c’est-à-dire une démonstration de la difficulté des Frères Musulmans à gouverner. Pour compenser l’affinité des technocrates très compétents avec le Palais ou les partis d’opposition, le PJD a dû réviser à la baisse le niveau de ses cadres dans l’administration. En fait, la professionnalisation politique du PJD les a peu à peu écartés du peuple profond ».
*Le PJD est « devenu un parti comme les autres dont le bilan est globalement négatif »
En l’absence de sondages, c’est ce qui a été constaté lors des élections aux chambres professionnelles au début du mois dernier, le PJD reculant de 7 points par rapport à son score de 2015. « Il y a un rejet de ce parti, pas tellement en raison de son idéologie religieuse et de ses valeurs conservatrices, mais à cause de la faiblesse de son bilan, qu’il s’agisse des infrastructures du pays, de la transition énergétique, de l’emploi ou de la solidarité sociale, autant de postes détenus par des ministres PJD, assure l’entrepreneur Abdelmalek Alaoui, qui vient de publier Le temps du Maroc (Les croisées des chemins, 2021). En fait, c’est devenu un parti comme les autres dont le bilan est globalement négatif ».
A qui profiterait cette désaffection, si elle se concrétisait dans les urnes ce mercredi?
Très probablement au Rassemblement national des indépendants (RNI) et à son président, Aziz Akhannouch, homme d’affaires puissant, riche et controversé mais dont le bon bilan au ministère de l’Agriculture – un secteur qui génère 14% du PIB et assure 38% des emplois au Maroc – fait plutôt consensus. Malgré une campagne limitée en raison de la pandémie, son parti a été très actif sur les réseaux sociaux en essayant de prendre le pouls des électeurs plutôt que de leur promettre de faire table rase.
*La population montre une soif pour une nouvelle pratique politique plus concrète
 « Je ne me prononcerai pas sur ce que mérite le PJD ou un autre parti, ce qui a plus d’intérêt à mes yeux c’est ce que méritent les Marocains, nous confie-t-il à propos de ses partenaires de coalition sortante. Il y a eu beaucoup de déceptions et la population montre une soif pour une nouvelle pratique politique plus concrète qui apporte des solutions loin de toute démagogie. »
Son parcours est suivi de près par les pays voisins, mais surtout en France et en Espagne, les deux partenaires naturels du Maroc en Europe. Notamment par l’ancien Premier ministre Manuel Valls, compte tenu de son expérience politique dans ces deux pays : « Nous aurions tout à gagner que le gouvernement du Maroc soit dirigé par un stratège, un entrepreneur moderne, avec une véritable vision économique et sociale, capable de relever les défis du Maroc », écrit-il dans une tribune publiée sur le site du JDD.
Mais en admettant qu’Aziz Akhannouch soit choisi pour former le prochain gouvernement du Royaume, pas sûr que le PJD disparaisse pour autant du paysage. Une cure d’opposition et de maturation de sa doctrine politique pourrait bien le voir revenir plus fort au prochain rendez-vous des électeurs.
(Le Journal du Dimanche)

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