Au nom de qui, au nom de quoi jugent les juges ?

Moncef Kammoun

La Justice doit nous rassurer, elle doit porter avec elle un caractère de vérité qui dissipe nos craintes, mais aujourd’hui et le plus souvent elle inquiète.
Si c’est au nom du peuple que la justice est rendue, le jugement ne peut s’affranchir du principe démocratique qui fonde le pouvoir de juger.
La justice devrait être l’un des piliers de la cohésion sociale dans la mesure où elle fait office de médiateur dans les conflits opposant des individus entre eux mais aussi des individus avec l’État. Elle tranche les litiges qu’on lui soumet avec l’application des règles de droit.
Le pouvoir judiciaire est en fait l’une des trois branches d’un État démocratique avec le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Ce pouvoir judiciaire est même une importante composante de la démocratie, il est indépendant du pouvoir exécutif et législatif faut-il que ces pouvoirs acceptent cette indépendance pour que la fonction de la justice soit détachée de la fonction politique et ne peut être soumise à une injonction ou à une ordonnance de l’État.
En fait cette séparation du pouvoir judiciaire constitue le fondement d’un Etat de droit.
Les démocraties dans le monde disposent aussi d’une Cour constitutionnelle qui décide, en cas de désaccord, entre les branches de l’État. Cette Cour se compose de douze membres dotés tous d’une expérience d’au moins vingt ans et désignés pour un mandat unique de neuf ans. Le Président de la République, celui de l’Assemblée des représentants du peuple et le Conseil supérieur de la magistrature désignent chacun quatre candidats et l’Assemblée des représentants du peuple approuve les candidatures à la majorité des trois cinquièmes.
En raison des conflits et des calculs politiques, dans notre Parlement cette élection traîne en longueur et a été reportée 8 fois.

La Justice est la première dette de la souveraineté
L’histoire de la justice est indissociable de la construction d’un État unifié, pacifié, et l’observation de l’institution judiciaire définit notre culture politique, notre conception du pouvoir.
Elle met notamment en question le fait que la conception administrative de la justice prévale sur la conception judiciaire du pouvoir : la justice est une fonction de l’État, plutôt qu’un pouvoir dans l’État.
L’œuvre de l’État est de créer par la loi les voies nécessaires de rendre les jugements justes et équitables qui préservent les droits de chacun.
Mais en réalité si la formulation du principe est simple, sa mise en œuvre est conflictuelle.
Appliquer la loi, c’est nécessairement choisir celle qui est apte à trancher le litige et c’est aussi l’interpréter et savoir juger c’est bien connaître le droit mais aussi comprendre le contexte économique et social dans lequel s’est noué le litige.
Juger, c’est trancher, alors il suppose bien entendu un savoir-faire qui nécessite formation, transmission, expérience, assistance et perfectionnement et surtout indépendance de tous les autres pouvoirs.

La justice est-elle indépendante ?
La Chambre pénale du pôle judiciaire économique et financier a condamné Mondher Belhaj Ali, avocat, universitaire et ancien député à l’Assemblée des Représentants du Peuple le 29 juin dernier à 4 ans de prison et à une amende de plus de 20.000 dinars. Cette décision intervient dans l’affaire relative à ses « études à l’étranger aux frais du Ministère de l’Enseignement supérieur sans en remplir les conditions légales ».
Mondher Belhaj Ali a indiqué que cette affaire avait été soulevée il y a 8 ans suite à une altercation télévisée entre lui et des dirigeants du mouvement Ennahdha au sujet du dossier d’indemnisation et aujourd’hui c’est à cause de mes déclarations récentes concernant la relation de Rached Ghannouchi avec Al-Sarraj « Chaque fois que je prends part à un programme télévisé, le lendemain je reçois une convocation du juge d’instruction, a-t-il dit.
D’autre part le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Tabboubi, en visite a Sfax samedi 27 juin 2020 a prononcé un discours devant un grand nombre de syndicalistes, il a dit tout haut ce que les autres pensent tout bas « La justice est sous la coupe de certains courants politiques depuis qu’elle a enterré les affaires des agressions et des assassinats politiques.
Nous demandons une justice indépendante qui se tient loin des calculs politiques mesquins » et il a ajouté «la justice tunisienne a été placée sous le contrôle politique de certaines parties tant que les affaires des agressions et assassinats politiques ont été enterrées et que des dizaines de dossiers de justice traînent encore dans les couloirs des tribunaux ».

La vertu de la justice est l’indépendance
L’indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique est tellement essentielle, mais le pouvoir politique dispose toujours de moyens d’influence qui passent par des canaux multiples.
Le pouvoir politique est et restera toujours une sphère d’influence et on voit mal comment les magistrats pourraient échapper totalement à son influence.
Une réforme profonde doit être engagée afin de clarifier ce rapport, tant que ce lien hiérarchique avec le pouvoir exécutif existe la justice ne pourra en aucun cas être libre et indépendante.
A ce titre, l’action des médias est positive. Elle est une garantie de la démocratie et elle doit être encouragée.
Que l’indépendance de la justice soit un droit est une chose, mais faut-il identifier les titulaires de cette indépendance. Or chacun sait que la justice ne peut être indépendante si ceux qui la rendent ne le sont pas.

*M.K Architecte

 

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