Le 27 Janvier 2020 était une journée lugubre pendant laquelle on a perdu une figure emblématique de la révolution du jasmin, Lina Ben Mhenni.
Lina est une cyberdissidente et activiste tunisienne qui appartient aux personnages phares des événements de 2011 et qui militait pour les libertés individuelles depuis bien avant la révolution et jusqu’à la fin de ses jours.
Après un combat intrépide avec la maladie, la « fille tunisienne » est partie doucement, laissant derrière elle une société civile inconsolable.
Lina, une fille née deux fois
Lina est une fille de la banlieue sud de Tunis, fille de Sadok Ben Mhenni, un ex-prisonnier politique et de Emna Ben Ghorbel, une femme dotée d’une bravoure inouïe.
Lina, fille unique, menait une vie ordinaire jusqu’à l’âge de 11 ans où on a diagnostiqué, chez elle, une maladie chronique qui l’a contrainte, pendant son adolescence, à suivre un régime alimentaire bien spécifique et de s’abstenir de pratiquer toute activité physique.
Après un baccalauréat scientifique, Lina a choisi de céder à sa vocation littéraire et a intégré la FSHT où elle a excellé.
Durant sa dernière année de maîtrise, elle s’est rendue compte qu’elle souffrait d’une insuffisance rénale.
En dépit de sa maladie, Lina a persévéré pour obtenir son diplôme et a rédigé son mémoire sur un lit d’hôpital.
Le corps de Lina n’a pas supporté la dialyse classique, chose qui l’a contrainte à s’orienter vers la dialyse péritonéale. Par ailleurs, son état n’a pas tardé à se compliquer.
De ce fait, les membres de sa famille se sont précipités pour faire les analyses nécessaires pour qu’elle ait un donateur de rein.
Heureusement, le rein de sa mère s’est avéré compatible et ainsi elle lui « a donné la vie une deuxième fois », ce qui lui a permis de faire du sport et de participer à des compétitions internationales.
En effet, le don d’organes est une cause existentielle pour Lina, cause pour laquelle elle a ardemment milité et a toujours cru qu’il ne faut pas sous-estimer ce moyen capable d’offrir une nouvelle chance de vivre pour certains.
De fait, elle a été invitée lors des événements et des débats liés au don d’organes.
Le dernier débat auquel elle a participé était organisé par l’Institut Français de Tunis, en collaboration avec Pr.Tahar Gargah et l’acteur et metteur en scène français Emmanuel Noblet, le 6 Janvier 2020.
En partant de la pièce de théâtre « Réparer les vivants » d’Emmanuel Noblet qui traite le même sujet, un débat, comportant le témoignage de Lina, a été présenté.
Lors de son intervention, Lina a partagé son souhait de vivre dans une Tunisie où les lois relatives au don d’organes sont flexibles.
Elle a toujours exprimé son indignation face à certaines conditions rigides en Tunisie telle que l’opposition au prélèvement d’organes par la famille du défunt.
Elle espérait aussi émanciper le périmètre des individus vivants qui peuvent donner des organes à leurs proches qui en ont besoin.
Aujourd’hui, on enterre une véritable guerrière
Après l’implantation du rein, Lina a poursuivi ses études et entamé l’aventure du blogging.
Elle a consacré sa plateforme pour militer pour les libertés individuelles, la parole libre et dénoncer les violences policières.
Lors de la révolution, elle s’est déplacée à Sidi Bouzid pour couvrir les manifestations.
Lina a fait partie du collectif « Manich msemah » et a participé à plusieurs manifestations à l’instar de « Nhar ala Ammar » qui protestait contre la censure d’internet en Tunisie.
Elle éprouve une compassion particulière envers les prisonniers du moment que son père a été emprisonné pendant 7 ans.
De ce fait, elle a organisé plusieurs projections de films suivies de débats avec les équipes, au sein des prisons dans les différentes régions tunisiennes.
L’une des initiatives les plus impressionnantes qu’elle a réalisées est la collecte de 45000 livres distribués aux prisons.
Elle disait qu’elle rêvait d’élargir le cercle de cette action en créant des ateliers d’écriture pour les prisonniers en les aidant à les publier s’ils le souhaitent.
Lina a été nominée pour « Le prix Nobel » en 2011, a obtenu le prix « Minerva » et le prix « Seàn MacBride » partagé avec Naouel Saâdaoui.
Lina était une combattante déterminée et un hymne à la vie dont le credo est « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts ».
Elle est l’icône de toute une génération qui a inspiré beaucoup de personnes et est toujours restée fidèle à ses idées et à ses valeurs.
Lors de l’un de ses « talks », elle a clôturé son discours par ces mots : « Nous devons être patients… En effet, beaucoup de choses ont changé, les prochaines générations s’en rendront peut-être compte…. C’est nous qui devons changer. On parle de corruption, mais nous sommes tous corrompus si on n’agit pas… Il faut commencer par soi-même. Ne laissez personne vous décourager, rêvez et ne laissez personne vous obliger à agir contre votre propre gré ou choisir à votre place… »
Lina est partie retrouver les autres révolutionnaires infatigables à l’instar de Maya Jeribi, Chokri Belaid, Mohamed Brahmi et les martyrs qui ont écrit l’histoire de ce pays.
Ces esprits rebelles étaient à l’image de ceux qui résistent témérairement à bord d’un navire qui coule, ceux que lorsqu’on les regarde on se sent réconforté en se disant que s’ils y croient toujours, c’est que l’espoir est toujours là.
Une fois partis, ces êtres laissent derrière eux, au-delà de l’amertume et de la douleur, une étrange sensation d’effroi. Comme quoi la vie est tellement lâche qu’elle s’acharne sur les âmes belliqueuses.
Aujourd’hui, on enterre de nouveaux rêves avortés et d’autres exaucés.
Aujourd’hui, on enterre la combattante mais pas le combat parce que si Lina était là, elle nous rappellerait que les meilleures batailles sont celles qui restent à mener.
I.GH