Alors que les dernières élections semblent avoir porté les germes d’un remarquable optimisme, la manière de gérer les affaires de l’Etat par le gouvernement Essid ne finit pas de nourrir les interrogations, créant même un climat de pessimisme inquiétant. Une sorte de retour à la case départ. La Tunisie broie du noir et redoute une nouvelle révolution dont les signes commencent à se profiler en tant que danger, non une véritable opportunité. Le premier gouvernement de la deuxième république brille par une absence quasi perpétuelle au point où on s’habitue à son absence. Il gère tout, sans rien gérer, tout en restant prisonnier des circonstances et de la conjoncture. Un silence de plus en plus pesant et inacceptable. En absence d’une ligne de conduite commune, chaque ministre gère son ministère à sa manière et à sa guise. Un sentiment d’amertume et d’impunité se propage dans toute l’Administration. Aujourd’hui, la question qui interpelle tous les citoyens est la suivante : sommes-nous gouvernés? L’adage bien connu qui dit « la nature a horreur du vide » s’applique bien à cette situation et ce qui inquiète le plus, c’est que la rue qui risque de combler ce vide. Au lieu que le gouvernement cultive la crédibilité, il excelle dans l’art de l’improvisation en prenant des mesures inopérantes se retrouvant incapable de définir une ligne cohérente. Le mouvement des «pigeons» l’a conduit à reculer dans plusieurs circonstances et devant plusieurs réformes, mais au profit d’un simple replâtrage.
Éviter de jouer au pompier
Il est certain que l’ampleur de la tâche à de quoi freiner les ardeurs des dirigeants. On ne modifie pas par décret de longues années d’habitudes.
Mais un gouvernement efficace doit anticiper les crises et s’armer d’outil de gestion pour régler tous les conflits qui apparaissent. Il devrait être en mesure d’anticiper, le conflit de l’éducation, du phosphate, du pétrole et bien d’autres qui se dessinent dans les prochains horizons. Il devrait surtout éviter de jouer au pompier et éviter de céder à toutes les demandes. Autrement, il risque, à terme, d’apparaître comme la marionnette des groupes de pression.
La nouvelle gouvernance négociée est censée s’appuyer sur la coordination entre les différents intervenants tout en respectant les procédures de consultation, afin de faire émerger des consensus et produire un bien commun limité. Cette gouvernance négociée peut être définie comme un mécanisme qui permet aux acteurs d’arriver à des décisions mutuellement satisfaisantes et contraignantes, et résoudre les conflits de manière consensuelle.
Absence de repères
L’efficacité du gouvernement dépend beaucoup des talents qu’il peut attirer, de son pouvoir de motivation et de la structure organisationnelle qu’il impose. Le choix des orientations politiques que fait un gouvernement est très important, mais il est encore plus important de les mettre en exécution.
Certains pays à croissance rapide déclarent disposer d’une élite de fonctionnaires bien formés et bien payés. Un dirigeant doit envoyer des signaux forts quand il décide de réagir devant des comportements répréhensibles. Il doit combattre toute forme de vices et de corruption au grand jour et avec vigueur, en adoptant un système d’évolution objective dans l’avancement des fonctionnaires. Dans un tel système, il n’y aura pas de place pour le favoritisme.
Depuis plus de vingt ans, nous assistons à une montée vertigineuse de l’individualisme, chacun considérant son intérêt comme prioritaire sur toute autre forme d’intérêt général. D’où cette distance prise avec tout ce qui surplombe l’individu.
Autrement dit, avec toute forme de “superstructure” de type vertical, qu’elle soit de nature hiérarchique, ou institutionnelle… Mouvement encore accentué par un autre phénomène marquant l’ancienne époque: celui de l’explosion des nouvelles technologies et du processus d’“horizontalisation” qu’elle a entraînée en donnant à chacun l’illusion qu’il en savait désormais autant que les traditionnels détenteurs du savoir.
Aujourd’hui, nous sommes entrés dans l’horizontalité, tout le monde croit savoir, ce qui est extrêmement insécurisant; d’autant plus que les porteurs d’expertise n’ont plus notre confiance depuis que nous avons rejeté l’autorité.
Une autorité qui, pourtant, ne faisait que soumettre notre libre-arbitre à une puissance supérieure mais présentait aussi l’avantage de définir une vision commune.
Autrement dit, cette autorité permet de satisfaire à un autre besoin essentiel de nos sociétés. Quoi qu’on en pense, les superstructures donnaient du sens à la vie. Elles traçaient une trajectoire qui fait défaut aujourd’hui. Résultat : alors que les gens contestent la hiérarchie et la verticalité, la recherche d’un but commun n’a jamais été aussi forte. L’envie de voir s’imposer une vision collective qui donne un sens à la société a littéralement explosé.
Aujourd’hui, la population n’aspire pas un retour en arrière, mais a besoin de repères dans une société complexe. Et seule « la dictature de la loi » permet de rétablir la légitimité, puis l’autorité de l’Etat.
En effet, la perte de légitimité des dirigeants – et, plus généralement, de l’appareil administratif – va conduire à une situation absurde au fil des années. De moins en moins capable d’équilibrer son budget, du fait du faible rendement du système fiscal, l’Etat a dû recourir depuis 2011 à s’endetter toujours plus, ce qui risque de provoquer une explosion de la dette publique.