« Jean Duvignaud, de la Tunisie au Brésil— A la rencontre des cultures du monde »
Paru sous ce titre en 2024, cet ouvrage collectif retrace l’itinéraire intellectuel de Jean Duvignaud. Né en 1921 à la Rochelle, élevé par sa nourrice martiniquaise, nommée Louise, il porte en lui l’influence de l’éducation inculquée dès la prime enfance. Il écrit : « Louise m’apporte un monde. La vie créole me devient familière : la parole, l’accent, les chansons, la danse surtout. J’ai appris les berceuses martiniquaises avant de connaître les chansons françaises, et si l’on est de la patrie des chansons qu’on apprend durant l’enfance, alors j’appartiens aux Tropiques. Mes départs, l’amour du soleil, l’insondable joie que j’éprouve à vivre sous les Tropiques ou au Maghreb sont-ils étrangers à la douceur de la paume des mains de Louise sur ma joue ?
Des millions de bacilles du monde noir ont envahi mon corps. L’oubli n’a pas de prise sur le désir ».
Après la guerre, il aspire à devenir romancier par l’écriture d’essais tels que « Quand le soleil se tait », ou encore « Le piège ». Ses contributions à la revue « Contemporains » de Clara Malraux coïncident avec ce moment éphémère où il aspire à réussir une carrière littéraire avec, entre autres textes « Pour entrer dans le vingtième siècle ». Cette orientation peine à pactiser avec le succès. Pour cette raison, sa rencontre avec Georges Gurvitch l’incite à bifurquer vers le pari sur la sociologie. Avec Edgar Morin et Kostas Axelos il fonde la revue « Arguments ».
J’assistais aux réunions. Les différents contributeurs au livre « A la rencontre des cultures du monde », tels que Jean-Pierre Corbeau, Thomas Mouzard ou Thierry Paguet idéalisent les travaux de Jean Duvignaud. A Chébika, par exemple, une gamine en tous points semblable à des milliers d’autres, devient, sous la plume de Jean Duvignaud, une « lointaine héritière de l’héroïne de Sophocle ». « Excusez du peu », dirait Nadia Omrane. La nostalgie du romancier raté substitue la spéculation à l’investigation.
Il fonde sa revue « Cause commune ». Moqueur et un peu jaloux, Bouhdiba me dit : « Cause commune avec qui ? ». En 1960, il devient Maître de conférences à l’Université de Tunis. Il soutint sa thèse d’Etat sur la sociologie du théâtre. Venons-en maintenant, à l’ensemble de l’ouvrage. Laurent Vidal en assura la direction générale. Il place ma contribution au début du livre et me qualifie de «gardien du temple ».
La raison de cette préséance fut ma présence parmi les quatre premiers étudiants tunisiens de Jean Duvignaud. Les trois autres ne sont plus de ce monde immonde et leur départ m’assigne le statut revenant au dernier des Mohicans.
Une fois esquissé le contexte, voici donc l’essentiel de mon texte.
Avant l’arrivée de Zorro, autrement dit Jean Duvignaud, l’enseignement de la sociologie était dispensé par Georges Granaï. Gurvitch, dépositaire de la chaire à la Sorbonne, voyait en Granaï son disciple authentique. Il l’appréciait autant qu’il vitupérait Claude Lévi-Strauss.
Celui-ci écrivit un texte intitulé « Le cru et le cuit ». Gurvitch, ennemi, à juste titre, du structuralisme, réplique : « Dans le cru et le cuit, tout est cru ». En sociologie, la formation fut assurée par Georges Granaï.
Par la suite, l’apport de jean Duvignaud a eu partie liée avec la mise en relation des étudiants avec Georges Balandier, Jacques Berque ou Hélène Balfé par l’entremise de laquelle je me retrouve au Musée de l’Homme où j’obtiens le diplôme d’Ethnologie sous la direction d’André Leroi-Gourhan. Balandier fut mon directeur de la thèse d’Etat soutenue à la Sorbonne où je finis par enseigner la sociologie en tant qu’assistant avec mon collègue Kostas Axelos. Parmi les inoubliables, figurent Milton Santos, le géomorphologue de renom et Franz Fanon.
En définitive, Georges Granaï inculqua sa discipline sociologique par une méthode pédagogique appelée maïeutique et Jean Duvignaud ouvrit, toutes grandes, les portes orientées vers les cultures du monde.
Par-delà leurs différentes manières, ces deux fondateurs furent complémentaires.